Que pense l'armée d'Algérie ?
Notice
Après la semaine des barricades à Alger en janvier 1960 réclamant une Algérie française, et alors que le général de Gaulle, chef de l'État, vient d'achever sa "tournée des popotes" en Algérie, reportage auprès des troupes françaises cantonnées en Kabylie dans la région de Bejaïa (Bougie) du 24 au 29 février 1960.
Éclairage
Les premiers mois de l'année 1960 voient une crise de confiance s'insinuer tant dans les rangs de l'armée française qu'au sein de la population pied-noire. La guerre est toujours présente, les problèmes entre groupes s'accentuent. Pour chacun et quel que soit le camp occupé, les certitudes ont cédé le pas aux interrogations. Entre le 24 janvier et le 1er février, Alger a connu une semaine de violence, la semaine des Barricades, un événement qui incarne ces tensions et traduit le durcissement des positions. Par ailleurs, certains membres de l'armée connaissent des doutes quant à leur mission et s'interrogent sur le bien-fondé des décisions politiques.
Le général de Gaulle se rendra donc en Algérie entre le 3 et 5 mars 1960, visitant les positions militaires, et tentant par ce geste de regagner la confiance de l'armée. Aussi l'assure-t-il de son soutien et insiste-t-il sur le rôle important qu'elle doit jouer : gagner la victoire militaire avant de régler la question algérienne.
Diffusé le 11 mars 1960, ce reportage de Cinq colonnes à la une fait le tour d'une question complexe en usant d'un titre explicite « Que pense l'armée d'Algérie ? ». Fait écho à cette complexité une hétérogénéité des réponses en lien avec la position occupée sur le terrain mais aussi au sein de la hiérarchie. À la question de savoir ce qui a été ressenti à l'occasion de la semaine des barricades, les réponses sont là encore contrastées et vont d'une vision compréhensive à une dénonciation radicale. Quoi qu'il en soit, le magazine fait ici la démonstration de son aptitude à envisager un ensemble de points de vue dont sont appréhendées les logiques et filiations.
Enregistré entre les 24 et 29 février 1960, c'est-à-dire quelques jours avant le déplacement du général de Gaulle en Algérie, ce magazine atteste de la fidélité d'un corps de métier envers son chef. En effet, beaucoup des militaires interrogés se décrivent comme des hommes obéissants et n'ayant aucun état d'âme à se présenter comme tel. Quant à la conclusion qui donne la parole au colonel Bonnigal qui avait été chargé, avec ses hommes, de se rendre à Alger pour assurer le maintien de l'ordre, elle est conforme à l'image respectueuse qui a été donnée de l'armée tout au long du reportage. À propos de la semaine des barricades, ce dernier parle en effet de « quelques types qui auraient profité de cette situation pour dire au grand Charles de s'en aller et le remplacer par je ne sais pas qui ». Donnant plus de poids encore à son hypothèse, il complète ces mots d'un commentaire tranchant : « Mais alors là on n'était pas d'accord du tout ! ».
Diffusé après le voyage du général de Gaulle en Algérie et sa « tournée des popotes », ce reportage ne fait donc qu'appuyer ce sur quoi, sur un plan politique, le général avait insisté lors de son allocution télévisée du 29 janvier : « Je dis à tous les soldats français : Votre mission ne comporte aucune équivoque et aucune interprétation. Vous avez à liquider la force rebelle qui voudrait chasser la France de l'Algérie et y instaurer sa dictature de terreur, de misère et de stérilité. Tout en menant l'action des armes, vous avez à contribuer au développement matériel et moral des populations musulmanes. À les attirer à la France par le cœur et par la raison. Et quand le moment sera venu de procéder à la consultation, vous aurez à garantir qu'elle soit libre et qu'elle soit sincère ». De ce point de vue, aucun doute, Cinq colonnes marche dans les pas et les choix du général.