Avant les jeux Intervilles à Dax
Notice
La ville de Dax se prépare à recevoir les jeux Intervilles. Pendant que les Dacquois attendent confiants le début de la compétition, la famille Marmajou fabrique les traditionnels toros del fuego et la police se montre sereine quant aux éventuels débordements liés aux jeux.
Éclairage
Dax, l'ancienne cité des Tarbelli, est en ébullition en cette fin d'été 1962 : la ville a été choisie comme cadre de la première émission d'Intervilles, créée cette année-là par Guy Lux et Pierre Brive sur l'unique chaîne de la RTF...en noir et blanc. Le jeu consiste en un affrontement amical entre deux villes françaises à travers une série d'épreuves physiques ; ces joutes sont arbitrées par des vachettes landaises, omniprésentes dans l'arène, par Simone Garnier au micro, et commentées de part et d'autre par Guy Lux et Léon Zitrone.
Ce jeu, copié sur l'émission italienne Campanile sera, inspire à son tour le Général de Gaulle qui demande aux "inventeurs" d'Intervilles, dont le succès populaire ne s'est pas fait attendre, d'adapter ce concept à une autre échelle : ainsi apparaît, le 26 mai 1965, Jeux sans frontières qui, sur le même principe, oppose des villes d'Europe occidentale. Après les années de réconciliation, le chef de l'État tient au rapprochement des peuples : l'Office Franco-Allemand pour la Jeunesse (OFAJ) est fondé par le traité de l'Élysée en 1963, l'Office Franco-Québécois pour la Jeunesse (OFQJ) en 1968...
Mais, loin de ces considérations, les Dacquois sont tout à la préparation du choc qui doit affronter, en ce 27 septembre 1962, "le Nord et le Midi", en l'occurrence la petite ville alsacienne de Thann et leur propre cité, héritière d'une longue tradition taurine : une "place", une ville dotée d'arènes. Dax est en effet, depuis l'Antiquité, en étroite relation avec "les Espagnes" et constitue, dès le Ier siècle, un carrefour routier sur le grand axe de communication Trêves-Bordeaux-Mérida. Son prestige s'accroît, au IVe siècle, où elle constitue alors la plus vaste cité du sud de la Garonne et l'une des plus grandes entre la Loire et les Pyrénées [1].
À la lumière de l'Histoire, on comprend, dès lors, que certains linguistes traduisent le latin Aquitania par "pays des Aquenses, habitants de Aquae Tarbellicae" ; on comprend aussi que le culte du taureau y soit ancien, comme les liens avec les "Ibères", et que les Dacquois en liesse, fiers de leur héritage, ne tiennent pas à perdre la face, seize siècles plus tard, dans cette "première" qui comptera dans l'histoire...de la télévision.
Cependant, dans le jeu Intervilles, point de taureau. C'est bien la vache landaise qui est à l'honneur, renouant tout naturellement avec une tradition locale tout aussi ancienne. Connus depuis fort longtemps, les jeux taurins sont en effet attestés une première fois par un texte de 1450 concernant les fêtes de la Saint-Jean à Saint-Sever et, malgré la désapprobation des autorités ecclésiastiques ou laïques, que rapporte régulièrement la chronique, cette coutume ancestrale mais non codifiée, perdure. L'origine de ces jeux remonterait, dit-on , dans les dunes littorales du pays landais ; de jeunes bouviers, chargés de marquer les vaches marines [2] au fer rouge, en profitaient pour pratiquer des sauts au dessus des bêtes plus ou moins entravées par le sable.
Ultime avatar de ce symbole majeur de la fête landaise [3], le toro de fuego ou toro embolado, importé d'outre-Bidassoa, anime donc les nuits de feria ; spectacle pyrotechnique parodiant la corrida, il consiste à lâcher dans la ville un taureau vivant aux cornes duquel sont attachées des "boules" de produits inflammables mais il est généralement remplacé aujourd'hui par un artificier portant sur son dos une armature figurant l'animal, dotée du même système.
Dans ce domaine, à Dax, la famille Marmajou, "de père en fils", s'y connaît ; ce sont eux qui fournissent les munitions, toute une armada de monstres de contre-plaqué équipés d'un système de mise à feu déclenchant, dans le noir, une pluie d'étincelles : une encierro bon enfant génératrice d'anecdotes que l'on se transmet de génération en génération.
Des anecdotes qui passaient les murs de la ville et même les frontières de l'Hexagone avec les émissions télévisées, conçues en ces années d'insouciance, et qui ont longtemps connu un grand succès. Mais les temps changent ; les mentalités aussi. Avec une baisse d'audience significative, l'avenir de ces jeux est aujourd'hui bien remise en question.
[1] BOYRIE-FENIE, Bénédicte , Les Landes. Carte Archéologique de la Gaule, pré-inventaire archéologique publié sous la responsabilité de Michel Provost, Paris : Académie des Inscriptions et Belles Lettres, Ministère de la Culture et de la Francophonie, Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, 1995, 192 pages.
[2] Vaches "marines" ou sauvages vivant aux abords des étangs littoraux landais. Elles sont sur le point de disparaître, à Biscarrosse, en 1963, mais quelques specimens sont miraculeusement épargnés permettant aujourd'hui à des associations gestionnaires des lieux humides de les protéger et d'en assurer la survie.
[3] Selon un dicton chalossais, Nada hèsta shens corsa !, "Pas de fête sans course !"