Interview d'une bergère photographiée par Arnaudin

04 janvier 1974
02m 54s
Réf. 00581

Notice

Résumé :

Au début du XXe siècle, Félix Arnaudin photographiait une jeune Landaise en habit traditionnel de berger, perchée sur des échasses. La voici interviewée, en 1974, dans le cadre d'un documentaire consacré au Parc naturel régional des Landes de Gascogne, témoignant du changement de la lande suite à la plantation massive de pins et de l'activité agro-pastorale aujourd'hui disparue.

Type de média :
Date de diffusion :
04 janvier 1974

Éclairage

Né en 1844 et mort en 1921 à Labouheyre, Félix Arnaudin appartient à une famille de petits propriétaires de la Grande Lande [1]. Il consacre toute son existence à fixer les éléments d'une mutation majeure : le passage du système ancestral fondé sur l'agro-pastoralisme à la sylviculture.

Sa méthode de travail rigoureuse et son enthousiasme lui permettent d'accomplir une œuvre considérable dont il n'a malheureusement pu voir la consécration : " La pensée d'un livre à faire sur notre ancienne Lande n'a jamais cessé de remplir mon esprit ; et l'amour passionné, presque maladif, que, dès le premier âge, je nourrissais pour elle, m'aurait peut-être permis d'en mener quelques parties à bonne fin. Maintenant mon temps est accompli... Réfugié dans le deuil de mon pauvre rêve, inconsolable de n'avoir pu le réaliser, je m'en vais de la vie avec une inexprimable amertume qui assombrit les derniers jours qui me sont encore laissés...".

D'Onesse à Belin, de Cazaux à Roquefort, pendant près de 60 ans, il parcourt, à pied ou à vélo (19 338 km de 1895 à 1920), tout le nord du département. Il collecte, photographie, écrit beaucoup.

Il sauve ainsi de l'oubli un immense patrimoine : des centaines de contes, de proverbes et devinettes, des chants populaires ou des éléments de la vie quotidienne rassemblés dans ses " Grandes notes ". Il rédige également un glossaire gascon-français et aborde aussi l'histoire locale en étudiant notamment la Coutume de Labouheyre dans sa version originale rédigée en latin et en gascon.

Une correspondance avec les plus grands savants de son époque en matière d'ethnologie et de linguistique - près de 600 lettres - met en exergue son ouverture d'esprit et sa culture. Dans son " Journal ", il évoque enfin sa famille, ses chiens, ses parties de chasse, ou ses amours impossibles avec Marie, la servante de ses parents.

Une œuvre immense dans laquelle s'insèrent des centaines de pages intitulées " Histoires naturelles " et " Arnaudin historien " par ceux qui ont eu la lourde charge de rassembler des milliers de documents éparpillés un peu partout au gré des partages familiaux. [2]

C'est donc au soir de sa vie, le 20 octobre 1918 très exactement, qu'il interroge la bergère du quartier de Piaulet [3], à Sabres. Née probablement dans les dernières années du XIXe siècle, elle raconte la fin d'un monde qu'elle décrit très précisément. Avec ses mots. Mais l'univers qu'elle évoque n'est plus tout à fait celui que l'ethnologue a fixé sur ses clichés. La loi de 1857 sur l'assainissement et la mise en valeur des Landes de Gascogne remonte déjà à quelques décennies et les vastes platitudes de sa lande sont déjà bornées par de jeunes pinhadars.

Le document iconographique présenté ici n'est donc qu'un " montage " ; la bergère de Sabres sait utiliser des échasses mais elle n'a jamais gardé de troupeaux. En ce sens, le témoignage est très ambigu, trompeur même pour qui ne connaît pas vraiment l'histoire des Landes.

Ceci n'empêche pas de porter crédit à ses dires quand elle relate les bouleversements qui s'opèrent après le premier conflit mondial. La forêt industrielle couvre effectivement désormais l'ensemble du territoire : "Impossible d'y aller parce que il y a de la forêt maintenant".

