Comment peut-on être Breton ?

11 avril 1970
08m 43s
Réf. 00855

Notice

Résumé :

Morvan Lebesque, journaliste et auteur du livre "Comment peut-on être Breton", est interviewé sur ses intentions en écrivant cet essai sur la démocratie française. Il évoque sa position en faveur de la régionalisation et commente les termes "autonomie", "tribalisme", "centralisme".

Type de média :
Date de diffusion :
11 avril 1970
Personnalité(s) :

Éclairage

Morvan Lebesque est un journaliste et essayiste né à Nantes en 1911. Après avoir été influencé par Breizh Atao, il s'ancre politiquement à gauche et est fortement opposé au gaullisme qu'il juge autoritaire. Il collabore activement au Canard enchaîné dès 1952 et écrira également dans les revues « Ar Vro » et « Le peuple breton ».

Dans cette émission de radio datée de 1970, peu avant sa mort, Morvan Lebesque pose la question « Comment peut-on être breton ? ». C'est en fait le titre d'un ouvrage publié en 1970 (Comment peut-on être breton ? Essai sur la Démocratie bretonne). Avec fougue et un sens de la formule bien développé, il constate l'oppression culturelle et politique que la France impose à la Bretagne. Cet ouvrage a marqué une génération de Bretons qui cherchent les moyens d'affirmer leur identité.

Il affirme que c'est avant tout l'esprit rebelle qui caractérise l'identité bretonne, mais il rejette la violence qui y est parfois associée. Morvan Lebesque appelle à une démocratie qui sera effective lorsque les pouvoirs régionaux seront forts et auront du poids, sa vision étant construite en opposition au jacobinisme.

Pourtant dans cet extrait, tout en rejetant le système du centralisme parisien, Morvan Lebesque montre un attachement profond à la ville lumière. Pour lui, la reconnaissance des particularismes locaux n'est pas le temps du repli sur soi. Au contraire, pour prendre sa pleine signification, l'identité régionale est une fierté qui accompagne l'ouverture sur le monde.

Ses propos demeurent une référence pour ceux qui réfléchissent aux rapports qu'entretient la démocratie avec les diversités culturelles.

Raphaël Chotard – CERHIO – UHB Rennes 2

Bibliographie

CHARTIER, Erwan, Morvan Lebesque. Le masque et la plume d'un intellectuel en quête de Bretagne, Coop Breizh, 2007.

« Comment peut-on être breton ? », Bretons, n°51, 2010.

FEREC, Yann, Morvan Lebesque au Canard Enchaîné, Université de Bretagne occidentale, Brest, Mémoire de maîtrise d'histoire contemporaine, 1997.

