Le Grand Est : territoire de mutations industrielles

Le Grand Est : territoire de mutations industrielles

Par Eric Cazaubon et Anne Gerhard - Masson, Professeur d'histoire-géographie et documentalistePublication : 16 nov. 2022

Si le Grand Est est la deuxième région la plus industrialisée de France, il n’en reste pas moins que ce secteur a été fragilisé et subit encore de fortes  mutations. L’industrialisation dans le Grand Est c’est deux siècles d’histoire. Si ces évolutions sont toujours au cœur du débat public et elles sont également au cœur de la mémoire de générations de femmes et d’hommes. Les archives témoignent de ces mutations et interrogent les choix du présent.

Aborder la question de l’industrie, non dans une approche économique mais avec les outils de l’histoire et de la géographie, permet d’aller vers une géohistoire de l’industrie du Grand Est, centrés sur deux questions au coeur du raisonnement géographique : où et pourquoi là ?

Suivre ces mutations porte sur trois temps : le début du XXe siècle qui clôt le temps de l’industrialisation ; les années 1970-1980 marquées par une désindustrialisation particulièrement rapide dans le Grand Est ; le temps présent qui permet de constater qu’une industrie forte existe toujours dans la région, et qu’on peut parfois parler de réindustrialisation.

# Le Grand Est une longue histoire industrielle

L’industrialisation désigne aujourd’hui ce qui a longtemps été qualifiée de révolution industrielle, une expression qui tendait à introduire l’idée que le passage d’une économie surtout rurale et agricole à une économie surtout industrielle et urbaine avait été rapide. En réalité, l’industrialisation a été précédée d’une phase de proto-industrialisation dès le XVIIIe siècle, ce dont témoigne l’histoire des familles de Wendel en Lorraine.

En France en particulier, la transition a été lente avec une première industrialisation dans les années 1830 et une seconde après 1860. Ces transformations aboutissent au paysage industriel français de l’avant-Première Guerre mondiale, que l’on retrouve au travers des exemples de de Dietrich en Alsace ou de Doré Doré dans l’Aube, montrant que si la grande usine s’impose, elle cohabite encore avec le travail à domicile et les petits ateliers.

La localisation des activités industrielles est alors le résultat de données géographiques et du savoir-faire des hommes sur leurs territoires.

Ce paysage industriel de 1900 trace une grande part de l’industrie du siècle, les grandes régions industrielles se renforçant pour connaître les Trente Glorieuses, une forme d’apogée industrielle marquée entre autres par la généralisation du travail à la chaîne, en particulier dans le textile et par le développement dans de nombreux bassins de vie de notre région  d’une mono-activité tout autant prospère que fragile, comme le montre l’exemple de l’empire Boussac dans les Vosges.

# Le déclin des industries sur le territoire

La désindustrialisation qui frappe la région Grand Est à partir des années 1970 a d’abord été qualifiée de crise, comme si elle était un phénomène conjoncturel. Pourtant, malgré les politiques publiques volontaristes menées tant par les gouvernements de droite (Barre) que par les premiers gouvernements de gauche (Mauroy), c’est bien un phénomène irréversible qui touche les vallées de la Chiers ou de la Fensch.

Tout comme la bonneterie auboise ou le textile vosgien, les usines ferment, sont souvent abandonnées à l’état de friches industrielles et des milliers de personnes, mineurs ou ouvriers, perdent leur emploi sans grand espoir d’en retrouver un sur les mêmes lieux, victimes d’une précarisation et d’une paupérisation croissantes. Il faut bien sûr interroger les facteurs de cette désindustrialisation qui pointait pourtant déjà dans l’optimisme des années 1960 et interroger autant les politiques locales et nationales que les transformations de l’économie mondiale sous l’effet d’une plus grande libéralisation et d’une révolution des transports permettant de produire tout en n’importe quel endroit du globe à des coûts compétitifs.

Les usines ferment ou partent dans les stratégies de délocalisation à l’échelle mondiale des nouveaux patrons de l’industrie, financiers plus que capitaines d’industrie attachés à leurs territoire (Cf. video ci-dessus La disparition de Boussac : la fin d’un modèle économique).

La France, et en particulier ses vieilles régions industrielles des Hauts-de-France et du Grand Est, a été durement frappée par l’émergence des nouveaux concurrents. Les effectifs de l’industrie ont fondu, pertes en partie compensées par la tertiarisation de l’économie, avec l’idée que les activités de services devaient être la colonne vertébrale des économies modernes. Il n’en est rien, l’exemple allemand le rappelant à toute l’Europe : l’activité industrielle reste au coeur des économies nationales par ses effets d’impulsion sur les autres secteurs, notamment le très observé commerce extérieur.

# Face à de nouveaux enjeux : un processus de réindustrialisation en cours ?

En 2001, le PDG d’Alcatel (une entreprise alsacienne à ses origines) expliquait son projet de créer une entreprise fabless, c’est-à-dire sans usine. Alcatel, alors leader mondial, a aujourd’hui disparu, racheté par un concurrent plus perspicace… Quelques dix ans plus tard, Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, militait pour le consommer made in France. En 2020, la crise du COVID 19 montrait la dépendance de la France en produits manufacturés venus en particulier de Chine.

Au cours des vingt années écoulées, la question de l’industrie a donc traversé le débat public, résumé dans un terme : la désindustrialisation, entamée brutalement dans les années 1970 et qui s’est poursuivie depuis sous l’effet des transformations de l’économie mondiale. Aujourd’hui, l’enjeu est devenu celui de la réindustrialisation de la France. Ces deux termes soulignent donc, par un effet miroir, que la France a longtemps été un pays industrialisé, certes pas le premier en Europe, mais on a tout de même pu parler de puissance industrielle française, avant qu’elle ne recule voire disparaisse.

Depuis la création des pôles de compétitivité par de Villepin en 2004 et celle du ministère du redressement productif confié à Montebourg en 2012, l’industrie est clairement redevenue une priorité publique. Ces pôles, conçus sur le modèle des clusters d’entreprises, au nombre de six dans notre région, doivent permettre d’orienter l’économie régionale vers l’innovation dans différents domaines, notamment les ressources agricoles ou la santé. Ainsi s’est structurée en Alsace la Bio Valley qui donne naissance à un nouveau paysage industriel régional.

Dans le même temps, la région connaît quelques exemples de relocalisation industrielle dont témoigne le Coq Sportif, marque revenue à Romilly-sur-Seine.

Il est sûrement trop tôt pour parler d’un mouvement de réindustrialisation, d’autant que les chiffres montrent qu’en fait, si l’industrie a beaucoup reculé, la région Grand Est demeure, en grande partie grâce à l’Alsace, la seconde région industrielle de France. Toutefois, les territoires sont très inégaux en matière de localisation industrielle, répondant plus ou moins bien aux critères d’attractivité actuels.

# Piste pédagogique associée

Le même contenu, adapté à l’enseignement, est accessible aux enseignants et aux élèves de la région Grand Est, sous le titre :« Industrialisation et désindustrialisation en Grand Est ».