Émigration de Gourin vers les États-Unis

01 avril 1995
11m 53s
Réf. 00884

Notice

Résumé :

Gourin, petite ville de 5000 habitants aux confins du Morbihan, du Finistère et des Côtes-d'Armor est mondialement connue, car ici chaque famille a un "oncle d'Amérique". Pendant un siècle, de 1880 à 1970, 11 500 Bretons du canton de Gourin ont franchi l'Atlantique, d'abord poussés par la nécessité. Visite au Musée de l'émigration bretonne, au Château de Tronjoly, en compagnie de Daniel Le Goff et témoignage de Marie Anne Pennec, la doyenne des Américains de Gourin, recueilli par Françoise Seloron.

Type de média :
Date de diffusion :
01 avril 1995
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Lieux :

Éclairage

Dés le milieu du XIXeme siècle, Gourin, située à 40km de Quimper dans le Morbihan, est la première ville de l'émigration bretonne vers les USA. Plus de 10 000 personnes qui ne trouvaient pas d'emploi dans les travaux traditionnels de l'ardoise et de l'agriculture sont partis entre 1880 et 1970. Cette émigration se fit en deux temps : un premier avant 1939, caractérisé par 50% d'installations définitives et un second post guerre qui a conduit à des départs sans retour. Cette histoire est aujourd'hui rappelée au château de Tronjoly de Gourin.

Cette émission de radio fait appel aux témoignages de ceux qui, des années 20 aux années 50, sont allés à New-York pour travailler dans les usines Michelin ou dans la restauration.

Martine Cocaud – CERHIO – UHB Rennes 2

Bibliographie

Lysiane Bernard, « L'Emigration américaine de la région de Gourin et ses conséquences géographiques », Norois, n°34, 1962, P 185-195.

