L'allocution du général de Gaulle à Alger

04 juin 1958
10m 16s
Réf. 00231

Notice

Résumé :

Le 4 juin 1958, deux semaines après avoir été porté au pouvoir en France, le général de Gaulle se rend à Alger, où il prononce un discours historique.

Date de diffusion :
04 juin 1958
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Éclairage

Lors de son retour au pouvoir, au printemps 1958, le général de Gaulle doit gérer une situation très tendue en Algérie depuis la crise du 13 mai. La communauté européenne et une partie de l'armée se radicalisent autour de l'idée d'Algérie française. Ils refusent tout processus d'autonomisation. Ils espèrent que de Gaulle - pourtant indécis sur la nature exacte de l'avenir algérien - devienne leur avocat et le garant du maintien français en Algérie.

Dès qu'il est investi des pleins pouvoirs (2 juin), le Général se rend à Alger (4-7 juin) où l'on attend, dans les milieux européens, qu'il se prononce en faveur de l'Algérie française. En fait, il a trois objectifs : rassurer la population européenne et éviter sa révolte (elle ne ferait qu'aggraver la crise algérienne) ; dire son respect du peuple algérien musulman en guerre ; affirmer sa légitimité des deux côtés de la Méditerranée, auprès des civils comme des militaires.

Les paroles qu'il prononce à cette occasion sont de la plus haute importance. Son "Je vous ai compris. Je sais ce qui s'est passé ici..." est devenu historique. De Gaulle vient avant tout lancer un appel à la concorde et au retour au calme, afin de préparer la France à sortir du bourbier algérien, reléguer la IVe République au magasin des mauvais souvenirs et passer à cette Ve République qu'il a hâte de porter sur les fonds baptismaux. A ces différents titres, ce discours du 4 juin 1958 est un temps fort de l'histoire du XXe siècle.

Forum d'Alger, 4 juin 1958, 19 heures. Face à la foule algéroise, flanqué de Salan (à gauche) et de Soustelle (à droite), le général de Gaulle s'apprête à prononcer un discours clef. Il s'adresse à l'immense foule présente, mais aussi et il le sait, par médias interposés, à l'ensemble de la communauté française. De quelle arme dispose-t-il pour tenter de mettre fin à plusieurs mois de crise politique en France et de quinze jours de climat putschiste en Algérie ? De "l'ambiguïté de son discours". Il doit faire en sorte que "chaque camp projette ses espérances" au travers de ses mots.

Ainsi en va-t-il pour son fameux "Je vous ai compris". On ne discerne pas clairement à qui il s'adresse ni ce qu'il veut dire. Dans la même optique, l'interprétation de son introduction est à géométrie variable et il use d'un vocabulaire dans lequel chacun peut se reconnaître ("fraternité", "rénovation"). Il insiste sur l'égalité des droits entre Européens d'Algérie et musulmans("Il n'y a que des Français à part entière"). S'il rend hommage à la Grande Muette, il n'omet pas de prévenir les militaires : si l'armée se doit d'être "ardente", elle doit être "cohérente" et "disciplinée" (référence au soulèvement d'une partie de l'armée le 13 mai). Parallèlement, il souligne son respect du "courage" des combattants algériens. Mais jamais il ne cite un camp ou l'autre. Et il ne prononce pas l'expression "Algérie française", très attendue par les jusqu'au-boutistes.

Au bout du compte, terminant sur le thème de réconciliation, il fait en sorte que son discours puisse donner lieu à des interprétations diverses. De fait, elles seront nombreuses. Rien n'est réglé en Algérie, mais de Gaulle se prête ici à un remarquable exercice de diplomatie du verbe. Exercice immortalisé par les caméras. Hors caméra et dès sa sortie du balcon, le Général s'enquerra de savoir s'il avait bien touché sa cible : "Ne me suis-je pas trop engagé ?". A posteriori, l'analyse montre que non.

