La consolidation du couple franco-allemand
Présentation
François Mitterrand hérite de ses prédécesseurs le cadre et les grandes orientations de la politique allemande de la France. Le Traité de l’Elysée signé en 1963 définit le contenu de cette coopération, qui englobe les niveaux politiques et culturels, et se décline en rencontres régulières, rencontres au sommet ou séances de travail, entre les différents acteurs. Loin d'être un cadre abstrait sans véritable valeur ajoutée, cette concertation programmée a élevé la coopération franco-allemande en un élément-clé de la politique étrangère des deux partenaires. Pour sa part, François Mitterrand a la ferme intention de faire évoluer cet acquis.
Perspectives d’avenir
Aux yeux de François Mitterrand, la réconciliation franco-allemande est l'axe majeur pour assurer la permanence de la paix en Europe.
Une relation exemplaire
Prisonnier pendant la Seconde Guerre mondiale, François Mitterrand n’a pas oublié les destructions que la guerre et le nazisme ont causé sur le Vieux continent. Et pourtant, c’est ce traumatisme personnel et européen qui l’amène à se battre pour qu’un tel événement ne se produise plus.
La rivalité entre la France et l’Allemagne a généré nombre de guerres et les souvenirs de la dernière sont encore très vifs chez ceux qui l’ont combattue. En janvier 1995, à la fin de son deuxième mandat, alors qu’il assure la présidence de l’Union européenne, François Mitterrand rappelle à quel point les préjugés et les divisions entre les peuples peuvent conduire au bord du gouffre. Ce sont seulement la recherche de l’entente et la volonté de réconciliation qui peuvent assurer la paix et écarter les risques de guerre. Et dans les deux cas, l’exemple franco-allemand est porté à l’attention des auditeurs.
« Le nationalisme, c'est la guerre !»
Entente et réconciliation doivent permettre de regarder vers l’avenir, un objectif qui est au cœur de la politique allemande de Mitterrand.
Les symboles de l’entente
Sous la présidence mitterrandienne, plusieurs gestes à haut contenu symbolique sont accomplis pour sceller l’amitié franco-allemande et tourner définitivement la page sur cette époque de l’histoire qui a vu les deux pays résoudre leurs contentieux par le biais des armes.
Le geste le plus célèbre est immortalisé dans l’image qui voit le président français prendre la main du chancelier Helmut Kohl lors des hommages prévus à l’ossuaire de Douaumont, en septembre 1984. Pour la première fois, le chancelier est invité à rendre hommage aux soldats morts pendant la bataille de Verdun, emblématique de l'affrontement franco-allemand. Et, point important, ce sont les soldats des deux pays qu’on met à l’honneur.
Autre moment très significatif, le défilé des soldats allemands de l’Eurocorps lors des célébrations du 14 juillet 1994. Cette initiative ne manque pas de créer de la polémique, car la dernière fois que des Allemands avaient marché dans Paris, c'était en 1940. Et pourtant, Mitterrand s’empresse de répondre aux critiques par une considération simple : la paix ne peut se construire que si l’on regarde l’avenir, et le seul avenir possible pour la la France et l’Allemagne est de coopérer ensemble et sans réserve.
14 juillet 1994 : le dernier défilé du Président François Mitterrand
La dernière étape de ce chemin vers la réhabilitation de l’Allemagne a lieu à Berlin le 8 mai 1995. Pour la première fois, un Allemand est invitée à participer aux célébrations de la Libération, à côté des représentants des quatre nations victorieuses. Un geste qui est censé tourner définitivement la page de l’après-guerre et mettre un terme à la distinction faite jusqu’à là entre vainqueurs et vaincus.
Les cérémonies du 8 mai à Berlin
C'est avec ces considérations en toile de fond que se construit la diplomatie mitterrandienne des années 1981-1995.
Le traité de l’Elysée, moteur du couple
Dès 1981, la coopération franco-allemande connaît un nouvel élan. Fort des acquis du traité de l’Elysée, le président socialiste s’empresse de renouveler et d'approfondir une relation qu’il estime indispensable au maintien de la paix en Europe.
De l’inévitabilité de la relation franco-allemande
A son arrivée au pouvoir, l’équipe socialiste souhaite pourtant redimensionner le poids des relations entre Paris et Bonn.
François Mitterrand et ses collaborateurs considèrent que, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, la diplomatie française s’est littéralement enfermée dans la dynamique franco-allemande, au détriment des relations avec les autres pays européens. La relation personnelle entre l’ancien président et le chancelier Helmut Schmidt est particulièrement visée et accusée d’avoir créé un lien exclusif et privilégié, qui limite de ce fait les options diplomatiques de la France. Pour François Mitterrand, le couple franco-allemand est certes particulièrement uni, mais la nature des liens entre les deux pays ne doit pas hypothéquer les relations que la France entend entretenir avec ses autres partenaires.