Martine Cocaud

Transcription

(Bruit)
Françoise Séloron
Grand angle : Kenavo America par Françoise Séloron, réalisation François Bréhinier.
(Musique)
Françoise Séloron
Le 31 mars 1889, Monsieur le Maire, je viens d’apprendre par le commissionnaire de Gourin, que l’on demande des pères de famille pour aller en Amérique. Dans ce cas, je m’adresse à Monsieur le Maire pour savoir les renseignements qu’il faut pour y aller. Parce que je sais bien que dans les temps que nous sommes, il est très difficile d’arriver à nourrir sa famille avec le si peu de paiements que l’on touche. Dans ce cas, je me vois dans l’obligation de chercher une autre ressource pour nourrir ma petite famille. Alors, je m’adresse à Monsieur le Maire d’avoir l’obligeance de me dire de quelle manière que je peux arriver pour aller en Amérique. Seulement, le nécessaire me manque, c’est de l’argent pour faire le voyage. Si on fait les avances, je suis tout à fait décidé ainsi que ma femme et mes enfants, Monsieur le Maire. Dans la même lettre, il y a Pontou François et sa famille. Nous sommes tous deux du même avis. Prière à Monsieur le Maire de me rendre réponse, s’il lui plaît. Veuillez agréer mes salutations sincères. Bonnard Bertrand, né à Gourin, le 13 septembre 1852.
(Musique)
Françoise Séloron
Ah, c’est une sorte de musée ici au château….
Intervenant
C’est le musée, le musée de l’immigration. Il y avait ceux déjà qui avaient la famille installée là-bas, et la famille leur écrivait en leur disant : « Venez, c’est là-bas qu’on fait fortune, ici vous crevez de faim, mais là-bas on gagne de l’argent ». Il y avait aussi les recruteurs qui venaient, il y avait des recruteurs qui venaient sur place ici en Bretagne et à Gourin, notamment ; qui venaient et qui faisaient des campagnes d’information dans les bistrots.
Françoise Séloron
Et puis là, le bateau, le bateau du grand départ.
Intervenant
On avait quand même trois compagnies de bateau installées à Gourin. Donc, une fois que le recrutement était fait, c’était le départ, l’embarquement, 1908.
Françoise Séloron
1908, ça a été là un moment intense de première vague importante.
Intervenant
Ah oui, début du siècle, ça a été très très fort. Donc, on a recréé….
Françoise Séloron
Alors là, on est sur la passerelle du bateau.
Intervenant
On a recréé la passerelle du bateau avec les vieilles malles, les bouées de sauvetage ; des photos des grands paquebots d’époque, photos d’un groupe de Bretons qui parte également sur la french line, le Rochambeau, le bateau.
Françoise Séloron
Ah, elle est belle cette image, l’arrivée à New York.
Intervenant
Ça c’est l’arrivée à Staten Island. C’est là où la plupart des immigrants débarquent et passent le contrôle de l’immigration. Un moment important car il y en a eu quand même qui ont été refoulés, ceux qui étaient malades, qui avaient une petite santé, pas résistants. Ils reprenaient le bateau, l’immigration était assez sélective, assez sévère. Ça, ce sont ceux qui arrivaient sans aucune relation. Mais la plupart de nos Bretons, eux prenaient le bateau en classe touriste. Et les papiers étaient faits déjà à l’arrivée. C’était la mafia bretonne, il ne faut pas oublier ça, c’est vrai. Bon, je ne parle pas d’une grosse mafia de la vraie mafia, mais on l’appelait ça nous, la petite mafia bretonne. Ils étaient entre eux, il y avait quand même 3, 4, 5 000 membres au sein des Bretons de New York. Donc, le travail était trouvé, l’appartement était trouvé, les papiers étaient faits. On allait les accueillir à la sortie du bateau, eux passaient directement, hop, dans la voiture du tonton.
Françoise Séloron
Ah oui, ils n’étaient pas mis en quarantaine.
Intervenant
Eux ne passaient pas en quarantaine à Ellis Island. Bon, beaucoup ont pris ce chemin, beaucoup.
Françoise Séloron
Où on va là maintenant ? La visite se poursuit.
Intervenant
Alors, donc maintenant, on poursuit. Alors là, c’est le bureau, donc on sort du bureau de l’émigration.
(Musique)
Françoise Séloron
Ils sont 11 500 du canton de Gourin à avoir franchi l’Atlantique de 1880 à 1970. Les photos et les documents du château de Tronjoly en témoignent. Pourquoi sont-ils si nombreux de ce coin de centre Bretagne à être partis si loin ? Aux pieds des Montagnes noires, la terre est ingrate et les familles trop nombreuses pour des exploitations trop petites. Le premier à partir écrit plus tard aux siens : « Ici, c’est dur, mais on gagne bien ». Alors, les autres suivent par contagion en trois vagues successives, au début du siècle, et après la première et la deuxième Guerre mondiale. Ils seront d’abord bûcherons ou fermiers au Canada, ouvriers dans le New Jersey. Les derniers arrivés dans les années 50 feront carrière à New York dans la restauration. La loi Johnson de 1969 limitant l’immigration mettra fin à la grande saga bretonne en Amérique du Nord.
(Musique)
Françoise Séloron
La doyenne des Américains de Gourin nous accueille dimanche, à l’heure du café. Dans le jardin, les camélias sont en fleur. Sur la table de la salle à manger, tout est prêt, nappe, gâteau, crêpes et service à café anglais, il y a même une bonne bouteille, c’est la fête. Marianne Pennec, pimpante, rose joue, rouge à lèvres, s’affaire, s’assoit enfin et accepte de parler. Elle a 97 ans, elle est partie à 19 ans.
Marianne Pennec
Je n’avais pas mes 20 ans, je n’avais jamais voyagé. J’ai pris le train, je n’avais jamais été dans le train. Comment que je me suis débrouillée pour aller au Havre ? Si, j’ai trouvé un vieux dans le train qui m’a expliqué, vous allez au Havre qu’il me dit, j’ai dit oui. Surtout, n’allez pas à Rue Saint-François qu’il me dit. Mais je dis, mais Monsieur, je ne reste pas au Havre. Ah, ça c’est bien ça, c’était dangereux.
