Les friches industrielles des Houillères

29 novembre 1971
04m 35s
Réf. 00100

Notice

Résumé :

"La France défigurée" s'intéresse aux usines et aux friches qui dénaturent le paysage. Dans le Nord-Pas-de-Calais, les friches sont essentiellement des bâtiments et des chevalements des mines. Interviewé devant la fosse Delloye, Pierre Delmon président des Houillères du Nord et du Pas-de-Calais admet que ces bâtiments devront disparaître pour améliorer l'environnement, aussi faut-il trouver une économie à cette destruction. Pour sa part, Bruno de Rouvre de l'OREAM, regrette qu'il n'y ait pas de législation à cet effet en France, contrairement aux pays voisins. La fosse Delloye est en démolition. Interviewé, un mineur souhaite qu'on en garde une partie, pour la mémoire. Sur ce site a été élaboré un projet de musée.

Type de média :
Date de diffusion :
29 novembre 1971
Source :

Éclairage

Ce reportage n'a qu'un peu plus de 30 ans et donne pourtant une forte impression d'éloignement. Il accumule en effet les prises de vue autour d'anciens bâtiments miniers et surtout de chevalements (ou chevalets), dont on reconnaît aujourd'hui la beauté ou au moins la singularité et qui sont à ce titre conservés (1). C'est un euphémisme de dire que les différents acteurs présentés ici ne s'inscrivent en rien dans cette perspective (le premier à parler est Pierre Delmon, à l'époque président des Houillères du Bassin Nord-Pas-de-Calais). Les traces des installations de surface qui servaient auparavant à l'exploitation minière sont perçues comme autant de stigmates, qui dégradent un peu plus un paysage encore perçu comme un Pays Noir, au sens le plus péjoratif du terme. Le classement des superstructures ne dépend pas de leur qualité esthétique ou de leur ancienneté mais de leur rentabilité au moment de la démolition (les composantes des chevalements métalliques peuvent être en partie revendues, ce qui n'est pas le cas pour ceux qui sont en béton armé).

Il serait cependant injuste et surtout anachronique de dénoncer cette volonté de table-rase. Les acteurs s'inscrivent dans un contexte où l'on valorise encore surtout le patrimoine monumental et les paysages naturels, et ce d'autant plus que s'affirment, au cours des années 1970, les problématiques liées à l'environnement et au cadre de vie. Par ailleurs, les dirigeants des Houillères sont avant tout obsédés par la volonté de gérer la récession au moindre coût et de conserver quand même quelques sources de profit (la revente de la ferraille, des terrains) pour combler un peu leur déficit. Quant aux élus locaux, s'ils entrent souvent en conflit avec l'entreprise concernant le devenir et l'état de ces friches, ils se préoccupent, eux, des questions d'emploi et de reconversion. Redonner une attractivité économique au territoire passe à leurs yeux par un effacement des traces minières, qui paraissent marquées à la fois du sceau de l'obsolescence et de la vieillerie.

Toutefois dès cette époque un certain nombre d'initiatives apparaissant visent à conserver certains éléments du passé minier et à donner ses lettres de noblesse à un nouveau patrimoine. A l'automne de la même année 1979 se tient ainsi à Lille un colloque intitulé "Patrimoine industriel, stratégies pour un avenir". Dès cette date, on voit s'ébaucher dans le bassin du Nord les premières mobilisations visant à la conservation de certains terrils ou à la création de musées de la mine. On en a d'ailleurs un exemple dans le reportage, puisque la fosse évoquée à la fin est la fosse Delloye, c'est-à-dire le site du futur Centre Historique Minier de Lewarde. On pourrait également relever les quelques phrases du mineur qui est interrogé dans les dernières minutes de la séquence. Si celui-ci reconnaît la nécessité de la destruction de ce qui apparaît comme vieux et inutile, il évoque malgré tout timidement la nécessité de garder quand même quelque chose qui fasse lien avec le monde ancien. Il faudra plusieurs décennies pour que cesse cette timidité et pour que l'histoire minière devienne un patrimoine. A l'été 2012, le classement du bassin du Nord par l'Unesco a consacré cette évolution.

(1) Le paysage de la mine, un patrimoine contesté ?, Lewarde, Éditions du Centre Historique Minier, 2009.

