La crise de Bizerte

26 juillet 1961
07m 01s
Réf. 00043

Notice

Résumé :

Retour sur le déroulé des évènements qui ont conduit à une confrontation meurtrière entre Français et Tunisiens à Bizerte en juillet 1961.

Date de diffusion :
26 juillet 1961
Source :

Éclairage

La confrontation meurtrière entre Français et Tunisiens à Bizerte en juillet 1961 apparaît comme la dernière grande crise de la décolonisation en Tunisie. Bien que le pays soit indépendant depuis mars 1956, la France conserve une importante base militaire dans la région de Bizerte, place stratégique en Méditerranée, en particulier dans le cadre du conflit algérien.

Le président de la République tunisienne, qui exige depuis des années l'évacuation de Bizerte, durcit le ton au début de l'été 1961. La perspective de l'indépendance de l'Algérie sous l'égide d'un Front de libération nationale plutôt favorable à Salah Ben Youssef inquiète un Bourguiba isolé dans le monde arabe. Soumis aux pressions du Gouvernement provisoire de la République algérienne, de Nasser, de Ben Youssef exilé au Caire, ainsi que d'une frange du Néo-Destour, il entend réaffirmer face aux critiques sa fermeté à l'égard de l'ancienne puissance coloniale. Convoitant le pétrole saharien, il espère par ailleurs une modification des frontières du sud et cherche un moyen de pousser Paris à la négociation.

Les travaux menés par la France sur la base aéronavale de Sidi Ahmed servent de prétexte pour engager l'épreuve de force. Ils sont lus comme une manifestation de la volonté de de Gaulle de s'installer à demeure à Bizerte. Bourguiba mobilise l'armée et ses partisans en vue de bloquer les positions françaises. Mais les combats qui se déroulent du 19 au 23 juillet se terminent en véritable carnage pour le camp tunisien. Les soldats de la jeune République comme les volontaires du Néo-Destour sont très mal préparés et font peu de poids face aux paras qui s'emparent de nouvelles positions dans Bizerte et sa région. Ainsi, le journaliste des Actualités françaises ne manque pas de souligner le gâchis de vies humaines.

De fait, le reportage, qui retrace le déroulé des événements de juillet, traduit l'abasourdissement de la France face à ce qui lui semble une aventure irréfléchie. Malgré les tensions récurrentes autour de la présence de l'Armée de libération nationale en Tunisie, Bourguiba, loué pour sa raison et sa modération, est considéré comme un appui solide du camp occidental. Le ton particulièrement sévère du commentateur à l'égard du président de la République tunisienne, traité à demi-mot d'inconscient, témoigne d'un sentiment de trahison. Les Français ont-ils cru que Bourguiba voulait se poser en nouveau Nasser (lequel nationalisait, en 1956, le canal de Suez) ? Les images des caisses d'armes soviétiques et américaines montrent plutôt leur perplexité et leur difficulté à interpréter les événements dans un contexte de Guerre froide. Pour les Actualités françaises, il ne fait en tout cas aucun doute : la France est dans la position de l'agressée. Toutefois, le reportage désigne moins comme responsable un pays qu'un homme. La population tunisienne est décrite comme manipulée et enrégimentée et l'on cherche à mettre en avant les images, supposées apaisantes, du drapeau tunisien remis en place par les Français ou encore de la distribution de l'eau par les paras.

