François Mitterrand à Rouen évoque les problèmes de liberté et d'inflation

25 avril 1974
06m 03s
Réf. 00104

Notice

Résumé :
En meeting à Rouen, dans le cadre de la campagne du premier tour de l'élection présidentielle de 1974, François Mitterrand dénonce la politique laxiste du pouvoir sortant en matière de lutte contre l'inflation.
Date de diffusion :
25 avril 1974
Source :

Éclairage

À quinze jours du premier tour de l'élection présidentielle de 1974, François Mitterrand, candidat commun de la gauche et premier secrétaire du parti socialiste, est en meeting à Rouen devant près de 5.000 personnes. Il consacre notamment une large part de son discours à l'inflation, qui ruine les petits patrimoines des salariés et des agriculteurs, et dont il accuse le gouvernement précédent de s'être accommodé.

L'attaque n'est pas anodine. Les deux principaux concurrents de François Mitterrand dans cette élection ne sont autres que Jacques Chaban-Delmas, premier ministre de Georges Pompidou pendant trois ans (juin 1969 - juillet 1972) et Valéry Giscard d'Estaing, alors ministre de l'Économie et des Finances depuis cinq ans.  S'attaquer à l'inflation permet ainsi au candidat Mitterrand de s'en prendre directement au bilan de ses adversaires. Valéry Giscard d'Estaing est ainsi qualifié de "Monsieur 1% par mois", en référence à cette inflation galopante dont Mitterrand dénonce l'injustice sociale en ce qu'elle frappe les pauvres plus durement encore.

François Mitterrand promet ainsi de s'attaquer à l'inflation et par ce biais de rétablir la confiance envers la devise nationale, qu'il entend arrimer de nouveau au serpent monétaire européen, qu'elle avait dû quitter sous le gouvernement sortant. Il s'agit, dit-il, d'un préalable indispensable à la restauration de la confiance des partenaires européens de la France au sein du Marché commun, et donc de la poursuite de la construction européenne.
Vincent Duchaussoy

Transcription

François Mitterrand
Il s’agit, le 5 mai prochain, c’est bientôt, ou le 19, d’élire un Président de la République, le 5 ou le 19, c’est votre affaire.
(Bruit)
François Mitterrand
Je ne suis pas, je ne suis pas à 15 jours près, mais si ça doit finir de toute manière comme cela, il vaudrait mieux le faire tout de suite. Ce serait une économie considérable d’attente, et le cas échéant, d’inquiétude pour la France. Ce serait du temps et de l’argent gagnés sur l’inflation. Ce serait une chance supplémentaire d’avancer d’un pas rapide sur la voie qu’ensemble, nous avons décidé. En vérité, la puissance de la France aujourd’hui, elle est faite sur la base suivante. Taux de croissance, oui, qui fait cette croissance, qui la paie et qui en reçoit les fruits ? Et la réponse vient aussitôt lorsque l’on sait que les travailleurs français, les salariés et les agriculteurs sont ceux qui supportent aujourd’hui la plus forte hausse des prix au sein du marché commun. On nous avait annoncé il y a quelques années 3%, ça a été 5%. On nous a annoncé 6%, ça a été 10%. On est passé à 10%, ça a monté à 12%, nous sommes à 15. Et du moment qu’on nous dit 15, attendez les 18. 18% d’inflation, cela représente une formidable quantité de fausse monnaie répandue à l’heure actuelle dans notre économie. Et chacun sait que l’inflation, si c’est un impôt pour les petits patrimoines, c’est une subvention pour les grandes fortunes. Alors, le pouvoir actuel s’est installé dans l’inflation, cela ne le gênait pas. Il s’en est accommodé se contentant de dire, il me suffira d’avoir un train galopant qui galope un peu moins vite que mes plus puissants voisins, je veux dire l’Allemagne. Le pari de Monsieur Giscard d’Estaing étant manqué, les millions et les millions de travailleurs, et je pense surtout aux ménagères qui se rendent sur le marché, savent bien qu’avec un salaire, qui lui, a pris du retard et je vais vous en parler ; il convient maintenant d’acheter des produits de première nécessité frappés par un lourd impôt qui s’appelle la TVA. C’est-à-dire un impôt indirect qui frappe également le pauvre et le riche, ce qui veut dire inégalement car le pauvre a les mêmes besoins que le riche pour sa nourriture et pour son vêtement. Ce qui veut dire qu’en vérité, la ménagère apprend tous les jours que les statistiques, les indices, la façon dont on bâtit tous ces calculs ne correspond en rien à la réalité. Si la moyenne française est de 15%, la ménagère, femme du travailleur, paie davantage. Il existe depuis très longtemps, ça fait bientôt 200 ans, des principes qu’on appelle les grands principes et qui se sont identifiés à la première grande révolution libérale où l’on ne songeait pas encore à la démocratie économique et sociale à laquelle nous sommes attachés mais à la démocratie politique. N’était pas encore née la société industrielle, le prolétariat n’avait pas encore commencé de vivre cette difficile, douloureuse et sanglante existence tout le long du XIXe siècle. Eh bien, nous prenons en héritage au nom du peuple les libertés démocratiques de la société politique et nous n’en récusons aucune le droit d’aller et de venir, le droit de s’exprimer, le droit de se réunir, le droit de s’associer et la liberté de conscience. Et nous récusons ceux qui font la leçon et qui se servent de mots qu’ils ont vidés de sens, inscrits sans doute sur les frontons des bâtiments publics.
(Bruit)
François Mitterrand
Cela commence à suffire, cette confusion entre les intérêts dérisoires d’une majorité de passage qui a fini son temps et l’identité de la France qui est à eux, qui est à nous, qui est la nôtre. Si l’on commence à dessiner des frontières entre nous comme on le fait depuis trop longtemps servant une partie, la minorité, les privilégiés, abandonnant l’autre, la majorité ; ceux qui sont exploités, opprimés, ceux qui cherchent, ceux qui craignent, ceux qui redoutent, ceux qui produisent, ceux qui travaillent et ceux qu’on oublie lorsqu’il s’agit de distribuer les fruits de la croissance ; alors, attention, telle n’est pas notre disposition d’esprit. Et jamais on ne m’a entendu, pas davantage on n’aura entendu pendant toute cette campagne aucun orateur qui se sera exprimé au nom de la Gauche unie, aucun d’entre nous n’aura jamais dit que la Gauche entendait l’emporter pour elle-même mais toujours que la Gauche entendait l’emporter pour le service de la communauté nationale de la France.
(Bruit)