Paysages de la métropole
Introduction
Certes, la métropole ne possède pas un paysage unitaire à la façon des villes historiques denses et circonscrites. C’est une mosaïque de paysages qui s’offre au regard dans l’étendue de l’agglomération. Avec ses 56% d’espaces ruraux, la métropole lilloise est unique dans son rapport à l’espace naturel, par l’imbrication ville-campagne, la prolifération de ses banlieues industrielles et la diversité des pôles urbains qui la structurent. Son profil bas et étalé est caractéristique de son appartenance à la civilisation urbaine de l’Europe du nord-ouest où la tradition de la maison de ville a été longtemps dominante et où seuls les beffrois puis les cheminées d’usines dominaient l’ensemble.
Depuis la création de la communauté urbaine, en quelque cinquante années, le paysage métropolitain est en perpétuelle mutation et tente de se forger une identité par la cohérence des projets qui se succèdent.
Les 30 ans de la communauté urbaine de Lille
Maîtriser le paysage naturel
Le sol-support
Paysage de plaine marqué par quelques ondulations de relief, c’est là le sol-support de l’urbanisation sur des terrains limoneux qui cachent la craie et l’argile des couches géologiques, bases des matériaux de construction de l’habitat. Les carrières de Lezennes en sont un témoignage tout comme les constructions en rouge-barre, alternance de pierre et de brique, encore très visibles dans les édifices ruraux. C’est cependant la brique qui domine la perception que l’on a du paysage urbain métropolitain, façonné essentiellement à partir de la période industrielle du XIXe siècle.
Historique des carrières de Lezennes
La présence de l’eau
L’eau est partout présente comme dans toutes les villes de Flandre et sa maîtrise indispensable à la constructibilité des lieux engendre des créations paysagères exceptionnelles qui font l’identité de notre métropole verte et bleue. S’il ne reste que des souvenirs dans le tracé urbain des canaux de la ville de Lille, les canaux industriels de Tourcoing et Roubaix structurent de nouvelles promenades urbaines. Il faut ici rappeler la formation du Parc Barbieux à Roubaix, un des fleurons du paysage vert métropolitain, à partir d’un projet de canal non achevé.
C’est la présence de l’eau qui initie les grands projets d’espaces de loisirs comme les Prés du Hem et le Parc de la Deûle. C’est encore la maîtrise de l’eau et des terrains marécageux qui dessine la ville nouvelle de Villeneuve d’Ascq, dont la chaîne des lacs est le véritable centre.
Les deux écoquartiers en cours de réalisation, EuraTechnologies avec les rives de la Haute Deûle à Lille et le quartier de l’Union sur le versant nord-est, sont tout deux en bordure de canal et s’emparent du vert et du bleu pour la création de paysages innovants qui intègrent les éléments de nature artificialisés par l’histoire.
Aménagement de la future base de loisirs à Armentières
Le parc de la Deûle
Un paysage urbain composite légué par l'histoire
Le paysage métropolitain est un legs de l’histoire de sa constitution. Il s’agit davantage d’une conurbation que d’un espace unitaire de type radioconcentrique. On peut distinguer cinq pôles urbains majeurs à forte identité : Lille et Armentières, anciennes villes fortifiées, Roubaix et Tourcoing issues de la révolution industrielle, Villeneuve d’Ascq ville nouvelle de la deuxième moitié du XXe siècle. C’est la prolifération des banlieues industrielles et résidentielles qui établit le contact entre les différents pôles pour former une continuité urbaine dont le paysage rural n’est cependant pas exclu.
Lire le paysage urbain : Les maisons de ville et leurs façades
C’est par ses façades que la ville se donne à voir. Ce sont elles qui unifient ou singularisent le paysage urbain dans une agglomération où la maison de ville unifamiliale et jointive reste la figure dominante de la typologie urbaine.
Si les rangs de maisons sont la spécificité de la ville flamande du vieux Lille puis de la ville française du XVIIe siècle, les nouvelles rues qui se couvrent de maisons aux XIXe et début XXe siècles se réfèrent à des styles architecturaux selon les modes du moment. On les retrouve sur les grands boulevards comme sur les rues particulières, de la maison d’employé à l’hôtel de maître. C’est surtout l’apanage d’une nouvelle bourgeoisie fière d’afficher ainsi sa réussite sociale dans le décor urbain. L’ère des « néo » fleurit dans toute l’agglomération : néoclassique sous le Premier Empire, néogothique en relation avec les nouvelles institutions catholiques, mais surtout style éclectique, mélange de toutes les références de l’histoire de la construction, des formes et des matériaux. Les briques s’illuminent de céramiques aux vives couleurs, de pans de bois évoquant l’architecture balnéaire. Les balcons ouvragés et les ouvertures nombreuses donnent vie à la rue en invoquant un nouvel art de vivre en ville à travers toute la métropole, de Lille agrandie à Roubaix et Tourcoing en passant par toutes les communes limitrophes : Lambersart, Mons-en-Baroeul, La Madeleine, Marcq-en-Baroeul pour ne citer que les plus représentatives de ce canon identitaire de l’art urbain. L’Art nouveau et l’Art déco sont présents par deux œuvres magistrales : la maison Coilliot d’Hector Guimard en 1900 à Lille et la villa Cavrois de Robert Mallet-Stevens en 1932 à Croix.
