Fermeture des deux hauts-fourneaux de la Chiers à Longwy
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Résumé
Au cœur de la crise industrielle qui frappe la sidérurgie française à partir des années 1970, le bassin de Longwy témoigne du combat d’une société ouvrière qui voit la disparition d’un territoire marqué dans son histoire et sa géographie par un siècle de travail du fer.
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Date de publication du document :
01 sept. 2021
Date de diffusion :
04 août 1979
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Contexte historique
ParProfesseur certifié d'histoire-géographie au collège François Legros de Reims
Publication : 01 sept. 2021
Si l’activité sidérurgique est attestée dans la région depuis l’Antiquité, c’est dans la seconde moitié du XIXe siècle, le siècle de l’industrialisation française, que naît véritablement une industrie lorraine du fer, la sidérurgie. Cette dernière bénéficie de la présence de vastes forêts fournissant le combustible nécessaire, le charbon de bois, puis du charbon de terre (la houille) extrait des mines, et la matière première, le minerais de fer (ici de la minette). Le bassin lorrain, nom que l’on donne à cette région devenue cœur industriel de la France entre 1860 et 1914 malgré l’occupation partielle de l’Empire allemand, s’intègre en fait dans l’espace transfrontalier réunissant aussi Belgique, Luxembourg et Allemagne.
L’industrie lorraine du fer a été créée par des petits maîtres de forge. Elle se caractérise donc jusqu’aux années 1960 par une concentration faible, même si quelques entreprises importantes existent. Cette structure ne constitue cependant pas un frein à son essor durant un siècle, marqué par le poids croissant du fer dans tous les secteurs de l’activité économique (chemin de fer, construction navale, architecture,…). L'activité profite en plus de la création dès 1951 de la Communauté européenne du charbon et de l’acier, qui place le fer et la Lorraine au centre de la reconstruction du continent et de la construction d’une Europe unie après un siècle de guerre fratricide, dont elle a été un des enjeux économiques. Pour la région, les activités minières et sidérurgiques, le plus souvent intégrées, sont les moteurs de l’économie locale et offrent des emplois en quantité presque infinie : il y a 25 000 mineurs de charbon en 1955, 100 000 personnes travaillent dans la filière au milieu des années 1960, et la Lorraine produit 60% du fer français, contribuant à faire de la France un champion européen du secteur. La Lorraine est bien le pays du fer.
Pourtant, les difficultés s’accumulent très vite après un siècle de grande prospérité. Les années 1960 font éclater au grand jour les faiblesses structurelles et conjoncturelles du bassin lorrain : diminution de la demande des Trente Glorieuses (croissance ralentie et apparition de nouveaux produits plus légers que le fer), concurrence des produits sidérurgiques européens et asiatiques (Japon puis Corée du Sud), concurrence aussi du minerai étranger de meilleure qualité que la minette lorraine et qui tire avantage de la baisse des coûts du transport maritime, nécessité de construire des unités de production utilisant des procédés plus performants, ce que les entreprises lorraines n’ont pas souvent les moyens de réaliser. Le fer sorti des usines lorraines n’est finalement pas compétitif et pas assez performant.
Les premiers plans de suppression d’emplois datent du début des années 1960 mais passent relativement inaperçus, car les licenciements sont facilement absorbés par la prospérité économique générale et l’essor des services. L’État et le patronat s’en inquiètent cependant. L’exécutif, mené par le général de Gaulle, partisan d’un dirigisme économique dans un libéralisme encadré, favorise le regroupement des entreprises pour créer des champions nationaux, Usinor et de Wendel. Il encourage aussi la relocalisation de l’industrie sidérurgique au fil de l’eau, autour de l’étang de Berre en Méditerranée et de Dunkerque sur la Manche, pour réduire les coûts de transport. Cet interventionnisme public ainsi que la stratégie de concentration verticale (pour contrôler toute la filière) et de modernisation de certaines entreprises, dont celle de la Chiers, ne font que ralentir la désindustrialisation, qui devient massive et brutale avec la crise économique qui débute en 1974. La Lorraine sidérurgique entre alors dans un cycle de vingt ans marqué par les fermetures de sites, les licenciements et les démantèlements de ses cathédrales de fer.
