Autrefois dans les Monts d'arrée
Notice
Extrait du film d'André Voisin Au coeur de l'Argoat.
Éclairage
L'Argoat, la Bretagne intérieure des bois et des bocages, est évoquée à travers les récits croisés de ces personnages natifs de la région, parmi lesquels le fameux conteur Yves Pichon. Les souvenirs personnels et la tradition orale locale se mêlent pour dessiner un portrait de l'Argoat au temps passé. Au cours de cette veillée, les participants se révèlent être les précieux détenteurs d'une culture de tradition orale ancrée dans le terroir de l'Argoat.
Au cours des interventions, sont évoqués les métiers du monde rural, tels que celui de meunier. Le reportage débute sur un « kan ha diskan », chant à répons, entonné en breton par l'ensemble du groupe, qui reprend les paroles du meneur ; puis ce dernier reprend les paroles du chant, lequel raconte l'histoire d'amour impossible d'un jeune meunier.
La tradition orale maintient la mémoire de nombreux autres petits métiers : le récit de la femme rappelle celui des chiffonniers, connus sous le nom de « pilhaouerien » en breton. Leur activité fut importante en Basse-Bretagne jusqu'à la Seconde guerre mondiale. Tous ces personnages de chants, de complaintes et de contes populaires furent le symbole de la misère du pays, engendrée par la rudesse du climat, la pauvreté des terres, conjuguées aux effets de la croissance démographique. Au cours du XIXème siècle, les paysans bretons les plus pauvres durent se convertir en marchands itinérants, et parcourir les chemins pour échanger de la vaisselle en faïence contre des chiffons, destinés aux moulins à papier de la région.
C'est aussi le paysage et la réalité géographique où sont ancrées les traditions des Monts d'Arrée qui sont évoqués au travers de ces souvenirs et de ces contes. La « terre très ingrate », faite de forêts, de landes et d'étendues de bruyères, est un milieu naturel hostile qui ne laisse qu'une place très pauvre à l'agriculture. Le conte fantastique des deux géants permet d'évoquer les activités de l'homme pour vivre dans ce milieu et le maîtriser, telles que l'abattage du bois pour le chauffage. Les landes étaient également utilisées comme lieux de litière et de pâturage pour le bétail, dont l'importance transparaît dans l'anecdote du pèlerinage de Saint-Herbot. Saint semi-légendaire à qui l'on offre, par superstition, le crin et les queues des vaches, Saint-Herbot incarne la rencontre entre la foi chrétienne et les croyances populaires bretonnes. Dans les chapelles de la région, les nombreux gisants et statues de Saint-Herbot témoignent encore aujourd'hui de l'importance du culte de ce saint protecteur des bêtes à cornes, très répandu, bien que non reconnu par l'église catholique.
Les contes et les chants nous rappellent enfin une époque où l'usage de la langue bretonne était très répandu, dans cette partie de la Bretagne encore isolée. Avec la IIIème République et l'instruction obligatoire, le Français gagne du terrain. L'ignorance de la langue française, comme l'illustre le dernier conte, représente alors un certain handicap. La transition se réalise progressivement, mais le breton, encore considéré comme une langue de ruraux peu instruits, demeure souvent l'unique langue maternelle au début du XXème siècle. Au cours du XXème siècle, l'enseignement obligatoire et l'exode rural auront progressivement raison de la Bretagne bretonnante. Face au recul de la pratique, c'est souvent dans une démarche militante que certains locuteurs maintiennent l'usage de la langue dans les années 1960. L'un des premiers sondages en 1970 indique que la langue bretonne demeure le moyen principal de communication pour 19% de la population de Basse-Bretagne. Aujourd'hui, le breton est reconnu comme un trait culturel qui ne doit pas disparaître, notamment parce que la langue est porteuse d'une vaste tradition orale, à l'image de ces fragments de mémoire collective, à une autre époque transmis par la grand-mère, le soir, au coin du feu.
Autres intervenants:
Louis ROPARS, Monsieur et madame LAVENANT, Yann MOULIN, Alain LE MEUR, Joseph LE CARRE, Joseph KERAN GUYATEC, Bernard de PARADES
Pauline Jehannin - CERHIO – Université de Rennes 2