La bataille du Tonkin
Notice
Des renforts de troupes franco-vietnamiennes sont envoyés au poste de Ma Khe pour lutter contre l'offensive vietminh.
Éclairage
L'instauration de la République populaire de Chine et le conflit coréen changent les données stratégiques de la guerre d'Indochine. Ministre d'Etat chargé des relations avec les Etats associés, Jean Letourneau, MRP, prend en charge la politique indochinoise des gouvernements successifs depuis novembre 49. Les défaites d'octobre 1950 lui permettent de remplacer le général Carpentier par le général de Lattre qui obtient, en décembre 1950, de cumuler les charges de Haut-commissaire et de commandant en chef. Avant même de donner corps à l'indépendance des Etats associés, il doit s'employer à rétablir la situation militaire face au général Giap qui s'est donné Hanoi pour objectif.
Au printemps 1951, la bataille du Tonkin reprend après le succès défensif des troupes du corps expéditionnaire obtenu à Vinh Yen. Le général Giap concentre hommes et matériel dans les collines du massif du Dong Trieu. Il menace les postes situés en contre-bas qui contrôlent l'approvisionnement en eau d'Haiphong. L'offensive, menée par des divisions et régiments viêtminh aguerris débute dans la nuit du 23 au 24 mars (voir Yves Gras, Histoire de la guerre d'Indochine, Paris, 1992, p. 399-402). De Lattre choisit d'engager les forces disponibles dans la défense de Mao Khé qu'il considère être le verrou des positions françaises. Dans la nuit du 29 au 30 mars, un violent affrontement oppose deux régiments viêtminh aux troupes du corps expéditionnaire. L'arrivée de renforts permet le retrait des troupes viêtminh après qu'elles aient subies des pertes sévères.
Conformément à sa nouvelle stratégie médiatique, le général de Lattre incite la presse écrite et filmée à faire écho à ce succès.
Les trente premières secondes de ce sujet montrent la concentration des forces du corps expéditionnaire à Mao Khé. Le caméraman filme, en une succession de plans larges, les progressions qui se succèdent qu'il s'agisse de l'infanterie, des blindés ou des camions de transport de troupe. Le plus souvent, ces derniers avancent vers la caméra, occupent une large part de l'image qui traduit alors la puissance du corps expéditionnaire et l'ampleur de l'engagement à venir. Souriant à la caméra, les troupes saturent l'image. La population vietnamienne se tient à la marge, dans les bords du cadre à Mao Khé, en contre-bas de la route dans la campagne voisine. C'est la mobilisation de troupes d'intervention réussie par le général de Lattre qu'il s'agit d'illustrer. Quatre plans très bref (8'') cadrent l'artillerie lourde en action, reflet d'un affrontement à distance avec des troupes cachées. Les quatre plans (10'') tournés depuis un avion matérialisent l'ampleur de la victoire et font la transition avec la séquence (20'') tournée au poste de Dong Trieu. Le général De Lattre et son Etat-major occupent l'image et mettent en scène leur action. Filmé en plan large ou en plan américain, le général de Lattre, uniforme impeccable, canne et gants à la main, est au cœur de la séquence et du sujet. L'avant dernier plan le voit prendre ses jumelles. Le panoramique final qui dévoile au spectateur le théâtre d'opération, désormais pacifié, semble donc lui faire partager le regard du commandant en chef.
Comme souvent, l'essentiel des combats a eu lieu de nuit. Qui plus est, Giap, après l'échec de Vinh Yen, est revenu à une tactique proche de la guérilla. Ses troupes restent donc à couvert dans le massif du Dong Trieu d'où la difficulté à rendre compte de cet affrontement. C'est pourquoi ce sujet, à la thématique purement militaire, ne comporte que de très brefs plans de « combats ». Là encore la bataille se résume à son avant, la préparation, et à son après, le constat du succès.
Si la clé du combat fut bien la précision des tirs de contre-batterie, elles furent employées de façon défensive et non offensive comme l'indique le commentaire («passer à la contre-offensive ») et le laissent penser les images. Celles-ci furent probablement tournées le lendemain ou dans les jours qui suivirent l'assaut nocturne des troupes viêtminh. Pour autant, il ne s'agit pas d'un retour aux engagements limités de la guérilla. Les plans aériens donnent l'échelle nouvelle des combats, des affrontements de grande envergure, ceux que le commentaire appelle des « offensives de grand style », hommage implicite à l'adversaire, révélateur de son nouveau statut.
La puissance de l'artillerie aurait pu être illustrée par un plus grand nombre de plans. Leur brièveté peut traduire son apport décisif mais surtout, elle révèle que l'enjeu du sujet n'est pas là. Il est dans l'entrée du commandant en chef et de son Etat-major dans le champ des caméras, rupture délibérée qui vise à montrer un Etat-major désormais au côté des troupes, sur le terrain. A destination du corps expéditionnaire comme de l'opinion métropolitaine, le général de Lattre se met en scène, personnalise le combat et choisit d'incarner l'engagement de la France en Indochine.
Dès 1951, de mieux en mieux et de plus en plus rapidement approvisionnée, la presse filmée commence à son tour à tisser la légende du « Roi Jean ».