Voir :

- Alain Gérard Slama, La Guerre d'Algérie. Histoire d'une déchirure, Gallimard Découverte, 1996, p. 88

- Jean Lacouture, De Gaulle. Le Politique, 1944-1958, Le Seuil, 1985, p.520

Philippe Tétart

Transcription

Charles (de) Gaulle
Je vous ai compris !
(Silence)
Charles (de) Gaulle
Je sais ce qui s'est passé ici.
(Silence)
Charles (de) Gaulle
Je vois ce que vous avez voulu faire. Je vois que la route que vous avez ouverte en Algérie c'est celle de la rénovation et de la fraternité.
(Silence)
Charles (de) Gaulle
Je dis : la rénovation, à tous égards, mais très justement, vous avez voulu que celle-ci commence par le commencement, c'est-à-dire par nos institutions, et c'est pourquoi me voilà.
(Silence)
Charles (de) Gaulle
Et je dis : la fraternité, parce que vous offrez ce spectacle magnifique d'hommes, qui d'un bout à l'autre, quelque soit leur communauté, communient dans la même ardeur et se tiennent par la main.
(Silence)
Charles (de) Gaulle
Eh bien de tout cela je prends acte, au nom de la France.
(Silence)
Charles (de) Gaulle
Et je déclare qu'à partir d'aujourd'hui la France considère que dans toute l'Algérie il n'y a qu'une seule catégorie d'habitants : il n'y a que des Français à part entière. Des Français à part entière, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs.
(Silence)
Charles (de) Gaulle
Cela signifie qu'il faut ouvrir les voies qui jusqu'à présent étaient fermées devant beaucoup. Cela signifie qu'il faut donner les moyens de vivre à ceux qui ne les avaient pas.
(Silence)
Charles (de) Gaulle
Cela signifie qu'il faut reconnaître la dignité de ceux à qui on la contestait.
(Silence)
Charles (de) Gaulle
Cela veut dire qu'il faut assurer une patrie à ceux qui pouvaient douter d'en avoir une.
(Silence)
Charles (de) Gaulle
L'armée, l'armée française cohérente...
(Silence)
Charles (de) Gaulle
… cohérente, ardente, disciplinée sous les ordres de ses chefs, l'armée éprouvée en tant de circonstances et qui n'en a pas moins accompli ici une oeuvre magnifique de compréhension et de pacification ; l'armée française a été sur cette terre le ferment, le témoin et elle est le garant du mouvement qui s'y est développé. Elle a su endiguer le torrent pour en capter l'énergie. Je lui rends hommage.
(Silence)
Charles (de) Gaulle
Je lui exprime ma confiance ; je compte sur elle pour aujourd'hui et pour demain.
(Silence)
Charles (de) Gaulle
Français à part entière, dans une seule et même, dans un seul et même collège, nous allons le montrer pas plus tard que dans trois mois dans l'occasion solennelle où tous les Français, y compris les 10 millions de Français d'Algérie, auront à décider de leur propre destin.
(Silence)
Charles (de) Gaulle
Pour ces 10 millions de Français-là, leurs suffrages compteront autant que les suffrages de tous les autres.
(Silence)
Charles (de) Gaulle
Je répète : en un seul collège, leurs représentants pour les pouvoirs publics comme le feront tous les autres Français.
(Silence)
Charles (de) Gaulle
Avec ces représentants élus, nous verrons comment faire le reste.
(Silence)
Charles (de) Gaulle
Ah ! Puissent-ils participer en masse à cette immense démonstration, tous ceux de vos villes, de vos douars, de vos plaines, de vos djebels ! Puissent-ils même y participer, ceux-là qui par désespoir ont cru devoir mener sur ce sol un combat dont je reconnais, moi, qu'il est courageux, car le courage ne manque pas sur la terre d'Algérie !
(Silence)
Charles (de) Gaulle
Qu'il est courageux, mais qu'il n'en est pas moins cruel et fratricide ! Moi, de Gaulle, à ceux-là, j'ouvre la porte de la réconciliation.
(Silence)
Charles (de) Gaulle
Jamais plus qu'ici et plus que ce soir, je n'ai senti combien c'est beau, combien c'est grand, combien c'est généreux, la France !
(Silence)
Charles (de) Gaulle
Vive la République ! Vive la France !