La marche à la guerre
Notice
Le ministre de la France d'Outre-mer, Marius Moutet, se rend à Hanoï un mois après le déclenchement de l'insurrection vietminh.
Éclairage
A l'automne 1946, les relations entre la France et le Vietminh se détériorent, et chaque camp renforce ses positions militaires. Les opérations prennent de l'ampleur : la marine française bombarde le port de Haïphong le 23 novembre, causant la mort de centaines de civils. Ho Chi Minh et le général Giap se préparent à une action contre la France.
C'est dans ce contexte qu'à Paris, Léon Blum devient chef du gouvernement, et propose à Ho Chi Minh de reprendre les négociations. Ce dernier accepte, mais sa lettre, transmise de façon non urgente par les autorités militaires françaises, arrive à Paris le 20 décembre. Or, à Hanoï, la situation se dégrade : le 19 décembre, à 20 heures, l'électricité est coupée par le Vietminh, dont les hommes forcent les maisons et tuent des civils. Ce "coup de force de Hanoï" est un échec, mais il radicalise encore les positions des militaires français et vietnamiens. Ho Chi Minh lance le 21 décembre un appel à la lutte à outrance. La guerre d'Indochine a commencé.
Le ministre Marius Moutet est alors chargé d'une mission de conciliation par Léon Blum. A sa descente d'avion, il est pris en charge par l'état-major, qui veut lui faire partager son point de vue : on ne peut pas négocier avec le Vietminh, il n'est pas digne de confiance. Alors que Ho Chi Minh envoie un message à Marius Moutet pour lui proposer une rencontre, la lettre, interceptée par les services de l'amiral d'Argenlieu, n'arrive pas à son destinataire, qui visite Hanoï en ruine. Marius Moutet tire pour conclusion de sa visite que le Vietminh n'est pas un interlocuteur valable, et la thèse de Thierry d'Argenlieu l'emporte : "avant toute négociation, il faut une décision militaire".
Ce reportage est emblématique de l'analyse de certains militaires français, à un moment où le pouvoir politique envisage de négocier avec les nationalistes vietnamiens. Précédé par une bande-annonce qui souligne le caractère exceptionnel et authentique des images, le document s'ouvre par une vue aérienne de Hanoï et de sa banlieue, où brûlent des maisons : c'est la guerre.
A sa descente d'avion, le ministre Marius Moutet rencontre d'abord les autorités militaires, avec les généraux Leclerc, Valluy et Morlière - qui remplace Thierry d'Argenlieu en déplacement à Paris - puis civiles (Jean Sainteny). Le temps accordé aux militaires l'emporte grandement sur celui donné à Jean Sainteny, que l'on aperçoit essentiellement lors du salut aux couleurs, avec le bras en écharpe car il a été blessé lors des combats. Le montage montre ensuite une voiture blindée en patrouille dans la ville. Deux types d'images sont utilisées : des images tournées de la voiture même qu'empruntent Marius Moutet et le général Morlière pour inspecter la ville, et des images de combats de rues tournées à d'autres moments. Des cadavres de soldats français sont filmés en plan rapproché, ainsi qu'une colonne de jeunes adolescents vietnamiens faits prisonniers "les armes à la main" selon le commentaire. A ces scènes de guerre succède la visite de la résidence de Ho Chi Minh, entourée de tranchées qui abritent des soldats : la découverte, en apparence fortuite, d'un casque japonais au fond d'une tranchée suggère que le Vietminh n'est que l'incarnation d'un ennemi étrange qui a perdu la guerre mais se refuse à l'admettre. La lutte du Vietminh ne présente pas alors de caractère national, c'est une guerre étrangère, non légitime.
Le reportage renforce cette analyse en enchaînant sur la visite de l'Institut Pasteur d'Hanoï, qui illustre l'argument traditionnel en faveur de la colonisation : la France apporte le progrès - ici la santé - et la civilisation à un peuple qui ne peut que souscrire à cet effort humanitaire. La colonisation et l'action de la France sont justes, les refuser est incompréhensible.