La crise et les grands choix économiques
Présentation
Lorsqu’il commence sa carrière politique, l’économie ne fait pas partie des domaines d’expertise privilégiés de François Mitterrand. Son expérience ministérielle, sous la IVe République (Outre-mer, Anciens Combattants, Intérieur, Justice) ne le conduit pas non plus à se rapprocher de ses thématiques. Lors des premières années de la Ve République, ses interventions médiatiques et son discours sont davantage marqués par la critique d’un système politique et du pouvoir personnel du Général de Gaulle que par l’affirmation d’une ligne divergente en matière de politique économique.
C’est au début des années 1970, à la suite du premier choc pétrolier et du basculement dans une décennie de crise que les enjeux liés à l’économie vont progressivement s’imposer au cœur du débat politique. François Mitterrand n’échappe pas à ce phénomène. À partir de 1974 et de la campagne pour l’élection présidentielle, son discours politique s’émaille de considérations liées à la conjoncture économique, que celle-ci soit reliée aux dynamiques internationales, aux mutations de l’industrie française ou aux problématiques liées à l’emploi.
La crise économique et monétaire internationale
C’est ainsi que lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 1974, qui l’oppose à l’ex premier ministre Jacques Chaban-Delmas et au ministre des Finances Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand choisit d’attaquer ses adversaires sur ce thème de l’économie. La dégradation du pouvoir d’achat des travailleurs serait dû à une politique bien trop accommodante du pouvoir précédent avec l’inflation.
François Mitterrand à Rouen évoque les problèmes de liberté et d'inflation
Ce thème de l’inflation va véritablement structurer le discours de François Mitterrand, premier secrétaire du Partis socialiste et leader de l’opposition, pendant le septennat de Valéry Giscard d’Estaing, particulièrement après la nomination de Raymond Barre comme premier ministre en 1976.
L’impopularité de ce dernier, présenté comme « le meilleur économiste de France », incite en effet François Mitterrand à brocarder l’inaction du gouvernement face aux déséquilibres mondiaux, dont les répercussions frappent durement l’économie française, et face aux actions jugées néfastes d’entreprises multinationales.
Débat Mitterrand/Barre sur la politique économique
Parvenu à la magistrature suprême en mai 1981, François Mitterrand se présente de nouveau en protecteur des salariés et des entreprises françaises face à des groupes internationaux qui menacent par leur puissance d’imposer aux nations leurs choix.
C’est ainsi que le président, lors de sa première conférence de presse, présente comme une mesure de protection de la production française et des services de base utiles à l’intérêt général de la Nation les nationalisations que le gouvernement s’apprête alors à mettre en œuvre.
François Mitterrand défend les nationalisations
Toutefois, le nouveau pouvoir socialiste n’est pas parvenu à endiguer les répercussions du désordre monétaire international. La spéculation contre le franc, très forte au moment du 10 mai 1981, s’est maintenue à un niveau élevé pendant les premiers mois du septennat, entraînant de nouveau l’inflation à la hausse.
Si la lutte contre celle-ci demeure une priorité, le gouvernement doit de nouveau dévaluer le franc en juin 1982. Celle-ci est accompagnée d’une mesure impopulaire : le blocage des prix et des salaires.
En mars 1983, le franc connaît une troisième dévaluation en dix-huit mois, accompagnée d’un nouveau plan de rigueur.
Si le président Mitterrand justifie les mauvais résultats en terme d’inflation par les mesures sociales et pour l’emploi prises en début de septennat, il annonce la poursuite de l’effort et appelle les Français à unir leurs forces pour faire reculer l’inflation, mais aussi redynamiser la production française, afin d’atteindre l’objectif ultime de la lutte contre le chômage.
Redynamiser l’industrie française
Premier secrétaire du PS entre 1971 et 1981, François Mitterrand apporte, en plein choc pétrolier, son soutien aux secteurs menacés de la sidérurgie et du charbon.
Il regrette l’abandon des houillères depuis la fin des années 1950, qui auraient permis à la France de maintenir une part de son indépendance énergétique, et fait de leur cause l’emblème de la cession de l’économie aux entreprises multinationales qu’il pourfend.
François Mitterrand sur le choc pétrolier
À la suite des nationalisations menées en 1982, l’État possède une large part des industries minières et sidérurgiques du pays.
Il devient ainsi de fait le maître d’œuvre de la restructuration de ces secteurs sinistrés, laquelle s’accompagne le plus souvent de réductions drastiques des effectifs et de plan de réorientation et d’accompagnement des personnels, faute d’une véritable relance du secteur.
La politique industrielle de la France ne se limite toutefois pas à l’encadrement du démantèlement de secteurs en crise.
Elle vise également à conforter des fleurons de l’industrie française, des vecteurs d’excellence ou des opportunités d’exportation, de produit ou de technologie. C’est ainsi que, malgré l’engagement pris pendant la campagne de renoncer à certains projets controversés, le pouvoir socialiste a maintenu le programme français de nucléaire civil, gage de l’indépendance énergétique de la France.
Cette politique industrielle n’est cependant pas fermée sur elle-même. L’inauguration de l’usine de Colomiers illustre ainsi les opportunités que permettent la mutualisation de moyens et de talents à l’échelle européenne et semble alors esquisser des perspectives nouvelles pour le renouveau industriel.