Morgan Corriou

Transcription

(Musique)
Journaliste
On pouvait redouter que l’agitation entreprise par le président Bourguiba au début de juillet produise des incidents. On sait maintenant ce qui en est résulté.
(Bruit)
Journaliste
En donnant un tour aïgu à ces revendications sur la base de Bizerte, occupée selon des conventions régulières par la France, celui qu’on donnait pour un homme politique avisé et prudent est arrivé au drame. On sait ce qu’est Bizerte : un goulet étroit qui mène de la mer au lac intérieur, rade magnifique et sûre où pourrait évoluer toute une flotte. Puis, une ville établie sur les bords du goulet, et qui a donné son nom à l’ensemble. Enfin, la base navale créée par la France. Au centre de la Méditerranée, la position de Bizerte est primordiale, puisqu’elle commande le détroit de Sicile. Cette importance a suscité le destin de Bizerte, où les installations de la base, en noir sur la carte, sont dispersées sur les rives du lac. Ces installations, en dehors même de l’amirauté, et des points de mouillage des bâtiments, comportent tous les services annexes d’un port : ateliers, bassin, magasin, caserne, hôpital. Et un aérodrome dont la piste devait être allongée de 2 à 3 mètres. Ce projet, monsieur Bourguiba le transforma en défi. Il décida de bloquer la base de Bizerte. Des milliers de volontaires civils, requis par le Néo-Destour, commencèrent à creuser des tranchées et à établir des barrages, interrompant ainsi la libre circulation entre les services de la base répartie autour du lac. Autour de l’aérodrome, on établit un réseau de tranchées et des emplacements pour l’installation de mortiers et de canons. L’épreuve de force, déjà, se discernait. L’opinion tunisienne, chaque jour chauffée par une propagande incendiaire, suivait le chemin dangereux tracé par son chef. Et l’on en arriva aux manifestations organisées devant l’ambassade de France où, même les femmes, enrégimentées, vinrent prêter un premier concours avant d’être employées, comme on devait le voir plus tard, aux barricades.
(Bruit)
Journaliste
Venus souvent de provinces éloignées, d’autres volontaires, très jeunes pour le plus grand nombre et parfaitement encadrés, se mirent alors en marche sur Bizerte pour achever le blocus. Il n’était pas question, pour les Français, de céder sous la menace. Et les positions de combat prises par les unités de l’armée tunisienne et les volontaires armés qu’on lui avait joints confirmaient la volonté tunisienne d’engager par les armes ce que monsieur Bourguiba nommait, déjà, la « Bataille de Bizerte ». Un avion français essuyait bientôt le feu des Tunisiens. Mais quatre heures devaient passer, et de nouveaux tirs se succédaient avant que l’amiral Amman, chef de la base, décide de répondre.
(Musique)
Journaliste
Du porte-avions Arromanches, croisant au large, les premiers avions étaient alors dépêchés pour dégager les abords de l’aérodrome.
(Bruit)
Journaliste
Puis, aux approches de l’amirauté, la cimenterie, utilisée par les troupes tunisiennes comme base d’action, était neutralisée.
(Bruit)
Journaliste
Il restait à dégager les accès de la base et assurer la libre circulation dans le goulet barré par les Tunisiens. C’est ce que devaient accomplir les unités de parachutistes.
(Bruit)
Journaliste
Les opérations se terminaient par un nettoyage des terrasses où des isolés, ou des bandes plus ou moins contrôlées, tiraient du haut des immeubles.
(Musique)
Journaliste
Le soir, tout était fini. On pouvait dénombrer le matériel de toutes provenances pris aux Tunisiens.
(Musique)
Journaliste
Puis, l’amiral Amman faisait replacer les couleurs tunisiennes sur les bâtiments officiels. Au même instant, le Conseil de sécurité écoutait le délégué français, monsieur Armand Bérard.
Armand Berard
Aucune puissance ne ressent plus douloureusement que la France les événements, aussi regrettables que graves, sur lesquels le Conseil porte aujourd’hui son attention et dont la responsabilité n’incombe, en aucune manière, à mon pays. Le gouvernement français a déjà marqué, dans les communications faites par le chargé d’affaires de France le 13 et le 15 juillet, qu’une solution au problème de Bizerte ne serait être cherchée dans une atmosphère de passion ni sous la menace de manifestations populaires. Si, au contraire, la situation redevenait normale, sans menace ni mise en demeure, une réponse serait adressée au message que le président Bourguiba a fait remettre au général de Gaulle le 7 juillet.
Journaliste
Puis, monsieur Mongi Slim donnait la version tunisienne de l’affaire.
Mongi Slim
Elle propose des négociations pour un cessez-le-feu qui, aux yeux du gouvernement tunisien, ne peut être acceptable que si le principe de l’évacuation définitive et immédiate est acquis en même temps. Par conséquent, Monsieur le Président, la note a été rejetée pour des raisons de forme, aussi bien que pour des raisons de fond.
(Musique)
Journaliste
L’arrêt des hostilités permettrait d’enterrer les cadavres. Le drame avait fait sept cents morts. Il permettrait de rétablir l’électricité et l’eau que les parachutistes distribuaient par les moyens du bord. Il permettrait de rendre son visage à Bizerte. Mais monsieur Bourguiba croyait-il dire si vrai quand, ayant consciemment préparé, lancé et allumé ce conflit, il parlait de : « cette guerre absurde de Bizerte » ?
(Musique)