Raphaël Chotard

Transcription

Journaliste
Aux éditions du Seuil, un nouveau livre, qui est un essai sur la démocratie française. Un essai de Morvan Lebesque qui porte un titre, Comment peut-on être Breton ? Morvan Lebesque, vous êtes vous-mêmes Breton, puisque vous êtes né à Nantes. Est-ce qu’un tel livre aurait pu être écrit par, disons, quelqu’un d’autre, non pas par un Breton mais par un Alsacien ou par un Lorrain par exemple ?
Morvan Lebesque
Oh mais absolument ! Absolument parce que ce n’est pas un livre pour les Bretons, c’est un livre que j’ai voulu écrire pour tous les Français et que tous les provinciaux français auraient pu écrire.
Journaliste
Morvan Lebesque, êtes-vous un partisan de la régionalisation ?
Morvan Lebesque
Oui, enfin, il faut s’entendre. Si je suis partisan des pouvoirs de base, je crois qu’il n’y aura pas de véritable démocratie, de démocratie totale, disons, une pleine démocratie ; sans l’organisation de pouvoirs régionaux et assez étendus, n'est-ce pas, l’atelier, l’usine, la commune, la région et l’Etat.
Journaliste
Vous êtes en quelque sorte pour la reconnaissance des particularismes locaux ou provinciaux.
Morvan Lebesque
Oui !
Journaliste
Vous ne pensez-vous pas qu’en 1970, dans un monde qui va vite, on n’en soit plutôt à l’époque des grandes régions, des vastes ensembles ?
Morvan Lebesque
Mais grandes régions et vastes ensembles ne signifient pas fin des particularismes, ne signifient pas abolition de la personnalité. On va aussi dans un monde qui tente à s’uniformiser, je le sais. Mais justement, la personnalité, disons, un mot peut-être un peu grand l’âme des peuples, enfin le sens qu’on a d’appartenir à un certain pays ; et bien me paraît toujours aussi valable et l’est d’ailleurs, puisqu'on assiste partout en France et dans le monde d’ailleurs à une renaissance justement de ces particularismes. Particularisme, d’ailleurs, je n’aime pas le mot du tout, si vous voulez, à cette prise d’identité.
Journaliste
L’abandon de la personnalité, c’est ce que vous reprochez beaucoup à la France de 1970.
Morvan Lebesque
Pas spécialement la France de 1970. Je suis contre le nivellement. Je suis... je pense que tout le monde, il y a plusieurs appartements dans l’homme, disons, il y a plusieurs qualités, plusieurs identités mêmes. Il doit être... il ne doit pas avoir en lui de part maudite, n'est-ce pas. Il ne doit pas cacher ou dissimuler ou avoir honte d’une de ses parts qu’il soit Breton, qu’il soit Juif ou qu’il soit Alsacien ou qu’il soit Corse, n'est-ce pas. On est français 100 % dans la mesure où on est... où la province est reconnue.
Journaliste
Reconnaissance de la province, est-ce dire autonomie ?
Morvan Lebesque
Non, autonomie vous savez, c’est un mot qui a fait beaucoup de bruits, beaucoup de mal même, n'est-ce pas et puis qui est rentré dans le domaine public, car enfin on parle de l’autonomie des universités. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ca veut dire, organisation de pouvoir au plus près, de responsabilité non plus de chefs lointains et très distants et plus ou moins secrets et intouchables, mais des responsables de base ; des responsables comme en ont par exemple les syndicats, comme on a les comités d’entreprise. C’est-à-dire des gens, qui sont, je ne dis pas qu’on les surveille, mais qui travaillent à côté de nous et qu’on désigne pour être responsables, pour servir de pont entre nous et le pouvoir.
Journaliste
Ne voyez-vous pas que c’est le retour en quelque sorte d’un certain tribalisme ?
Morvan Lebesque
Oh mais tribalisme, qu’est-ce que cela veut dire ? Tribalisme justement, c’est un mot assez perfide car c’est un mot colonialiste. Ca veut dire, n'est-ce pas, j’ai assez longtemps écrit dans ce livre que certaines provinces de France, entre autres la Bretagne, avaient été à un certain moment considérées... un peu traitées, un peu comme des colonies. Mais le tribalisme, ça ne concerne pas les provinces françaises, qui étaient des pays parfaitement historiques, organisés, qui n’avaient rien à avoir avec de vagues tribus.
Journaliste
Votre grand reproche s’adresse à Paris, Paris qui maintient sous forme justement de colonisation son pouvoir sur l’ensemble de ces régions ; sur l’ensemble de ces particularismes, qui annihile la personnalité des régions surtout du point de vue administratif.
Morvan Lebesque
Oui bien sûr, parce que je n’attaque pas Paris évidemment, je vis à Paris, j’aime Paris. Paris est une très grande ville, une des plus belles villes du monde, je ne l’attaque pas. Je dis simplement, ce que j’attaque, c’est un système, qui d’ailleurs s’attaque lui-même, on pourrait dire, et se détruit lui-même, car il est évident que le centralisme à l’heure actuelle n’est plus possible. Quand vous parliez tout à l’heure, nous allons vers de grands ensembles, je vous dirai aussi que le phénomène contraire se produit. Le centralisme arrive à sa propre destruction, parce que justement le monde actuel ne permet plus un pouvoir centralisé.
