Le haut-fourneau U4 d’Uckange : quel avenir pour le passé sidérurgique lorrain ?

Dés le début du XVIII° siècle, les premières forges ouvrent à Uckange, mais c’est l’arrivée des frères Stumm fin XIX° siècle qui marque le point de départ de l’histoire industrielle d’Uckange. Allemands, venus avec l’occupation de la Moselle après 1870, les frères Stumm cherchent d’abord à approvisionner leurs usines sarroises grâce au minerai lorrain. Finalement ils créent des hauts-fourneaux à Uckange à partir des années 1890 et à la veille de la Grande Guerre, ce sont 6 installations qui fonctionnent.

Confisquée en 1919, la propriété des frères Stumm devient propriété de la Société des Forges et Aciéries du Nord et de la Lorraine au titre des dommages de guerre. Au cours des années 1930, celle-ci modernise les équipements et reconstruit intégralement le haut-fourneau U4. Dans les années 1960, rachetée par Usinor, l'usine se spécialise dans la fonte de moulage. Uckange renonce à la minette de Lorraine, le minerai local, pour utiliser des minerais dont l’importation se fait depuis Rotterdam en empruntant le Rhin et la Moselle. La prospérité d’Uckange vient en partie de sa localisation qui lui offre une situation idéale au cœur du bassin lorrain. Le site fait donc l’objet de modernisations régulières et devient le leader français de la production de fonte spéciale. Il emploie 2 800 personnes en 1970 mais le nombre de hauts-fourneaux est réduit dès le milieu des années 1960, la production se concentrant peu à peu sur les U1 et U4. Les années 1960 – 1980 constituent donc pour le site d’Uckange une période de grande prospérité même si comme partout en Lorraine, les premières difficultés apparaissent. 

Longtemps à l’arrêt dans les années 1970, le U4 est redémarré en 1983, après des travaux de modernisation, mais est finalement définitivement fermé par Usinor en décembre 1991, mettant fin un siècle de production de fonte à Uckange

Dès la fermeture du site, l’association MECILOR (Mémoire Culturelle et Industrielle de LORraine) , constitué par des anciens des hauts-fourneaux, les élus locaux et la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) de Lorraine se mobilisent pour préserver le site et obtiennent son classement à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques en 2001. Le site est aussi racheté par la Communauté d’Agglomération du Val de Fensch en 2005. Reste à lui construire un nouvel avenir … 

Le reportage de France 3 Lorraine, réalisé en octobre 2017, porte sur le site U4 d’Uckange, dans le val de Fensch, en Moselle, dans un des coeurs historiques de la Lorraine sidérurgique. Il est présenté dans une rubrique intitulé ‘’patrimoine’’ en soulignant son inscription aux Monuments historiques, ce qui d’emblée montre la place particulière du lieu. Pourquoi peut-on dire qu’Uckange est un patrimoine vivant ?

Le lieu est d’abord un lieu du passé, et le reportage en rappelle à grands traits son histoire, accompagné d’images montrant la dure tâche des hommes au travail dans un haut-fourneau pendant un siècle, jusqu’à sa fermeture en 1991. Les images suivantes sont donc celles d’un site à l’arrêt, sans activité et sans vie, un lieu du passé. Mais elles cèdent vite la place aux couleurs de la scénographique créée par Claude Levêque pour la réouverture du site en 2007. Entre ces deux séquences, une patrominialisation du haut-fourneau a eu lieu. U4 est devenu, comme le soulignait la présentation du sujet, un élément du patrimoine, c’est-à-dire un élément du passé dont la transmission aux générations futures a paru indispensable.

Si le haut-fourneau a été choisi pour incarner la mémoire industrielle lorraine, c’est pour la qualité exceptionnelle du site qui répondait aux besoins du projet : montrer ce qu’a été la sidérurgie et la vie des sidérurgistes. Le site est en effet complet, riche de tous les bâtiments nécessaires au fonctionnement du haut-fourneau et l’implantation de ceux-ci contribue à la mise en place d’un parcours pédagogique pour le grand public. Il ne faut en effet pas oublier, et la première femme interrogée comme le guide – un ancien employé – le soulignent, que les habitants voyaient les installations de loin, en particulier le rougeoiement de la nuit, mais seuls les travailleurs pouvaient y pénétrer. Pour le visiteur d’aujourd’hui, même un local, visiter le haut-fourneau reste une découverte. La première vocation du lieu est ainsi soulignée par la seconde femme interrogée : le lieu est un témoignage, et donc un outil pour rappeler ce qui s’est passé ici et ainsi fixer la mémoire du lieu, un outil pour ne pas oublier ce que fut la vie des hommes du fer.

Les deux visiteuses soulignent aussi une autre dimension du site : il a été le lieu du travail difficile de milliers d’hommes, mais il est aujourd’hui, le lieu d’émotions car, bien que site industriel marqué par le temps, il est aussi porteur d’une esthétique que les promoteurs essaient de valoriser grâce au travail des artistes. Faire de ce lieu un lieu de création, un lieu de l’art et du beau, c’est aussi contribuer à sa mémoire en rappelant que l’art comme la mémoire sont avant tout porteurs d’émotions.

Mais le site est aussi doté d’une autre dimension, ancré dans le présent et tourné vers le futur avec la présence de MétaFensch, un centre public de recherche et de développement qui travaille dans le domaine de l'élaboration du métal et de son économie circulaire. Ce centre, inauguré par le Président de la République en personne en 2016 est d’abord la réponse politique à un des plus grands échecs du quinquennat Hollande : la fermeture des hauts-fourneaux voisins de Florange, malgré l’engagement de l’État et des syndicats, en particulier la CFDT d’Edouard Martin, devenu ensuite député. Le laboratoire est donc le moyen de tourner la sidérurgie lorraine vers le futur, avec de potentiels emplois à la clé grâce à l’innovation technologique.

On peut avoir de Uckange, à l’instar de l’élu communiste, une vision très critique en reprochant au projet de ne pas assez s’inscrire dans les besoins des hommes du temps présent. Mais on peut aussi voir dans ce lieu exceptionnel un patrimoine vivant qui tisse un fil générationnel entre les habitants et réconcilie une région avec son passé, un moyen symbolique de tourner la page, sans oublier, pour se projeter vers demain.