La disparition de Boussac : la fin d’un modèle économique
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Résumé
L’entreprise textile Boussac, implantée notamment dans les Vosges, disparaît brutalement à la fin des années 1970, malgré différents plans de sauvetage. Le traumatisme est profond selon les témoins de l’époque : c’est un ‘’empire’’ qui sombre, des emplois et tous les avantages attachés qui disparaissent.
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Date de publication du document :
16 nov. 2022
Date de diffusion :
10 déc. 1999
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Contexte historique
ParProfesseur certifié d'histoire-géographie au collège François Legros de Reims
Le reportage de la satation régionale de France 3 Lorraine rappelle la douloureuse disparition d’une entreprise historique des Vosges et d’un fleuron de l’industrie française, le groupe textile Boussac.
L’activité textile est une activité très large qui comprend la transformation de matières premières de diverses origines (végétale, animale ou chimique) pour produire un fil (le filage) puis un tissu (le tissage) et enfin un vêtement (la confection). Elle regroupe donc de multiples métiers. C’est d’abord un artisanat très ancien qui a donné naissance à une proto-industrie avant la Révolution française puis une industrie avec la première industrialisation au début du XIXe siècle en France.
En Lorraine, l’activité est attestée dés le Moyen-Âge avec en particulier le travail du chanvre, du lin et de la laine. Le coton arrive dans les Vosges au milieu du XVIIIe siècle, avec l’ouverture d’une filature à Epinal, mais l’activité est surtout dominée par le filage et le tissage à domicile dans les montagnes vosgiennes. L’industrialisation dans la région est liée à la présence de l’eau qui fournit l’énergie nécessaire aux métiers des premiers ateliers. L’industrie est née, renforcée en particulier par l’installation d’industriels alsaciens fuyant l’occupation prussienne après 1870. La Première Guerre mondiale ne freine pas son essor. En 1932, près de 250 unités de production font ainsi travailler quelques 40 000 personnes. Avec notamment le Nord pour la laine et l’Aube pour la bonneterie, les Vosges sont une place forte de l’industrie textile française et l’activité contribue à la bonne santé économique de la région après la Seconde Guerre mondiale, alors que l’exode agricole s’accélère.
Pourtant, dés les années 1960, les premières difficultés économiques touchent le secteur, comme l’ensemble de l’économie française. Les ‘’Trente glorieuses’’ (1945 – 1975), selon l’expression célèbre de Jean Fourastié, donnent déjà des signes de ralentissement. Mais c’est au milieu des années 1970, avec le premier choc pétrolier de 1973, que les difficultés françaises apparaissent au grand jour, de manière brutale, en particulier dans une région de mono-industrie comme l’étaient les Vosges : à l’instar de ce qui s’est passé avec Boussac, ce sont des centaines de milliers d’emplois qui ont disparu en quelques années, sans alternative dans bien des cas. Les explications de ce qu’on a appelé « la crise » mais qui est en fait une mutation économique majeure, sont multiples.
La crise du textile français et l’effondrement de Boussac (comme de ses concurrents d’ailleurs) est d’abord le résultat d’une inadaptation au nouveau contexte économique international. En effet, les entreprises françaises ont longtemps bénéficié du protectionnisme de l’État et en particulier des débouchés garantis vers les colonies. Cette situation est selon certains auteurs responsables d’un manque de compétitivité industrielle qui se manifesterait par la faiblesse des investissements pour moderniser l’outil de production et innover, d’une absence de prise en compte de la nouvelle concurrence internationale, venue en particulier des pays-ateliers asiatiques au faible coût de main d’œuvre et finalement, de modes d’organisation et de gestion des grands groupes peu efficients et réactifs. Quand le contexte international change rapidement à partir de 1973, les groupes comme Boussac sont incapables de trouver des réponses, le soutien de l’État ne permettant pas de sortir d’une impasse stratégique.
La disparition de Boussac, fleuron du capitalisme français, est donc aussi le témoin du passage de l’économie des Etats-nations à une économie mondialisée, dérégulée et concurrentielle. Marcel Boussac est un héritier des capitaines d’industrie du XIXe siècle qui a dû céder devant les nouveaux industriels-financiers puisque son fossoyeur a finalement été Bernard Arnault, figure de prou du capitalisme français actuel.
