Michael Haneke

18 mai 1994
05m 50s
Réf. 00218

Notice

Résumé :

Michael Haneke répond aux questions de Thierry Jousse à propos de son film, 71 fragments d'une chronologie du hasard, dernier opus de sa trilogie après Le Septième continent et Benny's Video. Il parle de la violence de ses films et de leur forme fragmentaire, de son utilisation d'images autres que cinématographiques, de son traitement de la notion de temps, et de sa volonté que le spectateur se pose des questions à la fin de ses films.

Type de média :
Date de diffusion :
18 mai 1994
Source :
Thèmes :
Lieux :

Éclairage

Dès son premier long métrage, Le Septième Continent (1989), l'auteur-réalisateur Michael Haneke (1942) frappe critique et spectateurs par la violence du fait divers qui l'a inspiré : la fiction relate les dernières années d'une famille qui périra en se suicidant collectivement.

L'adolescent amateur de vidéo dans Benny's Video (1993) regarde au début du film le massacre d'un cochon. On craint le pire lorsqu'il emmène dans sa chambre une jeune fille qu'il vient de rencontrer...

Haneke poursuit sa réflexion sur la violence et la capacité de la société à "absorber" celle-ci, répercutée sans analyse dans les médias de masse. Le couple de 71 Fragments d'une chronologie du hasard (1994), est prénommé Georg et Anna, comme les personnages du Septième Continent. Ce film complète ce que Haneke a appelé sa "trilogie de la glaciation émotionnelle" en s'interrogeant sur ce qui lie un étudiant meurtrier de 19 ans qui paraît agir au hasard, et ses victimes. La fascination de Haneke pour les faits divers ne s'est pas démentie dans les années qui ont suivi, avec en particulier le couple harcelé de Caché que formaient en 2005 Juliette Binoche et Daniel Auteuil.

Charlotte Garson

Transcription

Thierry Jousse
Moi, si je peux me permettre de poser une question à Michael Haneke
Michel Field
Mais vous êtes chez vous
Thierry Jousse
Je voudrais savoir un peu, pourquoi est-ce qu'il, pourquoi est-ce que vous êtes intéressé chaque fois, sur trois films, à ces faits divers ? Qu'est-ce qui vous passionne justement dans cette idée de fait divers qui est, effectivement, très contemporaine, mais vous avez un traitement particulier ?
Michael Haneke
(Traduction) Ce qui est commun à tous ces films, c'est précisément que j'ai sélectionné des faits divers. (Traduction) Il n'y a pas vraiment d'explication logique, sociologique, scientifique. (Traduction) Et des cas de violence extrême tels que je les ai retenus pour mes films n'ont pas vraiment d'explication logique. (Traduction) C'est de la violence pure, et ça témoigne de la violence, de la brutalité de notre société, du monde dans lequel nous vivons. (Traduction) C'est cela que je veux stigmatiser, et c'est vrai que je m'adresse beaucoup aux émotions. (Traduction) Je crois que le spectateur est impliqué beaucoup plus étroitement, et c'est lui qui va se sentir contraint, forcé de trouver une interprétation.
Michel Field
Vous revendiquez beaucoup la forme fragmentaire jusque dans le titre de votre film. C'est une sorte de, comment dire, de parti pris presque esthétique ou politique, contre une forme de narration classique qui travaille, au contraire, elle sur la continuité et sur une certaine élucidation finalement, par la narration ?
Michael Haneke
(Traduction) C'est vrai que dans d'autres arts comme la littérature, c'est presque un lieu commun. (Traduction) La vie est présentée de manière qui ressemble à une copie, c'est une reproduction, il n'y a pas toujours de logique. (Traduction) Il est vrai que le film, que le cinéma fait un peu exception. (Traduction) C'est vrai que nous en sommes un petit peu restés, je dirais, à la culture du XIXe siècle, et cette forme d'expression est différente. (Traduction) Et j'y accorde une importance particulière, j'essaie de bâtir ma polémique autour de ça.
Michel Field
Thierry Jousse mentionnait tout à l'heure votre caméra comme une caméra de surveillance. Et ce qu'il y a de commun entre les 3 volets de cette trilogie, Le Septième continent et Benny's video étant les deux films qui précédaient, c'est qu'il y a toujours une mise en scène des sources d'images autres que le cinéma. La télévision, la vidéo, comme si vous étiez finalement dans la mouvance de ces cinéastes, on pense à Wim Wenders, on pense à Godard, qui interrogeaient un petit peu ce qui reste de spécifique à l'image de cinéma par rapport aux autres images.
Michael Haneke
(Traduction) Regardez par exemple ce soir notre plateau. (Traduction) Nous sommes sur un plateau de télévision, et c'est vrai que ce plateau se doit d'être représentatif de ce qui se passe ici à Cannes. (Traduction) Il y a une multiplicité et pour en tenir compte, rendre ces aspects différents, il faut je crois emprunter des voies nouvelles.
Michel Field
Un rapport au temps aussi que vous essayez de, d'insuffler par rapport au temps du timing télévisuel ou du timing de la publicité. Vous dites finalement qu'il y a une sorte d'enjeu d'esthétique et de politique dans le rapport au temps, au cinéma.
Michael Haneke
(Traduction) C'est vrai que le temps, le timing comme vous l'avez appelé, est très important, et c'est peut-être la publicité je crois qui l'emporte et qui détermine la présentation, la représentation du temps. (Traduction) En d'autres termes, sur un laps de temps très court, il y a beaucoup d'informations qui doivent rester superficielles. (Traduction) Et je crois que les sensations, les émotions ont besoin de temps, de plus de temps. (Traduction) C'est pourquoi je joue avec le temps dans mes oeuvres, pour inciter le spectateur, non seulement, à essayer d'interpréter, mais vraiment intérioriser et à garder ensuite le message. (Traduction) Il ne s'agit pas simplement pour le spectateur de comprendre ce que j'ai voulu dire, mais qu'il crée lui-même ses propres sensations, ses propres émotions.
Michel Field
Il y a un refus chez vous de toute explication sociologique ou psychologique, notamment des actes de ce meurtrier, ce qui m'a d'ailleurs fait penser un petit peu au film de Claire Denis, parce qu'on avait à peu près le même type de démarche sur un fait divers comparable. C'est pour rendre finalement... L'aspect critique ce vos films, c'est plutôt que le spectateur sorte de vos films avec des questions plutôt que des éléments de réponse ?
Michael Haneke
(Traduction) C'est exactement ça. (Traduction) C'est mon intention que le spectateur lorsqu'il sort du cinéma, se pose des questions, et c'est vrai que c'est une garantie de pérennité en quelque sorte. (Traduction) Le film, le sujet, restera présent à l'esprit. (Traduction) Il ne faut justement pas répondre à toutes les questions à la fin d'un film, parce que c'est un mensonge finalement. (Traduction) De soulever des questions, poser des questions, et puis y répondre, c'est quelque chose de très, très unilatéral.