La marche à la guerre

16 janvier 1947
04m 22s
Réf. 00131

Notice

Résumé :

Le ministre de la France d'Outre-mer, Marius Moutet, se rend à Hanoï un mois après le déclenchement de l'insurrection vietminh.

Date de diffusion :
16 janvier 1947
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Éclairage

A l'automne 1946, les relations entre la France et le Vietminh se détériorent, et chaque camp renforce ses positions militaires. Les opérations prennent de l'ampleur : la marine française bombarde le port de Haïphong le 23 novembre, causant la mort de centaines de civils. Ho Chi Minh et le général Giap se préparent à une action contre la France.

C'est dans ce contexte qu'à Paris, Léon Blum devient chef du gouvernement, et propose à Ho Chi Minh de reprendre les négociations. Ce dernier accepte, mais sa lettre, transmise de façon non urgente par les autorités militaires françaises, arrive à Paris le 20 décembre. Or, à Hanoï, la situation se dégrade : le 19 décembre, à 20 heures, l'électricité est coupée par le Vietminh, dont les hommes forcent les maisons et tuent des civils. Ce "coup de force de Hanoï" est un échec, mais il radicalise encore les positions des militaires français et vietnamiens. Ho Chi Minh lance le 21 décembre un appel à la lutte à outrance. La guerre d'Indochine a commencé.

Le ministre Marius Moutet est alors chargé d'une mission de conciliation par Léon Blum. A sa descente d'avion, il est pris en charge par l'état-major, qui veut lui faire partager son point de vue : on ne peut pas négocier avec le Vietminh, il n'est pas digne de confiance. Alors que Ho Chi Minh envoie un message à Marius Moutet pour lui proposer une rencontre, la lettre, interceptée par les services de l'amiral d'Argenlieu, n'arrive pas à son destinataire, qui visite Hanoï en ruine. Marius Moutet tire pour conclusion de sa visite que le Vietminh n'est pas un interlocuteur valable, et la thèse de Thierry d'Argenlieu l'emporte : "avant toute négociation, il faut une décision militaire".

Ce reportage est emblématique de l'analyse de certains militaires français, à un moment où le pouvoir politique envisage de négocier avec les nationalistes vietnamiens. Précédé par une bande-annonce qui souligne le caractère exceptionnel et authentique des images, le document s'ouvre par une vue aérienne de Hanoï et de sa banlieue, où brûlent des maisons : c'est la guerre.

A sa descente d'avion, le ministre Marius Moutet rencontre d'abord les autorités militaires, avec les généraux Leclerc, Valluy et Morlière - qui remplace Thierry d'Argenlieu en déplacement à Paris - puis civiles (Jean Sainteny). Le temps accordé aux militaires l'emporte grandement sur celui donné à Jean Sainteny, que l'on aperçoit essentiellement lors du salut aux couleurs, avec le bras en écharpe car il a été blessé lors des combats. Le montage montre ensuite une voiture blindée en patrouille dans la ville. Deux types d'images sont utilisées : des images tournées de la voiture même qu'empruntent Marius Moutet et le général Morlière pour inspecter la ville, et des images de combats de rues tournées à d'autres moments. Des cadavres de soldats français sont filmés en plan rapproché, ainsi qu'une colonne de jeunes adolescents vietnamiens faits prisonniers "les armes à la main" selon le commentaire. A ces scènes de guerre succède la visite de la résidence de Ho Chi Minh, entourée de tranchées qui abritent des soldats : la découverte, en apparence fortuite, d'un casque japonais au fond d'une tranchée suggère que le Vietminh n'est que l'incarnation d'un ennemi étrange qui a perdu la guerre mais se refuse à l'admettre. La lutte du Vietminh ne présente pas alors de caractère national, c'est une guerre étrangère, non légitime.

Le reportage renforce cette analyse en enchaînant sur la visite de l'Institut Pasteur d'Hanoï, qui illustre l'argument traditionnel en faveur de la colonisation : la France apporte le progrès - ici la santé - et la civilisation à un peuple qui ne peut que souscrire à cet effort humanitaire. La colonisation et l'action de la France sont justes, les refuser est incompréhensible.

Eve Bonnivard

Transcription

(Musique)
Georges Méjat
Hanoï. C’est là que débuta l’agression du Viêt-Minh. Hanoï dégagée, la lutte continue encore. Et de l’avion qui l’amenait de Saïgon, monsieur Marius Moutet, ministre de la France d’Outre-mer, a pu, en survolant les provinces de la Nam et du Tonkin, en entendre encore les échos. Sur l’aérodrome, le général Leclerc, accompagné des généraux [Valuis] et Morlière, était venu saluer, à son arrivée, le représentant du gouvernement français.
(Musique)
Georges Méjat
Monsieur Marius Moutet, dont le voyage avait pour but de rapporter à Paris des impressions directes, s’entretenait d’abord au palais du gouvernement avec monsieur Sainteny, commissaire de la République au Tonkin, blessé au cours de la nuit de l’attentat.
(Musique)
Georges Méjat
Puis, monsieur Moutet, en compagnie du général Morlière, effectuait, à bord d’un [Attack], une tournée d’inspection dans la zone des combats. Les Actualités françaises présentent, ici, le premier reportage authentique sur les sanglants événements d’Hanoï. Première vision tragique prise par notre envoyé spécial qui fit le voyage au côté de monsieur Moutet, et dont le film pourra servir d’illustration au rapport du Ministre.
(Bruit)
Georges Méjat
Instant dramatique aux avant-postes. Notre reporter, parti avec une patrouille, essuie le feu des Vietnamiens. A ses côtés, deux hommes sont tombés. Deux morts dont les noms vont s’ajouter à la liste, déjà si longue, des morts de l’Indochine. Hanoï, grâce à l’action efficace des troupes françaises, a été rapidement dégagée. Mais les bandes vietnamiennes mènent toujours, dans la campagne, une lutte sporadique. Il faut combattre. Comme l’a dit monsieur Moutet : « Avant toute négociation, il est, aujourd’hui, nécessaire d’avoir une décision militaire ».
(Bruit)
Georges Méjat
Jour après jour, les troupes françaises, inférieures en nombre aux troupes du Viêt-Minh, continuent à faire des progrès, à débloquer les centres assiégés au milieu des désastres d’une bataille que la France n’a pas voulue.
(Bruit)
Georges Méjat
Villages incendiés, tireurs pris les armes à la main, et dont certains sont adolescents, maisons ruinées. Tel est le triste spectacle qu’offre la campagne autour de Hanoï. La ville elle-même montre les traces éloquentes de l’attentat prémédité du 19 décembre. Meubles jetés à la rue par les bandes armées, barricades établies au coin des rues. Devant la résidence d’Hồ Chí Minh, trous individuels pour les tireurs, tranchées creusées à l’avance et encore semées des traces de l’appui apporté aux Vietnamiens par d’ex-soldats et officiers japonais. Mais le plus triste spectacle, le plus émouvant, aussi, c’est cette ruine de l’Institut Pasteur. La plus belle, peut-être, des créations françaises en Indochine, sur laquelle se sont acharnés les insurgés. Trente ans d’efforts sont perdus. Trente ans d’efforts qui n’ont profité qu’à l’Indochine. Agression, c’est le mot qui revient.
(Musique)
Journaliste
La liste des victimes est longue. 267 civils tués ou disparus, dont une centaine d’enfants. Le dixième de la population européenne d’Hanoï. Victimes dont les noms rejoindront, dans le souvenir, ceux des victimes des Pavillons Noirs. Le drame de l’Indochine.