De nos envoyés spéciaux dans le bled
Notice
Après l'échec du putsch des généraux à Alger en avril 1961, Cinq colonnes à la une interviewe des militaires restés loyaux au gouvernement français. Sur le terrain, en Kabylie, ces hommes témoignent de leurs choix tout comme les soldats du contingent.
Éclairage
Dans la nuit du 21 au 22 avril 1961 à Alger, quatre généraux – Maurice Challe, Edmond Jouhaud, André Zeller et Raoul Salan (qui ne rejoindra Alger que le 23) – prennent la tête d'un coup d'État avec l'appui du 1er régiment étranger de parachutistes dont le commandement par intérim est assuré par Hélie Denoix de Saint Marc. Un coup de force qui fait suite à la conférence de presse du 11 avril au cours de laquelle le général de Gaulle avait parlé de l'Algérie comme d'un État souverain, ce qui provoqua la colère de ceux qui croyaient que l'Algérie française avait encore un avenir.
Le 23 avril, en réaction à ces événements, le général de Gaulle prononça un discours dont le contenu autant que la forme revêtaient une dimension militaire : « Un pouvoir insurrectionnel s'est établi en Algérie par un pronunciamiento militaire. [...] Ce groupe et ce quarteron possèdent un savoir-faire expéditif et limité. [...] Leur entreprise conduit tout droit à un désastre national ». Terminant son allocution par une demande de soutien – « Françaises, Français, voyez où risque d'aller la France, par rapport à ce qu'elle était en train de redevenir. Françaises, Français, aidez-moi ! » –, le général avait finalement su trouver les arguments permettant de sortir de la crise.
Quatre jours après le putsch, l'ordre est donc rétabli. Les troupes qui ont suivi les généraux se rendent de même que le commandant Hélie Denoix de Saint Marc et les généraux Challe et Zeller (quelques jours plus tard). Challe et Zeller seront condamnés à quinze ans de détention et à la perte de leurs droits civiques tandis qu'Hélie Denoix de Saint Marc est condamné à dix ans de réclusion. Quant aux généraux Salan et Jouhaud, ils entrent dans la clandestinité. Arrêtés en mars et avril 1962, le premier sera condamné à la prison à perpétuité, le second à mort. Mais quelle que soit leur peine, tous furent amnistiés en 1968, ceci à la faveur de la loi du 31 juillet.
Le 5 mai 1961, Cinq colonnes à la une diffuse une édition spéciale sur la situation en Algérie. Dans ce reportage, c'est aux hommes qui ont refusé de suivre les putschistes que l'on s'intéresse. Le premier à répondre aux questions est le général Fonde qui, très affecté, explique ne pas comprendre les motivations qui ont pu pousser le général Challe – dont il est proche – à aller si loin dans l'opposition.
Loyauté, obéissance, respect pour les camarades, autant de sentiments qui sont exprimés et décrivent une armée fidèle au général de Gaulle mais aussi aux valeurs militaires. Comme souvent à l'occasion d'événements importants, c'est Pierre Dumayet qui conduit les entretiens et écoute avec empathie des hommes souvent bouleversés.
Mais si ces militaires n'ont pas rejoint la rébellion, ils tentent toutefois d'expliquer les raisons qui ont favorisé des prises de position impensables en d'autres périodes de l'histoire contemporaine. Avec cette hypothèse : c'est parce que, en Algérie, l'armée doit agir au sein de la population que la définition de leur rôle s'est trouvée perturbée. Selon le commandant Robert, les putschistes étaient animés d'un objectif qui, « en toute conscience », consistait à faire pression sur le gouvernement pour l'enjoindre à changer une position politique qu'ils jugeaient mauvaise. Comprenant tout en désapprouvant les options prises par ses collègues, le commandant exprime une certitude qui, d'une certaine façon, est aussi une leçon de morale : « Dans sa majorité, si le choix lui est donné librement, une fois la paix faite, une fois les combats cessés, cette population [que souhaitaient protéger les putschistes] choisira la solution qui lui donnera le contact le plus étroit possible avec la France ».
Le message de Cinq colonnes à la une se veut donc rassurant : les mauvais choix de quelques-uns ne ternissent pas l'armée. Le reportage en atteste : celle-ci reste consciente du devoir qui lui incombe et qui consiste à servir un gouvernement engagé sur la voie de la paix.