C’est de cette désindustrialisation brutale que traite le reportage de TF1 à l’été 1979.
Éclairage média
ParProfesseur certifié d'histoire-géographie au collège François Legros de Reims
En plein été 1979, le journal de la mi-journée de TF1 consacre un très court reportage à la fermeture de deux hauts-fourneaux à Gouraincourt, un quartier historique de la sidérurgie à Longwy. Pour le journaliste, cette fermeture s’inscrit dans le « plan de restructuration » de la région, expression qui dit le contexte mais nuance la gravité de la situation.
La vallée de la Chiers, qui arrose Longwy à la frontière avec le Luxembourg, est un des grands espaces productifs de l’industrie sidérurgique française. En 1881, la Société des hauts-fourneaux de la Chiers a été créée à Longwy-bas. Le nombre des hauts-fourneaux a augmenté peu à peu ; cinq sont encore en activité en 1976, employant 3 600 personnes. Le haut-fourneau, sur lequel ouvre le reportage, comme un symbole du paysage de la région, c’est le cœur de la sidérurgie. Il fonctionne en continu et on y brûle à très haute température du charbon et du minerai de fer pour produire de la fonte, visible dans le reportage lors de la coulée. Le haut-fourneau se situe donc au centre d’une filière allant de la mine aux produits finis.
La Société de la Chiers est reprise début 1979 par le groupe sidérurgique Usinor, largement soutenu par l’État, qui a pour mission de mener à bien la restructuration de l’activité. Dès août 1979, les deux hauts-fourneaux sont arrêtés et 1 200 personnes perdent leur emploi. Cette fermeture est en fait le résultat des difficultés structurelles de la filière sidérurgique dans la vallée de la Chiers, mais aussi de la stratégie du gouvernement libéral mené par le Premier ministre Raymond Barre. Dès 1978, face à la crise du secteur, le gouvernement essaie de prendre appui sur les entreprises les plus solides, Usinor et Sacilor, pour le restructurer : la filière est réorganisée avec des fusions d’entreprises et des fermetures de sites ; des plans massifs de licenciements visent les sites les plus en difficultés.
Le reportage décrit ce moment de la fermeture et présente la faible mobilisation des salariés et de la ville. Pour preuve, la manifestation de ce 3 août. Toutefois, le journaliste souligne que les personnes sont démoralisées : ce que le reportage donne à voir ne traduit pas le véritable combat qui a été menée à Longwy pour sauver la sidérurgie. La ville a été un haut lieu de la lutte ouvrière dans un bastion du syndicalisme lié à la CGT et à son allié politique le Parti communiste français (PCF). La CGT comme le PCF sont tous deux encore très puissants à la fin des Trente Glorieuses ; ils incarnent la classe ouvrière et ses revendications dans un clivage politique très marqué entre droite et gauche, monde ouvrier et patronat. Fin 1978-début 1979, les sidérurgistes ont beaucoup lutté et multiplié les actions spectaculaires : grandes manifestations, dont la marche des mineurs sur Paris en mars 1979, émeutes à Longwy, création d’une radio clandestine,… Un combat très dur, dont la manifestation montrée dans le reportage ne rend pas compte car, comme le journaliste le souligne, en août 1979, il n’est plus temps de revendiquer et de défendre : la marche est plutôt celle d’un enterrement. C’est la fin d’une usine, d’une activité au cœur de la vie des populations de la vallée. C’est le temps du deuil, et déjà celui du futur, car le gouvernement a créé la Convention générale de protection sociale dans la sidérurgie (CGPS). Signée en juillet 1979 par tous les syndicats à l’exception de la CGT, la CGPS permet des départs en préretraite, des mutations sur d’autres sites et des primes pour les départs volontaires. Une gestion très sociale de la crise économique donc.
La fermeture des hauts-fourneaux, c’est donc une crise économique avec de fortes conséquences sociales, mises en avant par le présentateur. Les dernières images soulignent aussi que c’est une page d’histoire séculaire qui se tourne. Enfin, un regard géographique soulignera que c’est aussi un paysage, à la fois visuel, sonore et olfactif, qui s’efface. Un paysage industriel qui faisait l’identité d’un territoire.
Transcription
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