L'allocution du général de Gaulle à Alger
Notice
Le 4 juin 1958, deux semaines après avoir été porté au pouvoir en France, le général de Gaulle se rend à Alger, où il prononce un discours historique.
Éclairage
Lors de son retour au pouvoir, au printemps 1958, le général de Gaulle doit gérer une situation très tendue en Algérie depuis la crise du 13 mai. La communauté européenne et une partie de l'armée se radicalisent autour de l'idée d'Algérie française. Ils refusent tout processus d'autonomisation. Ils espèrent que de Gaulle - pourtant indécis sur la nature exacte de l'avenir algérien - devienne leur avocat et le garant du maintien français en Algérie.
Dès qu'il est investi des pleins pouvoirs (2 juin), le Général se rend à Alger (4-7 juin) où l'on attend, dans les milieux européens, qu'il se prononce en faveur de l'Algérie française. En fait, il a trois objectifs : rassurer la population européenne et éviter sa révolte (elle ne ferait qu'aggraver la crise algérienne) ; dire son respect du peuple algérien musulman en guerre ; affirmer sa légitimité des deux côtés de la Méditerranée, auprès des civils comme des militaires.
Les paroles qu'il prononce à cette occasion sont de la plus haute importance. Son "Je vous ai compris. Je sais ce qui s'est passé ici..." est devenu historique. De Gaulle vient avant tout lancer un appel à la concorde et au retour au calme, afin de préparer la France à sortir du bourbier algérien, reléguer la IVe République au magasin des mauvais souvenirs et passer à cette Ve République qu'il a hâte de porter sur les fonds baptismaux. A ces différents titres, ce discours du 4 juin 1958 est un temps fort de l'histoire du XXe siècle.
Forum d'Alger, 4 juin 1958, 19 heures. Face à la foule algéroise, flanqué de Salan (à gauche) et de Soustelle (à droite), le général de Gaulle s'apprête à prononcer un discours clef. Il s'adresse à l'immense foule présente, mais aussi et il le sait, par médias interposés, à l'ensemble de la communauté française. De quelle arme dispose-t-il pour tenter de mettre fin à plusieurs mois de crise politique en France et de quinze jours de climat putschiste en Algérie ? De "l'ambiguïté de son discours". Il doit faire en sorte que "chaque camp projette ses espérances" au travers de ses mots.
Ainsi en va-t-il pour son fameux "Je vous ai compris". On ne discerne pas clairement à qui il s'adresse ni ce qu'il veut dire. Dans la même optique, l'interprétation de son introduction est à géométrie variable et il use d'un vocabulaire dans lequel chacun peut se reconnaître ("fraternité", "rénovation"). Il insiste sur l'égalité des droits entre Européens d'Algérie et musulmans("Il n'y a que des Français à part entière"). S'il rend hommage à la Grande Muette, il n'omet pas de prévenir les militaires : si l'armée se doit d'être "ardente", elle doit être "cohérente" et "disciplinée" (référence au soulèvement d'une partie de l'armée le 13 mai). Parallèlement, il souligne son respect du "courage" des combattants algériens. Mais jamais il ne cite un camp ou l'autre. Et il ne prononce pas l'expression "Algérie française", très attendue par les jusqu'au-boutistes.
Au bout du compte, terminant sur le thème de réconciliation, il fait en sorte que son discours puisse donner lieu à des interprétations diverses. De fait, elles seront nombreuses. Rien n'est réglé en Algérie, mais de Gaulle se prête ici à un remarquable exercice de diplomatie du verbe. Exercice immortalisé par les caméras. Hors caméra et dès sa sortie du balcon, le Général s'enquerra de savoir s'il avait bien touché sa cible : "Ne me suis-je pas trop engagé ?". A posteriori, l'analyse montre que non.
Voir :
- Alain Gérard Slama, La Guerre d'Algérie. Histoire d'une déchirure, Gallimard Découverte, 1996, p. 88
- Jean Lacouture, De Gaulle. Le Politique, 1944-1958, Le Seuil, 1985, p.520