L'arrivée du Louvre-Lens vue par les habitants de la Cité 9 de Lens
Notice
Le 29 novembre2004, la ville de Lens était désignée pour accueillir un nouveau musée du Louvre. À l'issue d'un concours d'architectes international, c'est le projet d'un cabinet japonais qui a été retenu. Le musée sera installé dans un lieu très symbolique à proximité immédiate de cités minières rénovées. Rencontre avec les habitants de la cité 9 pour savoir comment ils vivent cette arrivée près de chez eux.
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Éclairage
Le 29 novembre 2004, le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin désigne Lens comme ville d'accueil du nouveau Louvre. Au cours de l'année 2005, l'État, le musée du Louvre et les collectivités locales (en particulier la Région, le principal financeur) définissent les conditions de réalisation du futur musée. A la fin de l'année, après un concours international, l'agence d'architecture japonaise Sanaa est désignée pour édifier le bâtiment. Le projet démontre à quel point les échelles se réarticulent et se mêlent dans le contexte de la mondialisation. L'architecte est asiatique et compte parmi ses réalisations notables le nouveau musée d'art contemporain de New-York (New Museum of Contemporary Art). Il est amené ici à travailler en France, en plein cœur d'une agglomération longtemps structurée par l'extraction du charbon. Le poids de cet héritage minier d'ailleurs est palpable. Le site choisi est un ancien carreau de fosse (la fosse 9 de Lens), à la périphérie ouest de la ville, non loin de cette autre trace minière qu'est le stade Félix Bollaert (il a été construit par la Compagnie des mines de Lens). Comme souvent, le carreau de fosse a été intégralement arasé et débarrassé de ses installations (chevalements et autres) pour ne laisser qu'un vaste espace vert, coincé entre plusieurs anciennes cités ouvrières. Dans ces conditions, la fonction dévolue au Louvre-Lens n'est pas sans ambiguïté : en s'installant dans ce vide, le musée vient-il pérenniser une certaine mémoire minière, inscrite dans le territoire, ou achève-t-il au contraire de l'effacer ?
L'indétermination est aussi perceptible s'agissant du rapport entre le futur musée et la population locale. On a en général, dans les dernières décennies, beaucoup mis en avant la mission d'intégration sociale des musées et la nécessité pour eux de partir, de manière volontariste, à la conquête de nouveaux publics. Cette nécessité est rappelée plus souvent encore dans le cas du Louvre-Lens. Aux yeux des décideurs et des élus, celui-ci ne doit pas être une structure déterritorialisée, ouverte avant tout au tourisme international. Il doit au contraire s'insérer dans une population locale, d'anciens ouvriers et de nouvelles classes populaires, marqués pour beaucoup par un sentiment d'éloignement et d'indignité face à la culture légitime et aux pratiques associées, telle que la fréquentation du musée (1). Le reportage présenté ici montre cependant que ces populations (les anciens mineurs et leurs veuves, mais aussi les habitants venus s'installer dans les logements sociaux que deviennent les cités) ne restent pas passives. Si certains explicitent leur rejet (évoquant notamment l'inutilité d'un tel équipement), d'autres déploient de multiples stratégies d'appropriation. Ils le font en reprenant et en adaptant les arguments du discours public sur le musée, qui à leurs yeux peut servir à les valoriser mais aussi à dynamiser les discussions entre voisins. L'un d'eux tente aussi, de manière très originale, de faire le lien entre des expériences intimes (la première descente au fond) et l'expérience du contact avec le nouveau bâtiment. Le rapport à venir de la population locale avec le musée ne pourra sans doute pas se résumer à des stéréotypes populistes (la découverte miraculeuse de la culture) ou misérabilistes (l'éloignement irrémédiable d'avec l'art). Au moment où le Louvre-Lens ouvre ses portes (le 4 décembre 2012, le jour de la Sainte-Barbe, patronne des mineurs), ce rapport reste encore à définir et nul ne peut encore connaître ce que les habitants de l'ex-Bassin minier feront de ce qui sera, ou pas, "leur" grand musée.
(1) Voir sur ce point toute la sociologie des publics des musées développée dans la lignée du travail fondateur de Pierre Bourdieu et Alain Darbel, L'amour de l'art. Les musées d'art européens et leur public, Paris, Éditions de Minuit, 1966/