François Mitterrand justifie la troisième dévaluation du franc

23 mars 1983
07m 36s
Réf. 00040

Notice

Résumé :
Extrait de l'allocution de François Mitterrand, président de la République, prononcée à l'occasion de la troisième dévaluation du franc depuis 1981.
Type de média :
Date de diffusion :
23 mars 1983
Source :

Éclairage

Le président Mitterrand s'adresse aux Français alors que la France vient de procéder, de concert avec ses partenaires européens, à un troisième réalignement des parités au sein du Système monétaire européen (SME), dévaluant une nouvelle fois la devise nationale par rapport au deutsche mark. Cette dévaluation, la troisième en dix-huit mois après celles d'octobre 1981 et de juin 1982, est accompagné d'un nouveau "plan d'accompagnement", train de mesures de rigueur budgétaires alors que juin 1982 avait déjà été marqué par les prix et les salaires.

Dans son discours, le président de la République, tout en défendant la continuité de la politique suivie et le bilan des deux premières années du septennat, dessine un nouveau contour aux priorités de son action. L'inflation est désignée comme le mal principal qui ronge l'économie française, renouant ainsi avec le discours offensif du candidat Mitterrand sur cette question pendant la campagne présidentielle. Il est vrai que la France présente encore, en 1983, une hausse des prix supérieure à la moyenne des pays de la C.E.E., et doublement supérieure à celle de l'Allemagne. Le président présente ce résultat comme la conséquence des réformes entreprises depuis 1981 et de la hausse moindre du chômage en France que dans d'autres États européens. Ce discours prend acte dans une certaine mesure de l'échec de la relance de la consommation, certes d'ampleur modeste, opérée en mai 1981 et qui se reporte davantage sur des produits importés, d'où l'appel du président à une consommation raisonnée et au patriotisme économique.

Enfin, si la lutte contre l'inflation est l'objectif majeur assigné au gouvernement - à la tête duquel Pierre Mauroy vient d'être confirmé - le cadre européen de l'action politique française est réaffirmé. La réorientation de la politique suivie est ainsi présentée comme une contingence liée à la nécessité de poursuivre l’œuvre de construction européenne et de ne pas "isoler la France". Il faut dire que la préparation de cette troisième d'évaluation et du plan de rigueur qui l'accompagne a été marquée, au sein de l'exécutif comme du parti socialiste, par un débat sur l'opportunité d'une sortie de la France du SME. Pour ses partisans, une sortie présentait l'avantage de s'affranchir des règles de convergence économique, notamment avec l'Allemagne, et de rejeter la responsabilité des résultats sur le manque de solidarité de celle-ci. L'intervention du président de la République réaffirme au contraire l'engagement européen de la France, l'Europe étant présentée comme le moyen pour la France de peser de tout son poids à l'échelle du monde.
Vincent Duchaussoy

