Situation de la grève dans le bassin houiller du Nord et du Pas-de-Calais
Notice
Reportage dans un carreau de mine des Houillères du Nord-Pas-de-Calais. Les mineurs réunis dans la salle des pendus votent à main levée la reconduction de la grève. Interview de mineurs décidés à continuer la grève. Marcel Barrois responsable CGT des mineurs, fait le point sur la grève et indique qu'une déclaration sera diffusée dans laquelle les syndicats affirment leur volonté de voir aboutir les revendications de la corporation minière. Venues en soutien de leurs maris, des femmes de mineurs réagissent sur les maigres salaires qui ne leur permettent pas de boucler leur budget.
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Éclairage
Il y a à peine trois jours que les mineurs ont cessé la production pour participer à la plus grande vague de grèves de notre histoire quand ce reportage sur la situation dans le Nord-Pas-de-Calais en mai 1968 est diffusé.
En ces années 60, la société traverse une ultime phase des Trente Glorieuses socialement bouillonnante. Dans les mines, la grève de 1963 a été un signal d'alarme pour le pouvoir gaulliste. Des mobilisations plus ponctuelles ont ensuite agité une profession comprenant que son âge d'or est derrière elle. Désormais, le thème de la défense de l'emploi et de la production figure en tête des revendications.
Le monde du travail a donc des griefs à faire valoir quand les étudiants s'engagent dans la contestation début mai 1968. La mobilisation du 13 mai, appelée par la CGT, la CFDT et la FEN pour les soutenir, marque le point de départ des grèves qui, entre le 16 et le 18 mai, se généralisent. Les "gueules noires" entrent en action : les premiers puits démarrent le 18, dans le Douaisis et à Lens. Ailleurs, l'extension du conflit se réalise à partir du 20 mai.
Des analogies avec 1936 ne manquent pas d'être faites, ne serait-ce qu'en raison des occupations. Plus largement, les formes de la mobilisation sont classiques, comme l'illustre le reportage. Des assemblées où les ouvriers sont informés de l'état de la grève et votent sa poursuite se tiennent quotidiennement. Les femmes, sensibles au salaire et au coût de la vie, sont une fois encore de fermes soutiens à leurs maris. Autre point important, tant nationalement que dans les puits : les grèves sont menées dans une certaine unité. Chez les mineurs, cela inclut la CGT, la CFDT et FO. En revanche, comme ailleurs, CFTC et CGC "n'ont guère été présentes", ce qui "n'a fait que confirmer leur marginalisation croissante dans un champ syndical polarisé par l'alliance, aussi tumultueuse soit-elle, entre la CGT et la CFDT" (1).
Face à l'intensité de la crise, le gouvernement négocie et, dans la nuit du 26 au 27 mai, le relevé de conclusions de Grenelle est rédigé. Il prévoit des discussions par branche engagées aussitôt dans les Charbonnages. Leur résultat est présenté aux mineurs qui restent insatisfaits. Achille Blondeau, dirigeant de la Fédération CGT du Sous-Sol, l'écrit dans un bilan à chaud : "la grève ne cessa pas dans les Houillères. Que ce soit à mains levées ou à bulletins secrets, les mineurs votèrent la poursuite du mouvement". Pour autant, le gouvernement n'acquiesce pas à de nouvelles négociations dans les Charbonnages. Seule la promesse d'une discussion après la reprise du travail est émise. Les responsables CGT, FO et CFDT appellent finalement à la reprise qui intervient pour l'essentiel les 4-5 juin, alors que le mouvement reflue dans les services publics.
Le protocole d'accord du 7 juin avec les Charbonnages apporte des améliorations sur les salaires, les retraites ou encore la durée du travail. Les Comités d'entreprise, supprimés suite à la grève de 1948, sont rétablis. Et comme il le sera partout avec la loi du 27 décembre 1968 reconnaissant la section syndicale d'entreprise, le militantisme est pleinement admis sur le lieu de travail : "Plus de table à la porte des puits! L'activité syndicale pénétrait à l'intérieur des installations et se voyait attribuer un local spécialement affecté à cet effet" (2).
Mais sur "l'avenir de la profession aucune garantie n'a été obtenue", écrit La Tribune des mineurs du Nord-Pas-de-Calais. La déclaration de l'intersyndicale du 21 mai 1968, lue depuis la Maison syndicale de Lens par le leader régional de la CGT Marcel Barrois, insistait pourtant sur la "sauvegarde et l'avenir de notre industrie charbonnière". Mai-juin 1968 n'y change rien et en décembre, le plan Bettencourt accélère le processus de récession.
(1) Pierre Karila-Cohen et Blaise Wilfert, Leçon d'histoire sur le syndicalisme en France, Paris, PUF, 1998, p. 374.
(2) Jean-Claude Poitou, Nous les mineurs, Paris, Messidor, 1989, p. 157.