Éclairage média
ParProfesseur certifié d'histoire-géographie au collège François Legros de Reims
France 3 Lorraine a produit ‘’Témoins du siècle’’ en 1999 pour marquer les grands événements de la région. La disparition de ce que le journaliste en plateau qualifie d’empire
Boussac a en effet profondément marqué les Vosges. Pourquoi un tel retentissement ?
Le reportage est de facture classique : il mêle des images d’archives prises à différentes périodes de l’histoire de l’entreprise Boussac et les témoignages de deux anciens syndicalistes locaux qui portent en 1999 un regard distancié sur la fin de Boussac. Par contre, les anciens employés et dirigeants apparaissent seulement dans les images d’archives. Plusieurs thèmes sont abordables avec ce reportage.
Le reportage permet tout d’abord de décrire l’empire Boussac, construit sur le siècle puisque les premiers pas de Marcel Boussac dans le secteur textile date de 1911. Les deux guerres mondiales jouent un rôle d’accélérateur en lui offrant de nouvelles opportunités grâce à des appuis politiques savamment dosés. On a ainsi le portait d’un homme qui a construit seul un empire qui dépasse le cadre de l’industrie textile pour se diversifier dans le luxe, la distribution, la presse et la course hippique. On a là le portrait d’un self-made-man ou d’un capitaine d’industrie telle qu’on les connaît aux Etats-Unis : un homme audacieux, qui a le sens des opportunités et qui apparaît comme une figure incontournable du pays par son aura médiatique. La fin du reportage permet de voir le modèle paternaliste mis en place par Boussac : plus qu’un salaire, faible, les employés bénéficient de nombreux avantages en nature, allant du logement à la crèche, de la bourse aux études à la machine à laver offerte à toutes les employées. Ce paternalisme se lit aussi dans la lettre de demande de mise en règlement judiciaire de l’entreprise : on y lit que depuis de nombreuses années, le dirigeant sacrifie sa fortune pour sauver les salaires et ne pas licencier. Ce rapport entretenu par Boussac avec ses salariés, qui n’empêche pas le patron d’être un autocrate, permet d’interroger la question des transformations des rapports sociaux dans le monde du travail.
Les étapes de la chute de l’Empire, finalement démantelé après avoir été repris par des concurrents (les frères Willot notamment, des industriels roubaisiens) puis des financiers intéressés par les activités les plus prometteuses du groupe (la maison de couture Dior pour Arnault), sont décrites. Pour les salariés, et les deux employés le disent, la seule question est celle du maintien de l’emploi dans une région de mono-industrie et presque de mono-entreprise. Ce qui est intéressant ici, c’est le rôle de l’État face à l’effondrement. Dans un premier temps (gouvernement Barre,1976 - 1981), il a soutenu l’endettement du groupe auprès des banques. En 1981, la Gauche arrive au pouvoir avec Mitterrand et entend mener une politique de rupture économique et sociale. Boussac, comme la sidérurgie lorraine, est alors un symbole du changement promis au monde ouvrier. L’État nationalise pour sauvegarder l’emploi … mais les deux anciens militants syndicaux sont clairs : l’État n’a pas de solution viable à proposer aux ouvriers, sauf à mettre en place une politique d’accompagnement social et éventuellement de faible diversification de l’activité, pour seulement diluer la brutalité de la crise. On notera que le reportage pointe que les employés perdent bien plus qu’un emploi avec la fin du paternalisme dont ils sont l’objet. Cela interroge ici sur le rôle de l’État et de l’entreprise dans une économie libérale.
Enfin, on notera l’omniprésence du patrimoine industriel dans les images proposées, avec des grands bâtiments, les sheds des usines et les usines sur plusieurs étages. On a là un matériau pour faire une histoire de l’industrie par le bâti. On pourra aussi s’interroger sur la patrimonialisation de ce bâti, en constatant en particulier l’état d’abandon du grand bâtiment derrière le principal témoin.
Transcription
(Cliquez sur le texte pour positionner la vidéo)
Eric Sicaud
Plus sombre, notre série les témoins du siècle nous ramènent ce soir à l’un des épisodes les plus noires de l’histoire industrielle de la région, l’effondrement de l’empire Boussac.L’entreprise n’a pratiquement pas survécu à la crise du textile des années 70, dans les Vosges, ce sont plus de 10 000 emplois directs et indirects qui ont été supprimés.Reportage de Dominique et Jean-Pierre Petitcolas.
