Grace Bumbry, une Vénus noire à Bayreuth
Notice
Reportage au Festival de Bayreuth en 1961, pour la nouvelle production de Tannhäuser de Wieland Wagner, avec interviews de Grace Bumbry, l'interprète de Vénus, Jean Mistler et Friedelind Wagner, qui évoque les relations sulfureuses de la famille Wagner avec Adolf Hitler, et extrait du tableau final de la fameuse mise en scène des Maïtres chanteurs de Nuremberg de Wieland Wagner de 1957.
Éclairage
Le Neues Bayreuth de Wieland Wagner, initié en 1951 avec un Parsifal historique, peut se décrire non seulement comme une des plus grandes périodes artistiques de l'histoire du Festival fondé par Richard Wagner en 1876, par son unité stylistique basée sur les productions du petit-fils de Wagner - et dans une moindre mesure sur celles de son frère Wolfgang - mais aussi comme une succession d'évènements annuels autant musicaux que scénographiques, les plus grands chefs et interprètes de l'époque se succédant à Bayreuth pour jouer les seuls opéras de Wagner dans des mises en scènes tenues pour « révolutionnaires » alors, comme en témoigne le trop court extrait du final des « Maîtres chanteurs sans Nuremberg » : en 1956, ils avaient fait un scandale mémorable par la modernité évidente de leur propos scénique, qui faisait disparaître toute allusion à l'Allemagne de la Renaissance pour les situer dans des espaces oniriques.
Les partis-pris de Wieland Wagner faisant de la lumière le pendant de l'orchestre comme commentateur de l'action sur la scène wagnérienne débarrassée de toute tradition naturaliste, et de la puissance d'expression du corps humain le vecteur d'une théâtralité toute musicale, mais imprégnée des influences de la psychanalyse comme de la plus pure modernité de jeu, mettaient ainsi en évidence la portée universelle des œuvres de son grand-père, tout en la purifiant de l'opprobre nazie qui avait annexé Bayreuth et l'héritage intellectuel wagnérien, propre à tant de détournements, y compris dans sa propre famille.
La présence de Friedelind Wagner, sœur de Wieland et Wolfgang Wagner, qui avait fui l'Allemagne en 1939, et ne devait rentrer à Bayreuth qu'en 1953 pour apporter sa caution à la révolution artistique de ses frères, et ses propos accablants en témoignent encore, 16 ans après la chute d'un régime trop aimé de sa propre mère et de sa famille, ce que le Bayreuth d'alors, l'une des plus splendides réussites artistiques de la République de Bonn, parvenait à faire oublier.
Mais les vieux démons sommeillent toujours à Bayreuth, dont le public n'est pas uniformément marqué au coin du progressisme absolu. Les réactions hostiles d'une partie des wagnériens devant le Tannhäuser « scandaleux » mis en scène par Wieland Wagner en 1961 en sont encore la preuve. Choquante la chorégraphie de Maurice Béjart pour la Bacchanale dansée de façon très explicitement sensuelle par son Ballet du XXe siècle ? Indécente plus encore la présence de Grace Bumbry, à cause de sa couleur de peau, qui n'était d'ailleurs pas mieux acceptée au Metropolitan Opera de New York, où elle attendrait 1965 pour débuter, bien après être devenue, à Bayreuth comme à Salzbourg, une vedette à part entière ? Les mentalités changeant, les chanteurs de couleurs sont heureusement devenus peu à peu la norme partout, à Bayreuth comme à New York. La légende dorée wagnérienne n'a pas hésité longtemps, elle : Béjart et Bumbry font partie depuis leur passage à Bayreuth des figures incontournables du Festival.