Le 13 mai 1958 et ses conséquences à Paris et Alger
Notice
A Alger, Français et Algériens manifestent pour l'Algérie française. Le général Salan déclare exercer le pouvoir. A Paris, Pierre Pflimlin forme son gouvernement.
Éclairage
Les événements du 13 mai 1958 mettent fin à la conception parlementaire de la République. Ce jour là, à Alger, un comité de vigilance fondé par d'anciens combattants, des groupes de patriotes et des partis politiques, appelle à manifester contre le FLN. Au même moment, à Paris, le président de la République René Coty désigne au poste de président du Conseil le MRP Pierre Pflimlin, qui est investi avec une majorité confortable de 174 voix pour, 120 contre et 137 abstentions. A Alger, Pierre Pflimlin est soupçonné de vouloir abandonner l'Algérie française, si bien que sa désignation entraîne la manifestation sur un terrain politique, à un moment où Alger connaît une vacance du pouvoir : Robert Lacoste, représentant du gouvernement en Algérie, est parti sans attendre son successeur. La manifestation dégénère en émeute, et les émeutiers s'emparent du siège du Gouvernement général.
Un comité de Salut public est alors formé, où se retrouvent le gaulliste Léon Delbecque et le général Massu, qui fait nommer à la tête d'un Comité de Salut public de l'Algérie française le général Raoul Salan, commandant en chef de l'armée d'Algérie. Pour ne pas sembler débordé, le gouvernement nomme également le 13 mai Raoul Salan au poste de Délégué général de l'Algérie. Salan gouverne donc l'Algérie, mais personne ne sait à quel titre, celui de chef de l'insurrection ou celui de représentant légal du gouvernement. Pierre Pflimlin décide également de former un gouvernement d'union nationale dans lequel il fait entrer les socialistes Guy Mollet et Jules Moch pour asseoir son pouvoir et montrer sa détermination à gouverner. Le 15 mai, Salan lance du balcon du bâtiment du Gouvernement général le slogan "vive de Gaulle". Le même jour, le général de Gaulle diffuse un communiqué de presse dans lequel il rend le "régime des partis" responsable de la situation, et fait savoir qu'il "se tient prêt à assumer les pouvoirs de la République".
Pour le gouvernement et les parlementaires, de Gaulle est solidaire de la rébellion algérienne qu'il encourage. Cette interprétation est renforcée par l'arrivée le 17 mai à Alger de Jacques Soustelle, qui vient activer les réseaux gaullistes et organiser des cortèges qui réclament le retour au pouvoir du général de Gaulle. Partout, la guerre civile est attendue avec crainte, et des membres de l'état-major de Raoul Salan la préparent en concevant du 16 au 19 mai l'opération "Résurrection", qui consiste à lâcher des parachutistes sur Paris pour prendre le pouvoir. L'Etat semble se désagréger. Le 19 mai, dans une conférence de presse, le général de Gaulle rassure la classe politique et l'opinion publique en précisant qu'il ne veut pas mettre en place une dictature : Antoine Pinay, Chaban-Delmas, puis Guy Mollet nouent des contacts avec de Gaulle pour préparer une transition politique qui s'éloigne de l'esprit et de la pratique des institutions de la IVe République.[Rioux Jean-Pierre, La France de la Quatrième République, volume 2, L'expansion et l'impuissance, 1952 – 1958, Point Seuil, Paris, 1983][Berstein Serge, Milza Pierre, Histoire de la France au XXe siècle, Complexe, Bruxelles, 1995].
Ce document, qui couvre la semaine du 13 au 20 mai 1958, montre à quel point les Actualités Françaises se font, dans des circonstances controversées, le fidèle relais du point de vue gouvernemental en lieu et place d'une information honnête et équilibrée. Les silences, d'abord, sont remarquables, malgré des images éloquentes. Silence sur l'appel lancé par le général Raoul Salan au général de Gaulle le 15 mai, alors que les caméras ont enregistré la présence bien visible dans la foule des banderoles avec le nom de De Gaulle, signe que la manifestation du 15 mai a bien été préparée par les gaullistes d'Algérie. Aucune explication n'est donnée. Silence également sur les deux interventions du général de Gaulle : aucune mention de son communiqué de presse du 15 mai, pas un mot sur sa conférence de presse du 19 mai.
Des trois forces en présence pendant la semaine, Pierre Pflimlin, Charles de Gaulle et Raoul Salan, le reportage ignore totalement le général de Gaulle, y compris dans l'extrait tourné le 17 mai qui signale la présence de Jacques Soustelle à Alger : les images montrent bien qu'une banderole dans la foule réclame "De Gaulle au pouvoir", tandis que le commentaire est silencieux sur ce point, et n'explique pas non plus les positions politiques défendues par Jacques Soustelle. La seule version gouvernementale des événements est donc privilégiée. Elle se veut rassurante : quoi qu'il arrive, le gouvernement gouverne, et l'inquiétude d'une guerre civile est passée sous silence, tandis que les manifestations qui rapprochent Algériens et Français d'Algérie (ici qualifiés tous deux de race), sont saluées comme signifiant une ère nouvelle avec la nomination du nouveau président du Conseil.