Olivier Kourchid, Hélène Melin, "Mobilisations et mémoire du travail dans une grande région : le Nord-Pas-de-Calais et son patrimoine industriel", Le Mouvement social, n°199, 2002, p. 37-59

Marion Fontaine

Transcription

Michel Péricard
Et à propos, parlons des usines désaffectées, que deviennent-elles ?
(Musique)
Michel Péricard
Dans le Nord, il s’agit surtout des bâtiments et des chevalements des mines.
(Musique)
Michel Péricard
Les mines sont fermées, ces bâtiments ne servent plus à rien, pourquoi n’en a-t-on pas encore débarrassé le paysage ?
(Musique)
Pierre Delmon
Après 150 ans d’exploitation de mines, c’est exact, il y a quantité d’installations industrielles, de chevalements, de bâtiments qui sont là et qui devront un jour disparaître pour améliorer ce fameux environnement.
Bruno de Rouvre
Je crois que c’est le fond du parti d'aménagement régional, n’est-ce pas ? C’est d’aller à la reconquête des villes existantes.
Pierre Delmon
Absolument !
Bruno de Rouvre
Retrouver des villes qui soient agréables à vivre et éponger justement tous ces cadavres d’usines comme on le fait en Belgique !
Pierre Delmon
Alors, lorsqu’il s’agit d’installation en béton armé,
Michel Péricard
Ce sont les plus laides !
Pierre Delmon
Qui sont les plus laides, comme par hasard, les frais de démolition ne peuvent absolument pas être couverts par le produit de la vente des matériaux de récupération. En revanche, pour les structures métalliques comme celle-ci, en période de bonne conjoncture sidérurgique, c’est-à-dire, lorsque la demande de ferrailles est importante, il n’y a pas de problème pour vendre ces superstructures. Mais il faut bien reconnaître que, et quelquefois, on nous l’a reproché dans la région, les représentants des collectivités locales, les organismes auxquels nous les vendons n’exploitent que ce qui est rentable. Et il peut toujours subsister des bâtiments et vous avez eu raison de souligner à quel point ces bâtiments dégradent un paysage qui est déjà lui-même bien déparé à bien des égards. A un moment donné, il faudra, comme pour les carcasses des voitures automobiles, prévoir quelque chose. Qui devra payer, est-ce que c’est l’usager, c’est-à-dire l’habitant finalement, est-ce que c’est l’industriel ? Tout ceci demande à être étudié mais dans notre civilisation industrielle, il faudra, c’est certain, prévoir la démolition des bâtiments et des installations hors d’usage.
Bruno de Rouvre
Il y a des législations pour cela dans les pays voisins, pourquoi est-ce qu’en France, on ne serait pas capable de faire ce qu’on fait en Belgique, ce qu’on fait en Allemagne, ce qu’on fait en Angleterre ? En définitif, c’est ça le problème.
(Bruit)
Michel Péricard
Ce carreau de mine près de Douai est en démolition, on est en train de combler le puit.
(Bruit)
Michel Péricard
En même temps, les récupérateurs sont à l’ouvrage.
(Bruit)
Michel Péricard
Seul les intéresse ce qui est négociable, c’est-à-dire les ferrailles. Le reste, et bien, le reste risque fort de demeurer sur place pendant très longtemps.
(Bruit)
Alain Weiller
C’est le dernier jour pour la mine, est-ce que ça vous fait quelque chose ?
Intervenant 3
Bien sûr, étant donné que j’ai terminé ma carrière dans 34 années de service fond.
Alain Weiller
34 années au fond ?
Intervenant 3
34 années, oui.
Alain Weiller
Et ici, on est en train de démolir, est-ce que vous pensez qu’il faut démolir toutes les superstructures des mines ?
Intervenant 3
Ben, bien sûr, il faut tout de même démolir puisque c’est assez vieux aussi. Mais il faut tout de même laisser quelque chose qui nous rappellera un peu l’ancien.
(Musique)
Michel Péricard
Justement, on envisage de créer ici un musée de la mine.
(Musique)
Michel Péricard
C’est une bonne idée à condition qu’il s’agisse d’un véritable musée et non d’un cimetière !
(Musique)