Débat Mitterrand/Barre sur la politique économique

12 mai 1977
03m 59s
Réf. 00038

Notice

Résumé :
Extrait d'un débat entre Raymond Barre, premier ministre et François Mitterrand, premier secrétaire du parti socialiste, sur la politique économique de la France. François Mitterrand interroge le premier ministre sur sa politique et notamment sur sa réaction à la montée de la contrainte internationale depuis le début des années 1970.
Type de média :
Date de diffusion :
12 mai 1977
Source :
TF1 (Collection: L'événement )

Éclairage

Ce débat télévisé oppose, à dix mois des élections législatives de mars 1978, le Premier ministre français et ministre de l’Économie et des Finances Raymond Barre, au leader de l'opposition et premier secrétaire du parti socialiste François Mitterrand. Raymond Barre est alors contesté par une partie croissante de la population (80% des Français jugeant inefficace sa lutte contre la hausse des prix) et par une partie de la majorité parlementaire, qui vient notamment de le contraindre à remanier un projet de réforme de la taxe professionnelle.

Dans cet extrait, François Mitterrand demande au Premier ministre, nommé le 25 août 1976 par Valéry Giscard d'Estaing, de rendre des comptes sur son bilan économique. Il évoque les déséquilibres internationaux, particulièrement depuis la chute du système monétaire international dit de Bretton Woods, officialisé par la décision du président américain Richard Nixon d'abandonner unilatéralement la parité-or du dollar en août 1971. Le flottement généralisé des monnaies qui s'en est suivi, même s'il a été tenté de le tempérer par la création en 1973 du serpent monétaire européen, a conduit à une spéculation à la hausse sur certaines monnaies fortes comme le yen japonais ou le deutsche mark, provoquant contre le franc une dépréciation génératrice d'inflation, renforcée en 1973 par l'éclatement du premier choc pétrolier.

François Mitterrand reproche enfin à Raymond Barre l'inefficacité de sa politique contre l'inflation, et son incapacité à juguler un mal que le premier secrétaire du PS attribue aux ambitions de profit de la finance internationale. Il met ainsi implicitement en doute sa capacité à protéger les travailleurs français, rappelant l'expérience du "plan Barre", qui dans le secteur sidérurgique s'était par exemple traduit par la quasi-nationalisation des entreprises concernées mais aussi par la suppression de dizaines de milliers d'emplois, donnant lieu à un mouvement social d'ampleur.
Vincent Duchaussoy

Transcription

François Mitterrand
Que faites-vous dans cette crise ? Comment servez-vous les intérêts de la France ? Comment y parez-vous, et quelle est votre explication ? Moi, j’ai déjà dit, il n’y a pas de système monétaire international, ce qui veut dire, les États-Unis d’Amérique ont depuis 1970-71, assuré leur domination monétaire. Que fait la France en face de cela ? Et quand je dis les États-Unis d’Amérique, je veux dire aussi, il y a tout le monde du grand capitalisme, arrivé au terme du processus international, c’est ce qu’on appelle, ceux qui m’écoutent me comprendront, si on veut bien s’expliquer, les sociétés multinationales; des puissances colossales souvent plus puissantes que les États. Et ces sociétés multinationales veulent à tout prix préserver leur profit, un profit attaqué de toutes parts, attaqué d’abord par les besoins de la recherche, la science et la technique, il faut renouveler constamment les objets. Attaqué aussi par la lutte sociale, bien entendu, ceux qui travaillent veulent recevoir une part de ce profit. Menacés, on en reparlera, mais en tout cas, ils veulent à tout prix maintenir leur profit, alors, ils entretiennent l’inflation, ils montent les prix artificiellement, ils sont les maîtres du monde. Les gouvernements capitalistes du monde occidental sont, en le sachant sans le savoir, dans cet ordre de pensée, vont dans la même direction, subissent et acceptent. Il y a toute une large part d’inflation préfabriquée par la politique internationale des plus grands groupes. En même temps que se développe une politique ou une stratégie du chômage, car à mesure que se développent les concentrations, que disparaissent de France, de nos petites villes, des usines qui appartiennent déjà à des capitaux étrangers, en même temps, l’emploi s’en va. Cette société n’a pas su prévoir le développement du machinisme. Elle cherche déjà un peu partout dans le monde le travail au plus bas prix, on exploite les travailleurs du tiers-monde pour obtenir des marchandises à vil prix que l’on vend pour nous faire concurrence, ensuite, dans les vieux pays industrialisés. Voilà une explication. Si, donc, vous ne luttez pas, comme il convient contre ces forces qui nous oppriment, tous, vous ne faites pas votre devoir. Alors, voilà pourquoi, je passe directement de cette crise internationale dont j’ai donné quelques éléments trop hâtifs, mais c’est un peu l’obligation que j’ai de vous laisser vous expliquer, c’est bien normal et je le comprends. Et on m’excusera de ne pas pouvoir expliquer plus à fond, mais à partir de là, vous, vous êtes le chef du gouvernement de la France; et qu’est-ce que vous faites ? De quelle façon tentez-vous de parer aux difficultés extérieures ? De quelles façons essayez-vous de tirer le jeu de la France, dans cette domination internationale ? Vous avez fait un plan, enfin, vous avez rejeté le nom... Vous avez fait des propositions au mois de septembre, vous venez d’en reprendre tout récemment, vous êtes en plein engagé dans cette action : alors moi, je vous pose la question, chacun sait bien que la situation politique, pour vous, est devenue très dangereuse, tout le monde sait que vous êtes combattu à l’intérieur de votre majorité, tout le monde sait que pour l’instant, la majorité des Français ne vous suit pas, ne vous écoute pas, quelquefois même, vous rejette... Tout le monde sait que en regard à la fois pour notre mérite, mais peut-être aussi parce qu’elle vous refuse, quand je dis vous, bien entendu, je fais état de la politique que vous faites, la gauche, et notamment le Parti socialiste se trouve reçu, accepté désiré par les Français. Alors, la question qui me vient à l’esprit, et j’en ai fini, la première, c’est celle-ci : Monsieur le Premier ministre, dans quel état allez-vous nous laisser les affaires de la France ?