C'étaient les harkis
Notice
Reportage sur la situation des harkis installés dans un village abandonné de l'Aude après avoir quitté le camp militaire de Rivesaltes.
Éclairage
Quand les harkis fuient l'Algérie en 1962, la plupart ne trouvent pas, en France, l'accueil qu'ils auraient pu y attendre. Pourtant, leur histoire est le fruit d'une trajectoire commune avec la France. En effet, ayant combattu aux côtés des Français, ils doivent quitter un pays – le leur – qui les considère comme des traîtres. Face à l'afflux de ces réfugiés, l'administration française met en place des solutions dont on pense qu'elles seront provisoires mais qui vont perdurer pendant des années. Six camps de transit sont par exemple ouverts dont celui de Rivesaltes, près de Perpignan. Paradoxe, pendant la Seconde Guerre mondiale, ce camp avait servi de lieu de regroupement pour les Républicains espagnols et les Juifs. Or, entre septembre 1962 et décembre 1964, ce sont près de 22 000 harkis qui y résideront, de surcroît dans des conditions de grande précarité.
Hormis leur transfert dans ces camps, les harkis seront également conduits dans des hameaux forestiers situés à proximité de leurs lieux de travail, dont celui de Pujol-de-Bosc, près de Carcassonne dans l'Aude. Là encore, contrairement aux prévisions, ils y restèrent jusqu'à la fin des années 70 pour s'installer ensuite dans les villes et villages alentour.
Quoi qu'il en soit, le fait qu'aient perduré des conditions d'accueil souvent déplorables a engendré une forme de rancœur au sein des groupes concernés qui a conduit les enfants des harkis (années 70) et petits-enfants (à partir des années 90) à demander réparation. Aujourd'hui encore, ce problème reste d'actualité, des associations veillant à ce que des mesures spécifiques de réparation soient accordées aux anciens supplétifs et à leurs conjoints.
C'est seulement en mars 1963 que les journalistes sont autorisés à pénétrer dans le camp de Rivesaltes. Cette édition de Cinq colonnes à la une diffusée le 7 mai 1963 correspond donc à une circonstance particulière tout en proposant un traitement conforme à la ligne politique. En effet, aucune critique ne filtre du reportage. Plus, le journaliste explique que tout a été mis en place pour assurer l'intégration en France des anciens supplétifs de l'armée.
Par exemple, au sujet de Pujol-de-Bosc, on entend une description enjouée de la part du Maire, ce dernier se félicitant de faire revivre un hameau à l'abandon. Évidemment, rien n'est dit des difficultés des harkis à vivre dans des maisons inhabitées de longue date, situées à distance du premier village. Ainsi la politique d'intégration des harkis est-elle valorisée, donnant à voir une filiation positive entre la nationalité accordée, le regroupement dans des zones spécifiques et un encadrement des conditions de travail.
Pour autant, a contrario de cette image biaisée, des phrases sont dites ou des images montrées qui attestent des difficultés rencontrées. Ainsi en est-il lorsque le Maire parle des différences culturelles entre harkis et Français et de ses premières réticences à voir des hommes « différents » occuper le hameau forestier. Ainsi en est-il aussi de l'agacement des fonctionnaires devant l'inexpérience des harkis ou des regards inquiets des femmes ne parlant pas français. Autant d'exemples qui déjouent quelque peu le discours lisse du journaliste.