Françoise Séloron
Vous êtes allée au Havre et après ?
Marianne Pennec
De là, je suis partie, je suis allée à New York.
Françoise Séloron
Et le voyage en bateau ?
Marianne Pennec
Oh, ça a passé très très bien.
Françoise Séloron
Combien de jours ?
Marianne Pennec
Euh, je crois onze jours ou treize. Je ne suis pas sûre, je ne sais pas si ce n'est pas treize jours. De ce temps-là, vous savez, les bateaux n’étaient pas comme maintenant. Maintenant, il n’y a plus de bateau, presque pas, tout par avion. Mais j’étais pas malade, et il y en avait une Parisienne avec moi qui était bien malade, je l’ai soignée, j’étais toujours à côté d’elle. Aussitôt qu’elle a senti l’air de New York, elle vit.
Françoise Séloron
Quand vous êtes arrivée à New York ?
Marianne Pennec
Quand je suis arrivée à New York, mes deux sœurs sont venues me chercher à New York. Alors, je suis allée à Milltown, New Jersey, chez Michelin, travailler pendant 9 ans. J’y faisais, vous savez, Michelin faisait des pneus.
Françoise Séloron
Et vous, qu’est-ce que vous faisiez chez Michelin ?
Marianne Pennec
J’étais inspectrice, je suis, moi, inspectrice. Je dis, moi, je ne connais même pas un mot d’anglais, tu apprendras qu’il me dit.
Françoise Séloron
Et vous avez appris ?
Marianne Pennec
Oh, très vite oui, j’ai appris quand même. Alors, ils mettent des amendes à ceux qui faisaient du mauvais travail ; parce que si on laisse un rouleau passer, ce n’est pas inspecté ici, vous faites du mauvais travail, vous achetez un pneu et que ça ne durera pas longtemps, ça sera fini quoi. Tandis que c'était bien surveillé, bien surveillé.
Françoise Séloron
Et les ouvriers, ils venaient d’où ?
Marianne Pennec
On était 3000 employés chez Michelin. Il y avait peut-être 200 qui étaient Français, 200 en plus qui travaillaient quoi. C’est déjà beau hein, tous des Bretons quoi.
Françoise Séloron
J’ai vu, au château de Tronjoly, j’ai vu une photo de votre mariage. Vous vous êtes mariée là-bas ?
Marianne Pennec
Ah oui, j’ai donné ça à Christiane. Christiane la voulait, j’ai dit, bon, prenez-la.
Françoise Séloron
Vous vous êtes mariée là-bas, chez Michelin ?
Marianne Pennec
Oui, un an après que je suis arrivée aux Etats-Unis. Je n’ai pas perdu du temps, mais je connaissais mon mari avant. On était beau, oh, il était et bon, ah, il était bon, on s’arrangeait très bien. Lui, il était dépensier comme moi aussi, mais quand on a dépensé, ça c’est bien, ça fait marcher le commerce. Bon alors, chez Michelin, quand Michelin a fermé en 1929, et alors on nous donnait une place à Clermont-Ferrand. Je dis à mon mari, qu’est-ce qu’on ira faire à Clermont-Ferrand ? Je n’aime pas aller à Clermont-Ferrand, je veux aller à New York. Et alors, on est rentré à New York. Et puis, mon mari, on lui a payé un autre contrat. Il a eu 1000 dollars de son contrat, et moi 500. A New York, j’ai fait tous les métiers, j’ai travaillé dans les restaurants, j’ai été pantry girl.
Françoise Séloron
Vous gagniez bien votre vie ?
Marianne Pennec
Oh là, je gagnais bien, oui ! Quand j’étais pantry girl, c’est un métier ça, j’ai été apprendre mon métier, je gagnais plus que mon mari.
Françoise Séloron
Pourquoi vous êtes revenue en France en 1938 ?
Marianne Pennec
Ah si quand même, ben, il faut se reposer un petit peu aussi, ce n’est pas tout de travailler. Alors, on est venu en France, en 38, puis on est coincé avec la guerre. Alors là, on est resté en France, on a laissé du fond là-bas. Mais je repartais là bas une fois de temps en temps, pendant un mois, et je revenais, mon mari voulait jamais aller. Mais alors, quand mon mari est décédé en 64, en 65 je suis retournée aux États-Unis. Mon mari, il est mort ici, je ne pouvais pas rester ici, je pouvais pas, alors je suis repartie l’année après. Ah là, j’ai fait des voyages, je travaillais et je faisais des voyages, j’ai vu des choses incroyables.
Françoise Séloron
Qu’est-ce qui vous plaisait là-bas ?
Marianne Pennec
Les Indiens, ils sont bien les Indiens. Et alors, j’ai photographié avec un Indien, puis je lui ai donné un dollar. La femme qui était avec moi lui a donné un dollar aussi. Il a eu deux dollars, oh, il était content, il était heureux. Mais ils sont bien chez eux, ils sont bien installés, puis ils sont très familiers. J’en ai rencontré un dans les rues d’Albacurky, je ne sais pas, j’ai dû faire une petite course. Un vieux, un vieux indien et qui parlait le français, il dit, j’ai fait la guerre en France, qu’il me dit. J’ai dit oui, qu’il me dit, j’ai fait la guerre en France. Mais c’était dur qu’il me dit, la guerre 14-18 sans doute qu’il avait fait. On voit des choses, je vois des choses comme Chicago. Chicago dans le temps, c’était le pays des gangsters, eh bien à présent, c’est la plus belle ville, elle est bien, Chicago c’est bien, mieux que New York maintenant. Moi, je n’ai pas trouvé New York bien la dernière fois que j’y étais. Il y a des poubelles, tout le temps des poubelles sur les rues, tout ça, non ! Oh, j’ai vu beaucoup de choses, mais certainement, on oublie, on oublie toutes ces choses-là.
Françoise Séloron
Alors, vous avez deux pays ? Où il est votre cœur, là-bas ou ici ?
Marianne Pennec
Oh, mais j’aime bien ici maintenant mais j’ai beaucoup d’amis maintenant ici. Là-bas, vous savez, quand on vieillit, on est mieux en France que là-bas.
(Musique)
Marianne Pennec
Kenavo America !