Les friches industrielles des Houillères
Notice
"La France défigurée" s'intéresse aux usines et aux friches qui dénaturent le paysage. Dans le Nord-Pas-de-Calais, les friches sont essentiellement des bâtiments et des chevalements des mines. Interviewé devant la fosse Delloye, Pierre Delmon président des Houillères du Nord et du Pas-de-Calais admet que ces bâtiments devront disparaître pour améliorer l'environnement, aussi faut-il trouver une économie à cette destruction. Pour sa part, Bruno de Rouvre de l'OREAM, regrette qu'il n'y ait pas de législation à cet effet en France, contrairement aux pays voisins. La fosse Delloye est en démolition. Interviewé, un mineur souhaite qu'on en garde une partie, pour la mémoire. Sur ce site a été élaboré un projet de musée.
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Éclairage
Ce reportage n'a qu'un peu plus de 30 ans et donne pourtant une forte impression d'éloignement. Il accumule en effet les prises de vue autour d'anciens bâtiments miniers et surtout de chevalements (ou chevalets), dont on reconnaît aujourd'hui la beauté ou au moins la singularité et qui sont à ce titre conservés (1). C'est un euphémisme de dire que les différents acteurs présentés ici ne s'inscrivent en rien dans cette perspective (le premier à parler est Pierre Delmon, à l'époque président des Houillères du Bassin Nord-Pas-de-Calais). Les traces des installations de surface qui servaient auparavant à l'exploitation minière sont perçues comme autant de stigmates, qui dégradent un peu plus un paysage encore perçu comme un Pays Noir, au sens le plus péjoratif du terme. Le classement des superstructures ne dépend pas de leur qualité esthétique ou de leur ancienneté mais de leur rentabilité au moment de la démolition (les composantes des chevalements métalliques peuvent être en partie revendues, ce qui n'est pas le cas pour ceux qui sont en béton armé).
Il serait cependant injuste et surtout anachronique de dénoncer cette volonté de table-rase. Les acteurs s'inscrivent dans un contexte où l'on valorise encore surtout le patrimoine monumental et les paysages naturels, et ce d'autant plus que s'affirment, au cours des années 1970, les problématiques liées à l'environnement et au cadre de vie. Par ailleurs, les dirigeants des Houillères sont avant tout obsédés par la volonté de gérer la récession au moindre coût et de conserver quand même quelques sources de profit (la revente de la ferraille, des terrains) pour combler un peu leur déficit. Quant aux élus locaux, s'ils entrent souvent en conflit avec l'entreprise concernant le devenir et l'état de ces friches, ils se préoccupent, eux, des questions d'emploi et de reconversion. Redonner une attractivité économique au territoire passe à leurs yeux par un effacement des traces minières, qui paraissent marquées à la fois du sceau de l'obsolescence et de la vieillerie.
Toutefois dès cette époque un certain nombre d'initiatives apparaissant visent à conserver certains éléments du passé minier et à donner ses lettres de noblesse à un nouveau patrimoine. A l'automne de la même année 1979 se tient ainsi à Lille un colloque intitulé "Patrimoine industriel, stratégies pour un avenir". Dès cette date, on voit s'ébaucher dans le bassin du Nord les premières mobilisations visant à la conservation de certains terrils ou à la création de musées de la mine. On en a d'ailleurs un exemple dans le reportage, puisque la fosse évoquée à la fin est la fosse Delloye, c'est-à-dire le site du futur Centre Historique Minier de Lewarde. On pourrait également relever les quelques phrases du mineur qui est interrogé dans les dernières minutes de la séquence. Si celui-ci reconnaît la nécessité de la destruction de ce qui apparaît comme vieux et inutile, il évoque malgré tout timidement la nécessité de garder quand même quelque chose qui fasse lien avec le monde ancien. Il faudra plusieurs décennies pour que cesse cette timidité et pour que l'histoire minière devienne un patrimoine. A l'été 2012, le classement du bassin du Nord par l'Unesco a consacré cette évolution.
(1) Le paysage de la mine, un patrimoine contesté ?, Lewarde, Éditions du Centre Historique Minier, 2009.
Olivier Kourchid, Hélène Melin, "Mobilisations et mémoire du travail dans une grande région : le Nord-Pas-de-Calais et son patrimoine industriel", Le Mouvement social, n°199, 2002, p. 37-59