Michel Field
Ecrivains, mes invités écrivains, et je vais commencer par vous, Hugo Claus.
Vous êtes le seul écrivain flamand de cette assemblée, sans doute un des plus grands écrivains de langue néerlandaise.
On connaît de vous Le Chagrin des Belges, qui a été un grand succès, un certain nombre d'autres livres qui ont été publiés en France, aussi bien chez Fayard que chez De Fallois, notamment un que j'aime énormément, qui s'appelle Le Désir.
Et vous écrivez à la fois des romans, des nouvelles, mais vous êtes aussi poète, vous écrivez pour le théâtre, vous avez écrit des scénarii de cinéma, vous avez été membre du groupe CoBrA, parce que votre activité picturale complète cette gamme.
Alors la première question que j'ai envie de vous poser, c'est pourquoi cette diversité de gestes créatifs et cette palette là ?
Hugo Claus
Parce que je m'ennuie assez vite, donc je change de genre parce que l'idée de devoir me fixer sur une ligne m'ennuie terriblement.
Donc, c'est simplement le fait que je ne peux pas vraiment m'occuper d'une chose à la fois.
Il y a 2 types d'écrivains, il y a les écrivains qui font un sillon et qui s'acharnent à trouver eux-mêmes leur propre psychologie et leur âme, et puis il y a les joueurs qui changent, qui sont un peu folâtres et qui croient que leur âme, peut-être qu'ils vont la rencontrer quelque part.
Donc, j'appartiens au deuxième type, celui du joueur, et donc j'ai besoin de sensations autres.
Michel Field
Alors, quelquefois on a le sentiment dans la précision des tableaux, des situations que vous dessinez, que vous écrivez, que finalement votre regard de peintre est mis au service de votre travail d'écrivain.
Hugo Claus
Ah, j'espère que non !
Non, non, parce que non seulement j'écris, je fais de la mise en scène, je danse pas mal des claquettes aussi, mais tout ça ne peut pas avoir un rapport avec l'autre, parce que autrement il y aurait une osmose, une soupe dans laquelle je mourais.
Michel Field
Alors on a évoqué tout à l'heure avec les cinéastes qui étaient là le, cette scission linguistique de ce pays belge.
Vous, en tant que flamand, quel rapport et comment ça se vit déjà pour un écrivain comme vous cette, ce problème de la langue.
Hugo Claus
Moi j'adore l'idée que la Belgique qui, entre parenthèses, n'existe pas, existe à part de 2 communautés.
Et que à Paris, on fait des plaisanteries belges et qu'à Amsterdam on se moque des Belges aussi.
C'est très, très bien pour un écrivain, pour un artiste, de se trouver comme un paria, comme quelqu'un qui n'appartient pas à un pays.
Je crois que c'est très sain.
C'est pour cela que je vois mon pays à distance, je voyage assez beaucoup pour ne pas devoir m'enliser dans cette belle terre flamande que j'aime énormément mais qui m'ennuie profondément.
Michel Field
Et est-ce que c'est aussi cette situation là qui fait que on trouve une sorte de distance ironique quelquefois même retournée contre vous mais...
Hugo Claus
Ah oui, non seulement ironie mais ironie c'est plutôt français. Non c'est du sarcasme.
C'est un rire beaucoup plus virulent, c'est pas tellement la finesse.
Nous ne sommes pas, nous avons très peu l'esprit parisien ; la légèreté parisienne nous effraie un peu.
Parce qu'il doit se cacher des tares sous ces sourires suffisants.
Michel Field
Tandis que le sarcasme...
Hugo Claus
Tandis que le sarcasme,
Michel Field
et le ricanement ne cachent rien.
Hugo Claus
C'est l'axe, oui.
Michel Field
La flamboyance aussi de votre style, c'est quelque chose qui revient souvent quand on en parle d'ailleurs, c'est-à-dire cette façon...
Je pense au Désir, par exemple, avec ces moments de vrai délire verbal que vous reproduisez, c'est quelque chose qui quoi, qui veut mettre du mouvement dans un paysage trop monotone ?
Hugo Claus
Non c'est parce que je crois que il y a ces sentiments envers la réalité, il y a la honte d'exister, il y a tout ce, ces choses qu'on traîne derrière soi, et que on essaie de rendre aussi flamboyant, aussi chatoyant que possible.
Peut-être qu'on veut se jeter dans la beauté pour oublier.
Michel Field
Pour oublier quoi ?
Hugo Claus
Oh ce désert infini où nous nous traînons et où on glapit un peu à la recherche de notre âme.
Je fais du Claudel en ce moment.
Pour vous plaire.
Michel Field
Mais vous me plaisez.