Sans nostalgie particulière pour le passé, sans jugement sur les conditions de vie nouvelles, la vieille femme se contente de valider, devant la caméra cette fois, sa condition qui a grandement évolué. Au contraire d'Arnaudin, au contraire de bon nombre de ses semblables qui vécurent si mal la transformation des terrains de parcours en parcelles boisées...[4]

[1] C'est Arnaudin lui-même qui réhabilite cette terminologie : " On l'appelait la Grande-Lande parce que c'était la partie de la Lande sur laquelle les villages s'éloignaient le plus " (Grandes notes, Œuvres complètes, t. VII, Mont-de-Marsan : éditions PNRLG, Bordeaux : éditions Confluences, 2001, p. 553).

[2] L'ensemble de son œuvre, déclinée en 9 tomes, a été publié entre 1994 et 2007 par le Parc Naturel Régional des Landes de Gascogne.

[3] Du gascon piaulet, " petite hauteur ".

[4] La période de transition durant laquelle les anciens terrains de parcours furent vendus pour être ensemencés fut émaillée de nombreux incidents. Les bergers, peu préparés à cette mutation qui allait radicalement changer leurs conditions de vie, se révoltèrent et l'on déplora alors quelques incidents graves (incendies, suicides).

Bénédicte Boyrie-Fénié

Transcription

(Musique)
Journaliste
Deux ou trois générations d’une même famille se trouvaient habituellement réunies sous de tels toits.
(Musique)
Journaliste
Et si les poulaillers étaient si haut perchés, c’était simplement pour mieux protéger les volailles du renard.
(Musique)
Journaliste
L’airial apparaissait alors comme un îlot de colonisation au milieu de la lande marécageuse où les bergers menaient paître leurs moutons.
(Musique)
Journaliste
C’est ici, Madame, que vous avez été photographiée par Monsieur Arnaudin ?
Intervenante
Oui, Monsieur, pas tout à fait ici, hein, peut-être à 100 mètres là, mais c’est impossible d’y aller à présent.
Journaliste
Pourquoi est-ce impossible ?
Intervenante
Eh, parce qu’il y a la forêt, beaucoup !
Journaliste
Parce qu’il n’y avait pas de forêt ?
Intervenante
Ah non, c’était plat !
Journaliste
Complètement plat ?
Intervenante
Ah oui, comme ça !
Journaliste
Pourquoi étiez-vous sur des échasses ?
Intervenante
On m’y a fait monter, on m’a fait essayer d’y monter. Autrement, autrefois, c’était ça, hein, les échasses de bergers.
Journaliste
Il y avait beaucoup de moutons ?
Intervenante
Oh oui, ah ça, oh oui, beaucoup ! A présent, il n’y en a pas mais il y en avait beaucoup.
Journaliste
Quel effet ça vous a fait cette photo à cette époque ?
Intervenante
Rien du tout, j’étais contente parce que Monsieur Arnaudin me disait, il y aura 100 ans que vous serez morte, on vous verra encore, voilà.
Journaliste
Depuis qu’il y a des pins, est-ce que la vie a changé dans la région, vraiment ?
Intervenante
Certainement, la vie a changé parce qu’il n’y avait plus de troupeaux après, quand il y a eu des pins comme ça.
Journaliste
Ça a été un bien ou un mal ?
Intervenante
Oh, ma foi, vous savez, ça a été peut-être un bien pour les gens de la campagne, pour travailler.
Journaliste
Parce que c’était plus dur avec les moutons ?
Intervenante
Il fallait y être tous les jours, hein, il fallait les suivre du matin au soir.
Journaliste
On élevait les moutons, plus pour le fumier qu’ils procuraient que pour leur viande, leur cuir et leur lait. 100 hectares de landes nourrissaient 100 moutons, 100 moutons produisaient par an 60 tonnes de fumier, et 60 tonnes de fumier enrichissaient 2 hectares de champs.
(Musique)