Fin de la semaine des barricades à Alger et entretien avec M. Ben Salem
Notice
Jacques Sallebert en plateau à Alger commente les images de la dernière journée de la semaine des barricades et interviewe un député de la casbah et du quartier musulman, M. Ben Salem, qui réaffirme la fidélité des musulmans d'Alger au Général De Gaulle et désavoue complètement les putschistes de l'Algérie Française.
Éclairage
Entre le 24 janvier et le 1er février 1960, des barricades furent dressées dans la ville d'Alger pour protester contre le transfert du général Massu en métropole. Cette décision faisait suite à un entretien accordé par le général Massu au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung dans lequel ce dernier émettait des doutes quant à la politique du gouvernement. Au cœur de la contestation, des insurgés – dont Pierre Lagaillarde, député d'Alger, Joseph Ortiz (patron du bar Le Forum), Jean-Jacques Susini (président de l'Association générale des étudiants d'Algérie) – qui furent rejoints par des membres des unités territoriales.
Formées de réservistes originaires de l'Algérie, ces unités – créées en 1955 – devaient exercer une action de surveillance en des points sensibles dont la casbah d'Alger (à partir du 5 juin 1958). Trait d'union entre la population et l'armée, elles étaient aussi, de par l'origine de leurs membres, sensibles aux arguments défendant l'Algérie française. Lors de l'insurrection, elles honorèrent donc la mission de force de frappe que leur avait assignée Joseph Ortiz.
Côté gouvernement, la réaction fut immédiate. Depuis le Palais de l'Élysée, dès le 25 janvier, le général de Gaulle prononça un discours radiodiffusé : « L'émeute qui vient d'être déclenchée à Alger est un mauvais coup porté à la France. Un mauvais coup porté à la France en Algérie. Un mauvais coup porté à la France devant le monde. Un mauvais coup porté à la France au sein de la France ». Et le 29, cette fois-ci à la télévision, il déclara : « Si j'ai revêtu l'uniforme pour parler, aujourd'hui, à la télévision, c'est pour marquer que je le fais comme étant le Général de Gaulle aussi bien que le Chef de l'État ». Finalement, ce discours porta ses fruits et vit des insurgés abandonner les barricades.
Mais cet événement qui fit 22 morts et 147 blessés et qui semblait sonner le glas de l'activisme en Algérie, contribua à durcir les positions. En effet, c'est depuis l'Espagne où Joseph Ortiz et Pierre Lagaillarde trouvèrent refuge, que les modalités d'une opposition plus radicale furent pensées.
Correspondant de guerre, Jacques Sallebert (1920-2000) a aussi été l'un des premiers présentateurs du journal télévisé. Dans cette édition de Cinq colonnes à la une, diffusée le 5 février 1960, il commente avec gravité des faits que, selon ses dires, peu d'Algérois ont accepté de commenter : « Je viens de passer 36 heures à Alger, j'y étais encore ce matin, je vous l'ai dit, j'ai eu beaucoup de mal à trouver quelqu'un qui accepte de parler devant les caméras de la télévision française ». C'est donc à un journaliste britannique que les insurgés s'adressent ; une donnée que Jacques Sallebert interprète comme étant un malentendu au regard des moyens déployés par le gouvernement français en Algérie. Le journaliste donne donc la parole à un conseiller municipal pour le quartier de la Casbah, M. Ben Salem, ce dernier étant le seul à avoir accepté de répondre.
M. Ben Salem évoque un courrier envoyé au général de Gaulle dans lequel il a rappelé l'attachement du peuple de la casbah à la France. À cette occasion, il récuse l'idée selon laquelle les musulmans auraient été empêchés par les militaires de s'associer à l'insurrection, expliquant qu'eux-mêmes avaient fait ce choix, opposés qu'ils étaient à la révolte.
Cinq jours après que les armes aient été rendues, le discours de Cinq colonnes à la une est donc celui de la paix retrouvée mais celui aussi de la critique. Une critique emblématique d'une forme de rupture entre la métropole et l'Algérie et dont le journaliste est un acteur. En effet, même si Jacques Sallebert fait état du soutien de la part de certains musulmans, il ne peut taire la colère des Pieds-noirs. Aussi laisse-t-il entrevoir une situation dont on peut penser qu'inéluctablement, elle conduira à l'exacerbation de la violence.