Les façades du début du XXe siècle
La rupture des années 1960
Rénovation urbaine et grands ensembles
Un nouveau paysage s’élabore à partir des années 60 en référence à la doctrine de la modernité issue de la Charte d’Athènes élaborée dans les années 30 sous l’égide de Le Corbusier : fluidité de la circulation, fin de l’imbrication habitat-travail avec la théorie du zoning, grands ensembles d’habitat collectif dans la verdure, zones d’activité périurbaine, grands équipements. Une remise en ordre de l’agglomération s’opère : c’est « la métropole vue du ciel » et non plus de la rue. Cela implique des démolitions de pans entiers de la ville industrielle jugée insalubre et peu conforme au désir de croissance et de représentativité d’une capitale régionale.
C’est l’époque des grands chantiers, de la démolition du quartier Saint-Sauveur à Lille dans la perspective d’un centre directionnel, de la percée de l’avenue des Nations Unies et de l’édification du nouveau quartier Edouard Anselme au centre de Roubaix.
Mais ce sont surtout les constructions de grands ensembles pour répondre au besoin de renouvellement de l’habitat qui banalisent le paysage urbain malgré la grande qualité architecturale de certaines opérations. Le quartier des Hauts Champs ou des Trois Ponts à Roubaix, les ZUP de la Bourgogne et de Beaulieu à Tourcoing et Wattrelos, le Nouveau Mons à Mons-en-Baroeul, les Biscottes à Lille-sud, les Oliveaux à Loos, transforment le profil urbain dans les centres et surtout les périphéries avant que ne se déclenche la marée du pavillonnaire rejoignant l’espace rural.
Villeneuve d’Ascq
La construction de la ville nouvelle de Lille-est, Villeneuve d’Ascq, à partir de 1968, transforme radicalement l’idée du paysage urbain. Ici, un nouvel art de vivre est à l’œuvre ; les espaces de nature, parcs et plans d’eau, sont au centre de l’urbain. L’habitat peut être collectif ou individuel mais il est surtout intermédiaire, entre les deux, pour une vraie densité urbaine tout en préservant le contact avec la nature. C’est une ville-laboratoire aussi sur le plan des circulations : un axe autoroutier dessert des grappes de quartiers bien individualisés où les cheminements doux, piétons et vélos, sont favorisés entre les équipements partout présents et l’habitat. Il s’ensuit que la ville est presque invisible sur une carte ou en photo aérienne, illisible pour celui qui s’y aventure avec en tête les canons de l’art urbain traditionnel.
La ville nouvelle de Lille Est
La conquête du patrimoine
Le Vieux Lille et les centres anciens
Las des destructions trop systématiques sous prétexte de modernisation, la société civile se mobilise en faveur du patrimoine. Un secteur sauvegardé permet de freiner les démolitions dans le Vieux Lille et d’entamer la restauration des éléments architecturaux remarquables comme l’îlot Comtesse et les rangs de maisons du XVIIe siècle. Une dynamique immobilière et commerciale s’ensuit, entraînant le processus de gentrification par exclusion progressive de la population en place et une extension du centre ville à rayonnement métropolitain. L’embellissement de la ville ne se limite pas au secteur sauvegardé ; il concerne les différents édifices classés ou inscrits au titre des monuments historiques qui trouvent de nouvelles affectations comme l’hospice Gantois ou le couvent des Madelonnettes qui deviennent hôtels de prestige.
Le ravalement des façades et le nouveau soin accordé à l’espace public transforment le paysage tout autant que les constructions neuves. La Grand’Place de Roubaix en est un bon exemple.
Projets immobiliers dans le Vieux Lille
Le paysage de l’industrie
Car le patrimoine ne s’arête pas au XVIIIe siècle dans une métropole forgée essentiellement à partir de la Révolution industrielle. Ainsi, Roubaix et Tourcoing vont se doter d’une zone de protection du patrimoine architectural, urbanistique et paysager - ZPPAUP, afin de sauvegarder leur identité. L’emblème du patrimoine industriel reste bien sûr la transformation de l’usine Motte-Bossut en Archives nationales du monde du travail au cœur de Roubaix, qui entraînera une vague de réhabilitation d’usines transformées en lofts après le succès médiatique de la transformation de l’usine Le Blan à Moulins-Lille dès 1976.
Outre ces édifices monumentaux qui sont autant de phares et de points de repères dans le paysage urbain, c’est l’architecture mineure ouvrière qui retient l’attention et devient même l’enjeu de luttes urbaines comme dans le quartier de l’Alma-gare à Roubaix ou plus récemment l’îlot Stephenson à Tourcoing. C’est aussi la reconnaissance d’un mode de vie aidé par la qualité des réalisations constructives comme la cité cheminote de Lille Délivrance, véritable enjeu patrimonial. Même les courées attirent l’attention et certaines seront classées et réhabilitées comme alternative à un logement social en voie de dégradation.
