François Mitterrand s'exprime sur la crise de la sidérurgie française

04 avril 1984
05m 19s
Réf. 00119

Notice

Résumé :
Extrait de la conférence de presse de François Mitterrand sur la sidérurgie et la restructuration industrielle destinée à recréer de l'emploi.
Date de diffusion :
04 avril 1984
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Éclairage

Lorsque François Mitterrand prend la parole en ouverture de la troisième conférence de presse élyséenne organisée depuis le début de son septennat, l’économie française traverse une phase de crise aiguë. Alors que le chômage avait été contenu autour du chiffre de deux millions de demandeurs d’emplois jusqu’à la mi-1983, les dix-huit mois qui suivent sont catastrophiques. Fin 1984, c’est près de 2,5 millions de personnes qui cherchent du travail sans en trouver.

Cette poussée de fièvre est très largement alimentée par les difficultés dramatiques d’un certain nombre de secteurs industriels anciens. Automobile, chantiers navals, sidérurgie, charbonnages : par dizaines de milliers, les suppressions d’emploi se multiplient. Les entreprises concernées sont pour beaucoup nationalisées, et c’est donc l’État qui met en place directement les mesures de réduction d’effectifs, au moyen d’un plan de restructurations industrielles annoncé en février 1984.

Pour compenser la brutalité de la chute des effectifs, le gouvernement Mauroy les accompagne d’un important dispositif social, consistant notamment en la création de « congés de conversion », par lequel l’État finance la réorientation vers d’autres activités des salariés des secteurs concernés. C’est cette mesure que François Mitterrand s’attache à défendre ici, de même qu’il cherche à rassurer les régions et populations concernées en essayant de leur dresser des perspectives d’avenir.

C’est que le plan gouvernemental a fait l’effet d’un choc, surtout dans la sidérurgie, et tout spécialement en Lorraine, où la désillusion est à la hauteur des espoirs mis dans la gauche. À la fin des années 1970, François Mitterrand avait en effet soutenu les mouvements sociaux de sidérurgistes qui contestaient les plans de restructuration du gouvernement Barre. La région avait par ailleurs mis ses espoirs dans la construction d’un futur « train universel », un équipement aussi coûteux que moderne, qui aurait été capable de produire tous les types de produits profilés.

Après de longues hésitations, le gouvernement, lors du Conseil des ministres du 29 mars, finit cependant par rejeter cette option. Cette décision, ressentie comme une trahison, embrase toute la région : les manifestations, parfois émaillées d’incidents, se succèdent jusqu’à un grand défilé organisé à Paris le 13 avril, sans parvenir à infléchir le pouvoir.
Matthieu Tracol

Transcription

François Mitterrand
On employait 150 000 travailleurs à la sidérurgie en 1966-70, 110 000 en 1981 et même un peu moins, aujourd’hui 90 000. Et comme cette industrie est concentrée sur quelques zones, sur quelques points que vous connaissez, cela suppose des régions dévastées, j’en parlerai dans un moment. Face à cette situation, qu’à donc prévu le Gouvernement au cours d’un récent Conseil des Ministres, quel est ce plan tant débattu, tant discuté, tant contesté ? Et on en comprend les raisons. D’abord, des dispositions industrielles sur la base d’investissements nouveaux par exemple Sacilor, Sollac, Dunkerque, la SAFE société près de Pompey, Hayange, Valenciennes, Longwy, Neufmaison. Des modernisations qui permettront une production compétitive mais qui supposent, en raison de cette modernisation même, des suppressions d’emplois. Et deux sites celui de Rombas en Lorraine et celui de Fos dans les Bouches-du-Rhône, qui se trouvent frappés en plein coeur. Dispositions financières, on consacrera en raison de ce plan, à la sidérurgie entre 1984 et 1987, 27 à 30 milliards de Francs en plus de ceux dont j’ai parlé. Dont 15 milliards d’investissement à l’intérieur desquels 7 milliards pour la Lorraine. Des dispositions sociales, la première, évidente, considérable, s’il y a 21 000, 25 000, 27 000, je ne sais, suppressions d’emploi, il n’y aura pas un licenciement. Les travailleurs se verront proposer deux issues différentes. La première, les préretraites en raison du dispositif prévu déjà dans le cadre de la sidérurgie et les congés conversion. Les congés de conversion dont le Premier Ministre a souvent et plusieurs fois saisi le Parlement et qui consistent à ce que tout travailleur frappé par une suppression d’emploi et non pas licencié, restant donc attaché à l’entreprise où il se trouve, pourra, pendant deux ans, se former à des technologies nouvelles, y compris bien entendu des technologies dans la sidérurgie même, mais aussi dans toute discipline industrielle utile. Deux ans me direz-vous, c’est bien long. Mais ces deux ans ont été édictés non pas pour supposer que les travailleurs vont retourner à l’école pour deux ans et quel que soit leur âge, non ! Mais pour que l’on soit assuré qu’après cinq mois, six mois, sept mois, selon la capacité, selon l’intérêt, selon la commodité de telle ou telle forme de technologie, chaque femme ou chaque homme qui bénéficiera d’un congé de conversion puisse trouver un travail. Et si au bout de six mois, on est formé, il n’est pas dit qu’il y aura là à proximité l’entreprise capable de le recueillir et de l’employer et de lui donner une nouvelle chance. Voilà pourquoi deux ans, ce qui veut dire que l’on s’engage dans les deux ans qui viennent à transférer ou à créer dans les régions sinistrées, et je pense d’abord à la Lorraine, assez d’entreprises nouvelles pour que les créations d’emplois se multiplient enfin.