Journaliste
Comment, Morvan Lebesque, expliquez-vous que ce soient les Bretons qui tiennent le drapeau de cet autonomisme, de cette régionalisation ?
Morvan Lebesque
Je ne sais pas du tout. Si les Bretons tiennent le drapeau de la régionalisation, je n’en sais rien.
Journaliste
C'est eux qui manifestent le plus souvent.
Morvan Lebesque
Ou peut-être parce que c’est un peuple assez spécialement typé, peut-être un peu plus typé que d’autres. Ils ont n'est-ce pas, ils ont une culture, ils ont une langue, ils ont un passé. Oui, ils sont un peu plus typés peut-être que d’autres, mais je n’en suis pas sûr, je n'en suis pas sûr. Je crois que les Occitans ou les provinciaux ou les Corse ou les Alsaciens sont au fond aussi typés que les Bretons. Seulement, disons que les Bretons peut-être ont un esprit, un peu ce qu’on appelle la tête dure, n'est-ce pas, un esprit un peu rebelle.
Journaliste
Cette rébellion – nous l’avons constaté il y a quelque temps déjà – se manifeste par des actes violents. Pensez-vous que ce soit une solution au problème ?
Morvan Lebesque
Evidemment, non, je suis absolument ennemi déterminé de la violence, de toute violence quelle qu’elle soit. Simplement, je voudrais que ces manifestations, que certains Bretons et journalistes, dont je suis d’ailleurs, ont traitées d’infantilisme ce qui était peut-être excessif ; je voudrais bien que ces manifestations – au lieu de les réprimer ou au lieu de les ignorer ou de les censurer – on examine un peu les causes qui les ont produites. Car enfin, il y a une misère bretonne, il y a un désespoir breton, c’est incontestable.
Journaliste
On parle souvent de la Bretagne comme une région sous-développée, la région pauvre de la France, la région abandonnée.
Morvan Lebesque
Et c’est vrai, à mon avis, c’est parfaitement vrai. Le drame de la Bretagne, c’est qu’elle est... c'est sa situation excentrique, mais ce n’est pas elle qui laisse cette situation excentrique qui rend la Bretagne pauvre. Le drame de la Bretagne, c’est qu’elle est... c'est sa situation excentrique, mais ce n’est pas elle qui laisse cette situation excentrique qui rend la Bretagne pauvre. La Bretagne est un pays au fond qui pourrait être un pays riche, qui l’a été et qui pourrait le redevenir. La Bretagne est un pays au fond qui pourrait être un pays riche, qui l’a été et qui pourrait le redevenir. C’est un certain système d’Etat qui subventionne, n'est-ce pas, qui donne. Alors, on ne crée pas à domicile, on attend une subvention, on attend et on donne. On dégarnit telle ou telle région, puis on garnit une autre. On déshabille Pierre pour habiller Paul, etc. C’est ce système dont je réclame la fin.
Journaliste
Il y a en quelque sorte annihilation de l’entreprise individuelle et disons de l’effort individuel.
Morvan Lebesque
Oui, de création de la base, n'est-ce pas, on ne crée plus à la base. C’est-à-dire, on attend du pouvoir central qu’il donne, que ce soit d’ailleurs pas seulement pour les Bretons, mais également sur nos clivages pour tous les corps constitués. Les commerçants attendent que le pouvoir donne, n'est-ce pas. Et finalement, on a perdu l’esprit de création à la base, cet esprit de création que je voudrais voir renaître.
(Musique)
Journaliste
Morvan Lebesque, portez-vous un BZH sur votre voiture ?
Morvan Lebesque
Oui, bien sûr, je trouve cela tout à fait normal.
Journaliste
Si on vous demandait de le retirer ?
Morvan Lebesque
C’est le fanion de mon pays, mais on n’a pas le droit de me demander de le retirer. On a le droit et on a raison de demander de ne pas le mettre numéro minéralogique à la place. Je porte le BZH sur ma voiture, et je porte aussi la plaque F à côté d’Île-de-France, à côté du numéro minéralogique. Et je ne vois pas pourquoi je cacherais l’emblème de ma province.
Journaliste
Les Bretons sont têtus, Morvan Lebesque, c’est un dicton qui le dit, mais plus têtus que les autres Français. Ont-ils pour cela, disons, un certain sentiment de supériorité vis-à-vis de l’ensemble des autres Français ?
Morvan Lebesque
Mais pas du tout, mais pas le moins du monde, n’est-ce pas, au contraire. Justement, mon livre est fait non pas pour prôner les Bretons ou pour les proclamer supérieurs à toutes les autres provinces de France, ce qui serait complètement absurde ; mais au contraire, pour les faire rentrer dans le circuit vital du pays.
Journaliste
C’est en quelque sorte un petit livre rouge à l’usage de tous les Bretons.
Morvan Lebesque
Ce serait beaucoup dire, je ne me prends pas pour Mao tout de même.
Journaliste
Morvan Lebesque, je rappelle le titre de ce livre paru aux éditions du Seuil dans la collection Histoire immédiate, Comment peut-on être Breton ? Avec un sous-titre, donnez-moi quelques explications : Essai sur la démocratie française.
Morvan Lebesque
Ben, c’est ce que j’ai dit tout à l’heure. C’est-à-dire que selon moi, il n’y aura pas de démocratie sans une réforme des structures françaises sans la régionalisation.