Transcription

(Musique)
François Mitterrand
Françaises, Français, au jour et à l’heure convenus, me voici devant vous et pour vous dire où nous en sommes, où nous allons. Ma tâche, en ce moment de notre histoire, est d’assurer la conduite du pays, de connaître pour les comprendre vos aspirations, vos besoins, de vous montrer la route à suivre et de vous faire partager autant qu’il m’est possible la conviction que j’ai de l’intérêt national. Cette tâche est belle et difficile, vous m’en avez confié l’honneur, j’en assumerai toute la charge. Les 6 et 13 mars derniers, vous vous êtes exprimés. J’ai perçu, moi aussi, dans les résultats du premier tour des élections municipales l’expression de votre inquiétude, même si, au second tour, la confiance l’a emporté en fin de compte sur le doute. Mais le réalignement monétaire décidé lundi à Bruxelles a rendu plus actuelle encore cette interrogation : la politique engagée depuis le mois de mai 1981 est-elle bonne pour la France ? Puisque j’en ai pris la responsabilité, il m’appartient de vous répondre, et je le ferai sans détour. Oui, cette politique est bonne parce qu’elle est nécessaire pour qui veut changer la société française en ce qu’elle a d’injuste pour le plus grand nombre de ceux qui la composent, et qui lui apportent par leur travail, et leur talent, sa richesse principale qu’est la ressource humaine. Oui, cette politique est bonne pour qui sait les contraintes qu’impose un environnement international soumis à d’autres politiques économiques que la nôtre. Or, nous n’avons pas voulu et nous ne voulons pas isoler la France de la Communauté européenne dont nous sommes partie prenante, la séparer du mouvement qui porte cette Europe à devenir enfin l’un des grands partenaires du monde; comme nous n’avons pas voulu, et nous ne voulons pas, quelque réserve que nous fassions, nous éloigner de l’alliance sur laquelle repose une part de notre sécurité. De la sorte, nous avons pris des risques, ce sont ceux que peut prendre une Nation comme la nôtre, sûre et fière de son droit à l’indépendance de ses choix. En dépit des difficultés, nous avons progressé sur ce chemin ardu, réalisé en peu de mois plus de réformes, plus d’avancées sociales que la France n’en avait connues durant un demi-siècle. Mais maintenant, nous avons plus que jamais à vaincre sur trois fronts : le chômage, l’inflation, le commerce extérieur. Le chômage, il y a 35 millions de chômeurs dans les seuls pays industriels qui sont pourtant privilégiés : 13 millions aux États-Unis d’Amérique, 12 millions dans la Communauté, en Allemagne plus de 2 millions et demi, en France, 2 millions. Tragique litanie... En un an, exactement 14 mois, le chômage s’est accru de 29% en Allemagne, de 22% aux Etats-Unis, en France, 4%. Mais, la limitation de la croissance du chômage a entraîné pour nous un effort financier qui n’a pas permis de réduire l’inflation aussi rapidement que chez d’autres. Quant à cette inflation, c’est une triste histoire, qui a commencé avec le choc pétrolier de 1973. Ceux qui gouvernaient à l’époque ont vu le franc perdre en sept ans 40% de sa valeur par rapport au mark, et nous, nous avons dû, à notre tour, dévaluer trois fois. C’est une loi à laquelle nul n’échappe, un pays dont la hausse des prix dépasse celle de ses voisins est condamné à dévaluer d’une façon ou d’une autre. Telle est la vérité, je devais vous la dire, sans chercher d’excuse trompeuse. Mais elle nous dicte notre devoir, il est temps, grand temps, d’arrêter la machine infernale. Combattre d’inflation, c’est sauver la monnaie et le pouvoir d’achat. Voilà pourquoi je lutterai, et le gouvernement avec moi, de toutes nos forces contre ce mal, et mobiliserai le pays à cette fin. Une première bataille a été gagnée l’an dernier : nous avions hérité d’une hausse des prix de près de 14%, nous l’avons ramenée au-dessous de 10, ce n’est pas suffisant, il faut aller plus loin ! Mais je pose la question : sans vous, que pouvons-nous faire ? Cette bataille est la vôtre aussi, et il en va de même face à l’autre mal qui nous ronge; le déficit insupportable de notre commerce extérieur et l’endettement qui en découle. Et je vous pose à nouveau la question, sans vous, que pouvons-nous faire ? Car votre rôle est décisif... Partout où l’on fabrique, et partout où l’on crée, partout où l’on achète, partout où l’on échange... Dans votre manière de vivre, de consommer et même de voyager, vous devez préférer à qualité égale les productions françaises. Choisir et épargner, épargner quand on le peut, plutôt que de consommer lorsque c’est superflu, c’est l’exigence de base pour servir le pays et préparer son avenir. J’ai chargé Monsieur Pierre Mauroy de mener cette action, il a constitué son gouvernement dans cet objet. Ce que j’attends de lui n’est pas de mettre en oeuvre je ne sais quelle forme d’austérité nouvelle, mais de continuer l’oeuvre entreprise adaptée à la rigueur des temps, pour que nous sortions au plus vite du creux de la tempête.