Le conseil des ministres à Lyon
Notice
Le président de la République, Valéry Giscard d'Estaing, a décidé que les Conseils des ministres se tiendraient en province. La prochaine réunion gouvernementale aura lieu à Lyon. André Rossi, porte parole du gouvernement, revient sur cette volonté de décentralisation.
- Rhône-Alpes > Rhône > Lyon
Éclairage
Le mercredi 11 septembre 1974, le salon jaune de la préfecture du Rhône, accueille le premier Conseil des ministres de la Cinquième République qui ne se tienne pas dans la capitale. L'événement avait été annoncé une semaine plus tôt par André Rossi, porte parole du gouvernement qui l'avait justifié ainsi : « dans un souci de décentralisation, et afin de mieux suivre les délibérations du gouvernement, le prochain Conseil des ministres aura lieu à Lyon ». Ce déplacement souhaitait s'inscrire dans une certaine logique : la décentralisation était en effet un des thèmes importants de la campagne du candidat Valéry Giscard d'Estaing à la présidence (le «poids de Paris » devant être « rééquilibré »). De même, dans les colonnes du Progrès du 11 septembre 1974, le président légitimait cette journée en déclarant : « nous devons cesser de considérer notre pays comme constitué par un grand centre attractif unique, avec une zone grise tout autour ». A ses yeux, le but de cette journée était de permettre à « chacun de saisir que la France doit aménager et organiser son avenir à partir de l'ensemble de son territoire ». Il s'agissait également d'entretenir avec les Français une « vision directe des hommes et des problèmes ».
Cependant, au-delà des déclarations d'intention, les décisions prises cette journée ne relèvent pas d'une logique d'une décentralisation du pouvoir administratif et politique. Réunis autour du président de la République, les ministres qui composent le gouvernement Chirac adoptent deux projets de politique sociale (notamment sur l'extension de la Sécurité Sociale) et traitent de dossiers techniques habituels dans ce genre de réunion.
Au-delà du déménagement temporaire du lieu de réunion gouvernemental et de quelques visites de terrain de membres du gouvernement à des établissements ou services dépendants de leur administration (Michel Poniatowski, ministre de l'Intérieur a visité la ville nouvelle de l'Isle d'Abeau ; René Haby, ministre de l'Éducation nationale s'est rendu au rectorat de Lyon ; Jean Lecanuet, garde des Sceaux, a visité le palais de Justice et le tribunal administratif de la Part Dieu ; Simone Veil, ministre de la Santé, s'est rendue à l'hôpital de l'Hôtel-Dieu et au centre de la cité de l'Enfance de Bron...) cette journée ne correspond pas à la mise en place de réformes de fond. En fait, entre les lois de 1972, portant création et organisation des régions (époque Pompidou) et les grandes lois de décentralisation de 1982 (époque Mitterrand), aucune réforme réelle visant à accélérer la décentralisation n'a été prise.
La tenue de ce Conseil des ministres décentralisé témoigne plutôt d'une certaine pratique communicationnelle du pouvoir. Tout au long de la campagne présidentielle de 1974, et à la suite des résultats victorieux du 19 mai, Valéry Giscard d'Estaing n'a eu de cesse de se présenter comme le tenant d'une « ère nouvelle dans la politique française ». Une série de mesures et de réformes symboliques ont ainsi marqué le début de son septennat et devaient signifier le « changement » (abaissement de l'âge de la majorité à 18 ans, promulgation de la loi autorisant l'interruption volontaire de grossesse, éclatement de l'ORTF). Mais la rupture voulue était aussi un changement de ton et de style. Le nouveau président souhaitait ainsi « décrisper » la vie politique française par une simplification du protocole, par le souci de donner un caractère plus public que ses prédécesseurs à l'encadrement du travail gouvernemental. Cela passait aussi par une volonté de communiquer en multipliant les occasions d'apparaître aux côtés des Français. Il n'hésitait pas, alors, à se montrer en maillot de bain sur la Côte d'Azur, en skieur à Courchevel, en pilote d'hélicoptère, en père attentionné. Surtout, il s'affichait comme le président simple et proche des Français : prenant, devant photographe, le petit déjeuner avec des éboueurs de la Ville de Paris la veille de Noël 1974, ou multipliant les « dîners chez les Français ». Pour reprendre les mots de l'historien des médias Christian Delporte, pour le nouveau président, la communication est un spectacle permanent.
C'est donc plus dans cette logique qu'il faut inscrire l'événement « Conseil des ministres décentralisé à Lyon ». Cette pratique ne s'est d'ailleurs reproduite que deux fois (Evry en 1975, puis Lille en 1976). Elle nous renseigne sur l'importance donnée à l'acte de communication en politique, particulièrement fort chez un président attentif à l'utilisation des médias et sensible à son image.
Bibliographie :
- Christian Delporte, La France dans les yeux, une histoire de la communication politique de 1930 à nos jours, Paris, Flammarion, 2007.