Le président Jacques Chirac en Mayenne

Si on est prêt à sortir des sentiers battus pour faire avancer un projet, régler les difficultés, venir en aide à ceux qui ont besoin, il y a bien-sûr une implication personnelle qui conduit à accepter de prendre des risques et à assumer, pour soi, la part d’inconfort qui est le propre de l’action. En février 2000, dans les salons de la préfecture et du conseil général de la Mayenne, les mots du président de la République Jacques Chirac, en visite dans le département pour deux jours, sonnent comme un nouvel avertissement au Premier ministre de la cohabitation d’alors. Jacques Chirac, sans jamais le citer, tacle le chef du gouvernement Lionel Jospin, nommé le 2 juin 1997. Les deux hommes n’en sont pas à leur coup d’essai en matière d’escarmouches. A peine un mois après avoir nommé son Premier ministre, le président de la République déclare lors du traditionnel entretien télévisé du 14 juillet :  La Constitution prévoit des choses et ces choses donnent, notamment, une prééminence, et je dirais, donnent un peu le dernier mot au président de la République.... La réaction du Premier ministre ne se fait pas attendre et intervient 48 heures plus tard en conseil des ministres : Il n'y a pas de domaine de la politique française où le président aurait le dernier mot.

Même si, en 1999, Jacques Chirac qualifie cette cohabitation de constructive, c’est dans un contexte de divergences de vues entre la droite et la gauche que le déplacement présidentiel se déroule en Mayenne. A l’approche de la présidentielle de 2002, Jacques Chirac n’hésitera pas à dénoncer le manque de volonté d’agir du gouvernement. Lors de son intervention devant les parlementaires et élus mayennais, il donne le ton en pointant du doigt, et du verbe, la distance, trop grande à son goût, entre le gouvernement et le terrain. La technocratie est critiquée et le pouvoir central jugé trop éloigné des édiles qui maillent le pays. Le chef de l’Etat est-il à ce point un visionnaire ou le fonctionnement des hautes instances souffrirait-il d’une forme de surdité quand la France d’en bas s’exprime ? Toujours est-il que la même petite musique sera d’ailleurs rejouée dans les premiers mois du confinement de 2020, et souvent répété depuis. 

Lors de cette visite présidentielle de 2000, les journalistes Elise Lucet, sur le plateau de l’édition nationale du 19/20 de France 3, et Dominique Martinaud qui suit le déplacement du chef de l’Etat en Mayenne commentent ainsi sa posture.  Jacques Chirac se drape dans la toge de la modernité pour mieux enfermer la gauche dans une image passéiste. Il faut reconnaître que tout est orchestré durant ces 48 heures pour mettre en avant les initiatives des collectivités locales, notamment dans le domaine de la haute technologie. En visitant "l'Ingénierium", un centre de réalité virtuelle créé à l’initiative de François d’Aubert, alors maire de Laval, Jacques Chirac, fort studieux, salue cet outil mis au service des petites et moyennes entreprises du département. En leur offrant les moyens et la possibilité de travailler sur des images en 3 D, "l'Ingénierium" propulse la Mayenne dans un futur déjà bien présent. Le président de la République ne se contentera pas d’évoquer le domaine de la high tech au cours de ces 48 heures mayennaises. En effet, depuis le magnifique ensemble conventuel des Ursulines à Château-Gontier, Jacques Chirac lancera, aux côtés de l’écrivain Alexandre Jardin, une vaste réflexion contre l’illettrisme.  

Enfin, en pleine découverte de l’entreprise de pointe de traitement et de stockage de déchets, Séché Environnement à Changé près de Laval, Jacques Chirac ne manque aucune occasion de vanter la démocratie locale au service du développement économique. Les visiteurs présents ce jour-là se demandent même si le président de la République ne va pas faire sienne la célèbre phrase du révolutionnaire Danton : de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace. Trouverait-il à ce point que son Premier ministre en manque ? 

• "1997-2002 : une cohabitation inattendue", site vie-publique.fr