L'îlot Stephenson à Tourcoing : rénovation d'un vieux quartier
Une vision de la ville renouvelée : les grands projets de la métropole
Pôles d’excellence et écoquartiers
Les cinq projets phares, pôles d’excellence voulus par la communauté urbaine dans le cadre de la « ville renouvelée », proposent un paysage complexe comme autant de greffes se distinguant de la ville constituée. Euralille joue la rupture avec son triangle des gares qui se veut à une échelle internationale dans son écriture architecturale avant de s’assagir dans le « bois habité » tout en innovant en matière d’habitat. Eurasanté et la Haute Borne jouent sur la qualité environnementale pour échapper aux réminiscences du zoning. La zone de l’Union et EuraTechnologie avec les Rives de la Haute-Deûle embrassent la complexité tant dans la programmation que dans la forme : activités tertiaires et centres de recherche se mêlent à un habitat dense et économe en énergie dans de vastes parcs paysagers. Le patrimoine industriel y est magnifié sans être prépondérant. La présence de l’eau et des plantations introduit la biodiversité comme valeur esthétique nouvelle dans le paysage urbain. Le label EcoQuartier leur est ainsi décerné.
Les écoquartiers des Rives de la Haute Deûle et du Nouveau Mons
La politique de l’ANRU et la réhabilitation des grands ensembles
L’humanisation des grands ensembles par l’intermédiaire de l’ANRU - agence nationale de rénovation urbaine, gomme en partie la brutalité de cet urbanisme des années 60 pour une meilleure intégration urbaine tant physique que sociale. Après les démolitions-spectacles des années 80, la période est à la déconstruction-reconstruction et à la réhabilitation d’ordre écologique. Introduire la mixité sociale, dédensifier, résidentialiser sont les maîtres-mots de cette nouvelle rénovation urbaine. Le vaste chantier de Lille-sud en lieu et place des « Biscottes », l’ouverture du quartier des Trois Ponts sur la ville de Roubaix en sont des exemples. Plus radical encore à Mons-en-Baroeul, la restructuration du Nouveau Mons permet le passage d’un paysage de ZUP à un paysage d’écoquartier appliquant les préceptes du développement durable en matière d’économie d’énergie et de qualité environnementale.
Rénovations urbaines aux Trois Ponts et à Mons-en-Baroeul
Un nouveau paysage culturel
Le paysage culturel métropolitain s’est élargi depuis Lille Capitale européenne de la culture en 2004. Les maisons Folie en sont le témoignage : elles s’appuient sur un patrimoine historique dans l’hospice d’Havré à Tourcoing ou le Fort de Mons-en-Baroeul, sur un patrimoine industriel à la Condition Publique de Roubaix, à Wazemmes et à Moulins-Lille, ou sur une architecture contemporaine au Colysée de Lambersart. Toutes font signe et irradient une vitalité nouvelle dans les quartiers.
Visite d'une future maison Folie la Condition Publique à Roubaix
L’extension du LAM, musée d’art moderne et contemporain et d’art brut à Villeneuve d’Ascq, la rénovation du musée des Beaux-Arts de Lille, le musée de la Piscine à Roubaix, le MUba Eugène Leroy et le Fresnoy à Tourcoing affirment l’ambition culturelle de la métropole. L’ouverture au public de la villa Cavrois, temple de la modernité, est un gage de son attractivité.
La renaissance de la villa Cavrois
Bibliographie
- Collectif (Auteur), Dominique Rosselle (Introduction), Guide d’architecture de la métropole lilloise, Paris, Ed Le Passage, 2004-2009.
- Collectif (Auteur), La Métropole nord vue du ciel, Vocation et ambition de la communauté urbaine de Lille, Ed Artica 1971.
- Culot Maurice (dir.), Grenier Lise, Weiser-Benedetti Hans, Le Siècle de l’éclectisme, Lille 1830-1930, Paris-Bruxelles, Archives d’Architecture moderne, 1979.
- Agence de développement et d’urbanisme de Lille Métropole, Ecole d’architecture de Lille et des régions Nord, Lille Métropole. Un siècle d’architecture et d’urbanisme 1890-1993, Paris, Le Moniteur, 1993.
- La Ville qui fait signes, sous la direction d’Alain Guiheux, Ed Le Moniteur-Le Fresnoy, 2004.
- Lofts et espaces ouverts dans la métropole lilloise, Geoffroy Deffrennes, Arras, Ed Degeorge, 2011.
- Collectif (Auteur), Métamorphoses. La réutilisation du patrimoine de l’âge industriel dans la métropole lilloise, Bordeaux, Ed. Le Passage-Agence d'Urbanisme de Lille-Métropole, 2013.
- Lille Métropole Laboratoire du renouveau urbain, Sous la direction de Didier Paris et Dominique Mons, Ed Parenthèses, 2009.
- Charte des écoquartiers-LMCU 2008. Document amendé suite à la concertation et l’expérimentation menées en 2008 et 2009, consultable en ligne.