C’est le message qui ressort le 24 mai 1981, après la visite d’Helmut Schmidt à Paris, deux semaines à peine après l’arrivée des socialistes à l’Elysée.
La visite d’Helmut Schmidt au Président François Mitterrand
Un front uni face aux incertitudes stratégiques
La fin de la détente et le retour des tensions Est-Ouest vont vite faire redécouvrir toute l’importance et toute la valeur de l’entente franco-allemande.
Alors que la crise des euromissiles bat son plein, l’Allemagne est divisée. D’une part, Helmut Schmidt redoute la possibilité d’une guerre nucléaire limitée à l’Europe du fait de l’installation de nouveaux missiles nucléaires à l’Est, les SS20, et soutient la décision prise par l’OTAN en décembre 1979 d’installer des systèmes analogues à l’Ouest à l’échéance 1983. Néanmoins, le chancelier craint que, en cas d’agression soviétique, la réponse de Washington ne soit pas immédiate. Autrement dit, il redoute la possibilité que l’intervention américaine n'intervienne qu’une fois l’Allemagne envahie, voire dévastée par des tirs nucléaires.
D’autre part, Helmut Schmidt doit composer avec une opinion publique hostile au déploiement de nouveaux missiles nucléaires de l’OTAN. En Allemagne de l'Ouest en effet, le mouvement pacifiste connaît un essor rapide au début des années 1980 et risque de remettre en question le plan de déploiement occidental, laissant ainsi de facto l’Union Soviétique exercer sans contrainte sa supériorité militaire en Europe.
C’est pour pallier aux doutes du chancelier et pour répondre aux slogans pacifistes que François Mitterrand prend la parole pour exprimer la position de la France sur la crise des euromissiles. Dès sa prise de fonction, le président condamne le déploiement des armes soviétiques et soutient le déploiement des missiles de l’OTAN, étant donné que Moscou ne retire pas ses SS20. C'est dans le discours au Bundestag, à l’occasion des célébrations du vingtième anniversaire du traité de l’Elysée, le 20 janvier 1983, que ce point de vue est le plus fortement affirmé.
Discours au Bundestag
Le moteur franco-allemand en Europe
Face au retour des tensions internationales, François Mitterrand est convaincu que seulement une Europe unie peut espérer se positionner face aux superpuissances. Cela suppose la consolidation et l’approfondissement de l’acquis communautaire, un objectif que la France ne peut pas atteindre sans l’aide du partenaire allemand.
Il suffit de mentionner l’un des contentieux les plus épineux du début des années 1980, celui du chèque britannique, pour s’en rendre compte. La Grande-Bretagne de Margaret Thatcher prétend une révision de sa contribution au budget de la Communauté et elle fait obstacle à tout avancement de la construction européenne tant que ce dossier n’est pas réglé. Pour parvenir à son objectif, elle espère obtenir l’appui de la RFA, elle aussi contributrice nette. Néanmoins, Bonn ne cède pas aux pressions de Londres et se rallie plutôt aux positions et aux convictions de Paris : aucun progrès réel ne sera jamais possible si l’on adapte les politiques de la Communauté aux intérêts particuliers d’un Etat. C’est à partir de cette vision et grâce à cette entente franco-allemande que les requêtes de Margaret Thatcher ont pu être revues et incluses dans le compromis du sommet de Fontainebleau, en juin 1984.
Mais l’Europe ne se limite pas à la question économique. A l’ère du projet reaganien de « guerre des étoiles », lancé en 1983, François Mitterrand craint que l’Europe ne pâtisse des ressources très modestes qui sont consacrées au développement technologique, tandis qu’aux Etats-Unis, au Japon et en Asie, les investissements dans ce secteur sont considérables et en augmentation. C’est pour faire entrer pleinement l'Europe dans la compétition technologique que François Mitterrand propose la création du projet Eureka et entend y associer le savoir-faire scientifique allemand.
François Mitterrand et la technologie, entre IDS et Eureka
Une relation irréversible
Malgré les hésitations du début, la relation franco-allemande va s’intensifier sous le premier septennat de François Mitterrand, jusqu'à toucher à un domaine jusque là volontairement mis de côté, celui de la défense.