(Musique)
Maxime Leroy
En 78, tout Boussac confondu dans le département, il y avait pour 15 établissements, il y avait 6 500 salariés et 3 500 salariés indirects ou semi-directs.Ça porte à 10 000 le nombre de salariés Boussac en 78.
Dominique Petitcolas
20 ans plus tard, à Nomexy.Un tissage et une teinturerie employant 200 personnes sont les derniers survivants de l’empire Boussac.Car jusqu’aux années 70, il s’agit bien d’un empire où se côtoient tissage, confection, négoce et prestige, Conforama, Dior, le journal l’Aurore, Paris-Turf et les Haras de Jardy sont la propriété de Marcel Boussac alors, l’homme le plus riche de France.
Jean-Claude Boussac
Le groupe Boussac c’est 67 ans d’intelligence, de volonté et de courage d’un grand industriel, c’est une réalisation exceptionnelle.
Dominique Petitcolas
Seulement voilà, l’industrie textile traverse une crise la plus dure de ces trente dernières années.Une crise structurelle qui précipite le groupe au fond de l’abîme.Le 13 juillet 1978, abandonnée par les banques, Marcel Boussac demande la mise en règlement judiciaire de son empire.Ce jour-là commence l’affaire Boussac.
Maxime Leroy
Je ne pense pas que l’ensemble des salariés pouvait s’y attendre, je ne le pense pas.
Marcel Marie
Le coup était très dur pour tous ces salariés parce que le textile étant une mono industrie, les salariés, ils ne savaient pas où ils allaient travailler plus tard.
Dominique Petitcolas
Dans les vallées vosgiennes, la tension monte jusqu’à l’annonce du nom du repreneur.Face à Maurice Bidermann, les frères Willot des industriels du Nord l’emportent.
Ouvrier
Ils prévoient 2 000 lettres de licenciement ici.Et pas qu’ici hein, partout à Nancy, partout à Vincennes aussi, alors…
Inconnu 1
Ces groupes textiles enfin ou ces groupes industriels, eux, ce qui les concernent surtout c’est de faire une bonne affaire, c’est de récupérer tout ce qui est intéressant de chez Boussac et les risques c’est toujours la même chose, c’est l’emploi pour le personnel, c’est les risques de fermeture d’usine, les risques de licenciement d’ailleurs Willot en a annoncé la couleur.
Maxime Leroy
Pour beaucoup ce n’était pas un espoir, c’était comme un entracte sur l’évènement général.
Dominique Petitcolas
L’espoir renaît en 1981.François Mitterrand vient d’être élu, au bord de la faillite, les frères Willot sont contraints et forcés d’abandonner les restes du groupe Boussac.L’Etat devient alors le principal actionnaire.
Marcel Marie
L’arrivée de la gauche a créé un immense espoir dans ce pays, au niveau Boussac on a vite vu qu’on en voyait le bout tout de suite.
Maxime Leroy
On achète la paix sociale.On fait croire aux salariés qu’on va les recaser, qu’on va trouver pour eux d’autres secteurs d’activité.Effectivement, il y a quelques arrivées d’entreprises qui, depuis, certainement ont disparu d’ailleurs mais je veux dire, ça apaise mais ça ne guérit pas.
Dominique Petitcolas
Finalement, Boussac est privatisée en 1984, le groupe sera lentement démantelé.Dès lors, les derniers employés, les derniers Boussac perdront tous les acquis sociaux, le logement gratuit, la crèche, les colonies de vacances ou encore les bourses d’étude pour les enfants.
Maxime Leroy
Perdre tout ça c’était perdre beaucoup et on peut le comprendre, et on peut le comprendre.
Dominique Petitcolas
Et ils l’ont perdu ?
Maxime Leroy
Et ils l’ont perdu évidemment, ils ont perdu beaucoup comme ça hein.Donc, c’est sûr que pour eux c’est un traumatisme difficile à vivre, il y a des drames hein, ce n’est pas… Il y a eu des drames c’est certain.
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