Les compagnies minières et la solidarité ouvrière
Notice
Historique de la condition du mineur à l'époque des compagnies minières. Les compagnies minières possédaient tout : maisons, jardins, écoles, dispensaires et églises. C'est un exemple parfait du paternalisme patronal. Face à la toute puissance des compagnies, la solidarité minière se renforce.
Éclairage
Capitaux, technique, main d'œuvre se combinent dans des proportions différentes selon les branches industrielles. La mine a autant besoin des trois, dans d'énormes proportions. Ainsi, dès que l'exploitation commence, une compagnie embauche des centaines, des milliers d'hommes, et emploie aisément 10 000 ouvriers dès le début du XXe siècle, tout un peuple minier, avec les familles. Il lui faut bien sûr les loger et la construction de corons, puis de cités, fait partie des frais d'établissement usuels dont on tient compte en levant le capital. Il lui faut ensuite leur offrir les écoles et les dispensaires, les infrastructures que seraient bien en peine de fournir les communes où elle s'installe, et dont la mairie ne peut guère rivaliser avec les châteaux où sont installés les "grands bureaux". Ainsi l'exploitation minière est-elle naturellement, consubstantiellement paternaliste.
Mais le terme est-il bien choisi ? Le vrai paternalisme supposerait un rapport humain direct, avec un patron que l'on connaît et que l'on voit – c'est par exemple celui des Schneider. Dans le Nord-Pas-de-Calais, rien de tel : comme les sociétés minières, le paternalisme est anonyme, exercé au mieux par l'intermédiaire des ingénieurs. Dès lors, ce contrôle absolu de la main d'œuvre qu'on le soupçonne de vouloir exercer, et que, dans les faits, il exerce de façon plus ou moins stricte, est-il véritablement un projet social ? Nécessaires dans les débuts de l'exploitation, les logements le sont tout autant pour fixer une main d'œuvre qui a le choix et que les compagnies s'arrachent entre elles. Au logement le paternalisme minier, parfois aiguillonné par la loi, ajoute coopératives et caisses de secours. Mais rares sont les compagnies qui, à l'instar de celle de Lens, investissent beaucoup dans les écoles ménagères et les sociétés d'horticulture, dont le but est, effectivement, d'éloigner le mineur du cabaret et du syndicat. Faute de projet social, l'appareil paternaliste sert la répression, laquelle s'exerce aussi différemment selon les dirigeants : ceux des compagnies de Noeux et de Béthune font preuve d'une dureté qu'on ne trouve pas à Lens et encore moins à Liévin. Dans leurs cités, des gardes redoutés font respecter ordre et propreté ; à Bully-les-Mines, ils ferment les grilles des corons en cas de grève, et savent bien qui ose s'abonner au journal socialiste. Dans l'entre-deux-guerres, dès qu'elles n'ont plus de difficultés de recrutement, beaucoup de compagnies n'embauchent pas sans certificat de première communion et de mariage religieux.
La prise en mains de la société minière par les compagnies contribua sans doute à isoler plus encore les mineurs du reste du monde ouvrier qu'ils ne l'étaient naturellement. Mais ses excès engendrèrent le conflit social plus qu'il ne le prévinrent. Et, ironie de l'histoire, le mineur finit par considérer comme un dû ce qu'on voulait lui présenter comme une faveur et s'appropria totalement la cité : les corons, autrefois dénoncés comme des bagnes où l'on enfermait les mineurs, devinrent au bout de quelques décennies les puissantes citadelles du mouvement ouvrier.