Transit de harkis à Marseille en juin 1962
Notice
259 harkis et leurs familles, rapatriés d'Algérie par le porte-avions La Fayette, débarquent à Marseille. Ils transitent par l'enceinte militaire du port avant d'être convoyés au camp de Bourg-Lastic dans le Puy-de-Dôme.
Éclairage
Originellement, les "harkis" étaient les hommes servant à partir de 1956 dans une "harka", c'est-à-dire une unité d'auxiliaires musulmans de statut civil rattachée à une unité militaire française en Algérie. Le terme s'est ensuite appliqué par extension à l'ensemble des supplétifs musulmans. Leur nombre total a approché les 160 000 hommes en 1959 et culminé autour de 180 000 hommes à la fin de 1960.
Les motivations des harkis furent diverses : ils peuvent selon les cas avoir été guidés par l'attrait de la solde, par le désir de vengeance contre les violences commises par le Front de libération nationale (FLN), par le souci de protéger leurs biens et leurs familles, ou bien encore par patriotisme français. L'armée française les avait recrutés dans le but de l'aider dans sa lutte contre le FLN et aussi de montrer la faible représentativité de ce dernier. 5 000 de ces soldats trouvèrent la mort au combat ou furent portés disparus. Signés le 18 mars 1962, les accords d'Evian, qui mirent fin à la guerre d'Algérie, ne prévirent pas de disposition particulière pour les musulmans ayant servi sous le drapeau français, ni pour leurs familles. En outre, le gouvernement français, alors essentiellement préoccupé par le retour désordonné des Français d'Algérie, n'organisa pas de repli de ces combattants en France. Louis Joxe, ministre d'Etat aux Affaires algériennes, va même, le 16 mai 1962, jusqu'à menacer de sanctions les officiers qui ont commencé à organiser le rapatriement de harkis et prévoit le renvoi en Algérie des supplétifs déjà débarqués en France. Pourtant, entre juin et septembre 1962, 48 625 musulmans arrivent sur le sol français. En tout, de 15 000 à 20 000 familles s'établissent en France de 1962 à 1968. L'écrasante majorité est ainsi restée en Algérie.
Nombreux sont ceux qui, à partir de juillet 1962 et de la proclamation de l'indépendance algérienne, sont massacrés par le FLN car considérés comme traîtres. Des dizaines de milliers de harkis ont été tués, sans qu'il soit possible de donner un bilan exact : le nombre des victimes est estimé entre 10 000 et 150 000. Ces assassinats furent perpétrés jusqu'en 1966. Les harkis qui ont, eux, quitté l'Algérie et se sont réfugiés en France en 1962 ont d'abord transité par les camps du Larzac et de Bourg-Lastic. Puis, à la fin de l'année, ils ont été déplacés vers les camps de Rivesaltes, de Saint-Maurice-l'Ardoise et de Bias. Des hameaux forestiers et des cités urbaines à la périphérie des villes ont ensuite été créés pour les reclasser.
L'insertion des harkis en France s'est avérée difficile. Ils ont fréquemment vécu dans des conditions délicates et ont connu un taux de chômage élevé. A plusieurs reprises, les harkis ont ainsi exprimé leur mécontentement. Par exemple, à l'été 1975, des résidents des camps de Saint-Maurice-l'Ardoise, de Bias et du Logis d'Anne se sont révoltés, de même que des enfants de harkis en 1991, ou des harkis en 1997. Leurs revendications ont en partie reçu satisfaction. Des mesures ont été prises pour favoriser leur intégration et disperser leurs communautés, telles que la suppression des camps et des hameaux forestiers. En outre, la France a tardivement reconnu sa dette envers les harkis et sa responsabilité dans leur tragédie. Un timbre a par exemple été édité en leur hommage en 1989. Surtout, la loi du 11 juin 1994 leur a attribué une allocation d'indemnisation et a reconnu leurs souffrances. La loi du 23 février 2005 a renouvellé cette reconnaissance.
Ce bref reportage diffusé par le journal télévisé régional de Marseille de l'ORTF le 23 juin 1962 rend compte du transit de harkis et de leurs familles à Marseille, en provenance d'Alger et à destination du camp de Bourg-Lastic dans le Puy-de-Dôme. On ne les voit pas débarquer du porte-avions La Fayette : comme ils sont arrivés dans une enceinte militaire, il n'a sans doute pas dû être possible de les filmer. Du reste, le journaliste laisse entendre qu'il a été difficile de réaliser ce reportage en raison d'"un certain nombre de précautions" prises par l'armée. Il ne précise toutefois absolument pas quelles ont été ces précautions et dans quel but elles ont été adoptées. Elles l'ont été très certainement pour protéger les harkis.
En fait, ce sujet passe sous silence de nombreux aspects de la situation des harkis. Il ne replace tout d'abord pas leur arrivée dans son contexte, à savoir le départ des Français d'Algérie et le référendum sur l'indépendance prévu en Algérie une grosse semaine plus tard, le 1er juillet 1962. De même, il ne dit mot sur les raisons qui les ont conduits à quitter l'Algérie. Bien que le reportage montre de nombreuses fois à l'écran les harkis et leur famille, et plus particulièrement les enfants, il ne fait pas ressentir le poids du déchirement que doit représenter le départ de leur pays natal. Leur déracinement n'apparaît perceptible que par des plans sur leurs valises, et leur condition d'exilés ayant tout laissé derrière eux ne passe que par les images de la distribution d'un repas froid.
Enfin, le journaliste mentionne rapidement leur future installation dans le camp de Bourg-Lastic, sans expliquer de quoi il s'agit précisément. Ainsi, si ce sujet a le mérite de s'intéresser aux harkis et d'attirer sur eux l'attention des téléspectateurs français en juin 1962, il s'avère complètement muet sur la réalité de leur situation et notamment sur le poids de leur exil.