Lors du sommet de février 1982, François Mitterrand et Helmut Schmidt décident de réactiver les clauses militaires du traité de l’Elysée. Cela se traduit par la création de groupes d’études chargés d'analyser la situation stratégique internationale et de proposer des réponses communes aux défis posés. Ce faisant, la France mitterrandienne veut se montrer solidaire avec la RFA et témoigner du fait qu’elle s'intéresse au premier chef à tout ce qui a trait à la sécurité de l’Europe et, partant, à la sécurité de l’Allemagne.
Loin de se limiter à une simple discussion, ce dialogue conduit à des résultats concrets sur la fin de la décennie 1980. L’exercice militaire « Moineau Hardi », organisé en Allemagne en septembre 1987, teste la possibilité d’une intervention conjointe d’unités françaises et allemandes, sous commandement opérationnel allemand.
Une initiative qui précède la création du Conseil de défense franco-allemand, noyau d’un système de défense européenne à venir, et qui trouve dans la coopération entre Paris et Bonn son impulsion initiale.
Le couple face à la fin de la guerre froide : la réunification allemande
L’entente franco-allemande semble s’infléchir au tournant de l’année 1989, alors que le Mur de Berlin tombe et que la perspective de la réunification ne semble plus si lointaine.
« Je n’ai pas peur de la réunification allemande »
L’arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev en 1985 apporte un vent de changement que le président français ne peut qu’apprécier.
En 1988-89, la Perestroïka amène une plus grande démocratisation à l’intérieur du camp socialiste et conduit les républiques sœurs à s’affranchir progressivement de la tutelle de Moscou, tout en restant fidèles aux préceptes du socialisme. Les frontières se font plus perméables et les passages à l’Ouest moins rigides qu’auparavant. Que se passerait-il si cette ouverture intéressait aussi les deux Allemagnes ? La perspective d’une possible réunification allemande est inscrite dans la question, mais, début novembre 1989, François Mitterrand refuse de se livrer aux spéculations. Interrogé sur ce point, il se borne à constater que le jour où le problème de la réunification se posera, il sera prêt à évaluer toutes les options pour mener à bien ce processus.
Le sommet de Bonn et la réunification allemande
Chaque chose en son temps
Si François Mitterrand affirme ne pas avoir peur de la réunification allemande, il craint tout de même que ce processus se fasse précipitamment, au détriment de l’équilibre atteint en Europe au cours des cinquantes dernières années.
François Mitterrand et la chute du Mur de Berlin
C'est également de là que vient son insistance pour que le processus de réunification respecte les accords internationaux souscrits à propos de l’Allemagne, afin que la paix générale ne soit pas remise en cause par des changements soudains.
François Mitterrand sur l'Allemagne et sa réunification
Cette prudence n’est pas à interpréter comme un rejet de la réunification, mais plutôt comme une volonté de s’assurer que ce processus se déroule de manière pacifique, irréversible et surtout au profit de la construction européenne.
Conclusion
Avec François Mitterrand, la relation franco-allemande se confirme comme étant un atout de la politique étrangère des deux pays. C’est la volonté partagée de dépasser les rivalités de jadis qui est à la base de l’approfondissement de la coopération entre les deux partenaires, non seulement sur le plan politique et bilatéral, mais aussi sur le plan diplomatique, au sein des deux principales institutions occidentales - l’Alliance atlantique et l’Europe.
Il est à retenir de la politique allemande de François Mitterrand la cette volonté d’en ancrer les racines dans les suites de la Seconde Guerre mondiale. L’histoire est là pour rappeler quel est le prix à payer quand les peuples voisins ne dialoguent pas, ne se connaissent pas et n’ont pas d’autre manière de résoudre leurs conflits que la voie des armes.
De ces considérations émergent les initiatives liées à l’approfondissement de la coopération franco-allemande : un dialogue qui s’étend au domaine stratégique et militaire, et qui se fait encore plus intense quand la construction européenne est dans l’impasse. C’est également ce dialogue qui a permis une transition sereine vers l’après-guerre froide, dont la réunification allemande est le tournant.
Le discours de janvier 1995, mentionné au tout début de l'article, n’est que le dernier mot du président à propos de la signification que revêt, selon lui, la réconciliation franco-allemande aux yeux des Français, des Allemands, mais aussi de l’Europe entière : un exemple qui montre qu'avec une volonté commune, les divisions peuvent être dépassées.
Références bibliographiques
- Hélène Miard-Delacroix, Le Défi européen de 1963 à nos jours, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2011.
- Frédéric Bozo, Mitterrand, la fin de la guerre froide et l’unification allemande : de Yalta à Maastricht, Paris, O. Jacob, 2005.