L'avenir de Plogoff et le programme électronucléaire français, promesse de campagne
Ainsi, la relance de l’activité productive est au cœur du programme de François Mitterrand depuis au moins la campagne présidentielle de 1974.
En 1981, il défend l’intensification de celle-ci par le biais d’un recours accru au progrès technique, seule voie permettant de lier la hausse de la production et de la productivité à l’amélioration des conditions de travail et de vie des salariés.
Production et temps de travail
Travail et emploi
Parmi les mesures sociales que doivent permettre l’accélération du progrès technique dans les processus de production figure la réduction du temps de travail.
En proposant de réduire la durée légale hebdomadaire de 40 à 35 heures, François Mitterrand entend améliorer les conditions des salariés mais également décentrer le travail, qui cesse d’être l’horizon unique de l’individu.
Au pouvoir, cet engagement s’accompagne du relèvement des conditions matérielles des salariés les plus modestes, la hausse du SMIC étant symboliquement une des premières mesures prise par le gouvernement de Pierre Mauroy, Premier ministre de François Mitterrand. Elle accompagne une volonté de relance de la consommation des ménages pour servir la croissance.
Là encore, l’action du président se veut autant structurelle que conjoncturelle. Ainsi, les lois Auroux, promulguées en 1982, refondent le droit du Travail pour améliorer la liberté, la sécurité, la représentation et la protection des travailleurs salariés.
Alors que la réduction du temps de travail a été stoppée à 39 heures hebdomadaires devant les difficultés économiques auxquelles fait face le gouvernement, l’échec de sa politique de relance à stimuler l’économie française n’a pas permis de réduire substantiellement le nombre de chômeurs, qui atteint 2 millions en 1983. L’impératif de la lutte contre l’inflation, s’il doit produire des effets de temps long, freine provisoirement la bataille contre le chômage.
Pour François Mitterrand, c’est la mauvaise adaptation des sociétés industrialisées à l’accélération du progrès technique qui a provoqué cette hausse du chômage. Sa solution réside donc dans un effort accru d’éducation et de formation des salariés aux métiers du futur.
François Mitterrand réagit au témoignage d'un Français au chômage
Pour autant, le chômage reste un fléau social qui marque considérablement les deux septennats de François Mitterrand, puisque le taux de chômage en France passe entre 1981 et 1995 de 7 à 12 % de la population active.
Face à ce constat accablant, le président acte l’échec des mesures traditionnelles et prône une nouvelle approche des politiques de l’emploi, notamment à travers la réduction du temps de travail. Cette approche ouvrira la voie aux 35 heures hebdomadaires, instaurées par le gouvernement Jospin en 2000 et qui permettront de créer environ 350.000 emplois.
Parallèlement, la persistance d’un chômage de masse conduit François Mitterrand à promouvoir des outils de prise en charge des plus démunis, tant pour permettre une allocation de ressources suffisant à la subvention des besoins essentiels que pour offrir à chacun un chemin du retour vers l’emploi.
C’est la philosophe du Revenu minimum d’insertion (RMI), une des premières mesures du second septennat. Ce dispositif innovant lie en effet une allocation financière au suivi d’une formation professionnalisante, même si sa mise en pratique demeurera imparfaite.
Conclusion
Ainsi, c’est avec la crise des années 1970 que le discours de François Mitterrand s’émaille notablement de considérations économiques. La hausse des cours du pétrole, la spirale inflationniste dans laquelle s’engage alors la France, ainsi que l’irruption d’un chômage de masse, qui dépasse pour la première fois le million de chômeurs en 1976, font de la politique économique un enjeu du quotidien des Français.
Mais au-delà de cet aspect conjoncturel, la récurrence de la thématique tient aussi au parcours de l’adversaire principal de François Mitterrand sur la période. Valéry Giscard d’Estaing, qu’il affronte lors des élections présidentielle de 1974 et 1981, est en effet un familier de ces questions. Inspecteur des Finances, ancien secrétaire d’État auprès d’Antoine Pinay, il est ministre des Finances des gouvernements de Jacques Chaban-Delmas et Pierre Messmer de 1969 à 1974, avant d’accéder à la présidence de la République. Pour François Mitterrand, Valéry Giscard d’Estaing est donc le comptable idéal des difficultés économiques auxquelles la France fait face depuis le début des années 1970.
Compte-tenu de ce contexte de crise, François Mitterrand se retrouve confronté, après son élection au soir du 10 mai 1981, à une conjoncture économique difficile.
L’échec de la relance - pourtant modérée - de la consommation, pénalisée par le déficit persistant du commerce extérieur conduit le gouvernement à trois dévaluations en dix-huit mois. Le volontarisme affiché en matière de renouveau industriel, y compris par le biais des nationalisations, ne permet pas de corriger significativement ce déséquilibre. Parallèlement, s’amorce une politique de lutte contre l’inflation par des moyens plus restrictifs, qui permettent de réduire considérablement celle-ci dès le milieu des années 1980.
Cependant, cette priorité donnée à l’inflation handicape les résultats en matière de lutte contre le chômage, qui devient très vite un enjeu majeur avec le franchissement du cap de 2 millions de chômeurs dès le second semestre 1984. Face à ce fléau social, les gouvernements successifs promeuvent néanmoins des dispositifs innovants, notamment en tentant d’agir sur la formation.