Le conseil des ministres à Lyon

11 septembre 1974
06m 37s
Réf. 00457

Notice

Résumé :

Le président de la République, Valéry Giscard d'Estaing, a décidé que les Conseils des ministres se tiendraient en province. La prochaine réunion gouvernementale aura lieu à Lyon. André Rossi, porte parole du gouvernement, revient sur cette volonté de décentralisation.

Date de diffusion :
11 septembre 1974
Source :
ORTF (Collection: JT 20H )
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Lieux :

Éclairage

Le mercredi 11 septembre 1974, le salon jaune de la préfecture du Rhône, accueille le premier Conseil des ministres de la Cinquième République qui ne se tienne pas dans la capitale. L'événement avait été annoncé une semaine plus tôt par André Rossi, porte parole du gouvernement qui l'avait justifié ainsi : « dans un souci de décentralisation, et afin de mieux suivre les délibérations du gouvernement, le prochain Conseil des ministres aura lieu à Lyon ». Ce déplacement souhaitait s'inscrire dans une certaine logique : la décentralisation était en effet un des thèmes importants de la campagne du candidat Valéry Giscard d'Estaing à la présidence (le «poids de Paris » devant être « rééquilibré »). De même, dans les colonnes du Progrès du 11 septembre 1974, le président légitimait cette journée en déclarant : « nous devons cesser de considérer notre pays comme constitué par un grand centre attractif unique, avec une zone grise tout autour ». A ses yeux, le but de cette journée était de permettre à « chacun de saisir que la France doit aménager et organiser son avenir à partir de l'ensemble de son territoire ». Il s'agissait également d'entretenir avec les Français une « vision directe des hommes et des problèmes ».

Cependant, au-delà des déclarations d'intention, les décisions prises cette journée ne relèvent pas d'une logique d'une décentralisation du pouvoir administratif et politique. Réunis autour du président de la République, les ministres qui composent le gouvernement Chirac adoptent deux projets de politique sociale (notamment sur l'extension de la Sécurité Sociale) et traitent de dossiers techniques habituels dans ce genre de réunion.

Au-delà du déménagement temporaire du lieu de réunion gouvernemental et de quelques visites de terrain de membres du gouvernement à des établissements ou services dépendants de leur administration (Michel Poniatowski, ministre de l'Intérieur a visité la ville nouvelle de l'Isle d'Abeau ; René Haby, ministre de l'Éducation nationale s'est rendu au rectorat de Lyon ; Jean Lecanuet, garde des Sceaux, a visité le palais de Justice et le tribunal administratif de la Part Dieu ; Simone Veil, ministre de la Santé, s'est rendue à l'hôpital de l'Hôtel-Dieu et au centre de la cité de l'Enfance de Bron...) cette journée ne correspond pas à la mise en place de réformes de fond. En fait, entre les lois de 1972, portant création et organisation des régions (époque Pompidou) et les grandes lois de décentralisation de 1982 (époque Mitterrand), aucune réforme réelle visant à accélérer la décentralisation n'a été prise.

La tenue de ce Conseil des ministres décentralisé témoigne plutôt d'une certaine pratique communicationnelle du pouvoir. Tout au long de la campagne présidentielle de 1974, et à la suite des résultats victorieux du 19 mai, Valéry Giscard d'Estaing n'a eu de cesse de se présenter comme le tenant d'une « ère nouvelle dans la politique française ». Une série de mesures et de réformes symboliques ont ainsi marqué le début de son septennat et devaient signifier le « changement » (abaissement de l'âge de la majorité à 18 ans, promulgation de la loi autorisant l'interruption volontaire de grossesse, éclatement de l'ORTF). Mais la rupture voulue était aussi un changement de ton et de style. Le nouveau président souhaitait ainsi « décrisper » la vie politique française par une simplification du protocole, par le souci de donner un caractère plus public que ses prédécesseurs à l'encadrement du travail gouvernemental. Cela passait aussi par une volonté de communiquer en multipliant les occasions d'apparaître aux côtés des Français. Il n'hésitait pas, alors, à se montrer en maillot de bain sur la Côte d'Azur, en skieur à Courchevel, en pilote d'hélicoptère, en père attentionné. Surtout, il s'affichait comme le président simple et proche des Français : prenant, devant photographe, le petit déjeuner avec des éboueurs de la Ville de Paris la veille de Noël 1974, ou multipliant les « dîners chez les Français ». Pour reprendre les mots de l'historien des médias Christian Delporte, pour le nouveau président, la communication est un spectacle permanent.

C'est donc plus dans cette logique qu'il faut inscrire l'événement « Conseil des ministres décentralisé à Lyon ». Cette pratique ne s'est d'ailleurs reproduite que deux fois (Evry en 1975, puis Lille en 1976). Elle nous renseigne sur l'importance donnée à l'acte de communication en politique, particulièrement fort chez un président attentif à l'utilisation des médias et sensible à son image.

Bibliographie :

- Christian Delporte, La France dans les yeux, une histoire de la communication politique de 1930 à nos jours, Paris, Flammarion, 2007.

Nicolas Rocher

Transcription

Claude Brovelli
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, bonsoir. C’est sans doute à terme que se feront sentir les effets profonds, au-delà de l’aspect psychologique passager, du séjour à Lyon, aujourd’hui, du Président de la République et des membres du gouvernement. Lorsque, par exemple, l’un des ministres, rentré à Paris, pourra apporter la solution à un problème dont il n’aurait peut-être pas mesuré toutes les données sans être venu ici à Lyon. Au conseil de ce matin qui s’est donc tenu à la préfecture de Lyon, les 20 membres du gouvernement qui entouraient le président Giscard d’Estaing, se sont essentiellement penchés sur les affaires sociales ; ce qui intéresse d’ailleurs, l’ensemble des Français. Nous y reviendrons dans le courant de ce journal, tout comme sur les contacts, que les différents membres du gouvernement ont eu ici avec des personnalités lyonnaises ou régionales, mais il était 10h ce matin.
Alain Fernbach
Lyon, 10h, dans ce salon de la préfecture va donc se tenir le premier conseil des ministres dans une ville de province. Autour du Chef de l’Etat, tous les ministres et 5 secrétaires d’Etat, à l’ordre du jour, des mesures sociales. Comme à l’Elysée, les délibérations sont secrètes mais c’est au milieu des Lyonnais, massés devant la préfecture que le porte-parole du gouvernement, monsieur Rossi fera le compte rendu.
Journaliste
Monsieur le Ministre, on voit que ce n’est pas un conseil des ministres comme les autres. Les mercredis à l’Elysée, il n’y a pas autant de monde, autant d’animations.
André Rossi
Non !
Journaliste
Donc, au moment où tout le monde s’apprête à partir, au moment où le président de la République quitte la préfecture de Lyon, où les autres ministres vont regagner Paris ; quel est le bilan que le gouvernement peut faire sur ce premier conseil des ministres décentralisé ?
André Rossi
Ce que souhaitait le président Giscard d’Estaing, c’était justement de créer dans l’esprit des gens cette idée qu’il faut débloquer un tas de mécanismes ; rétablir un tas de liens qui ont été rompus. Et, d’ailleurs, caractéristique à ce sujet, et ce matin, dans les décisions prises en matière de social ; tout est décision d’humanisation en matière de sécurité sociale, de simplification des formalités, etc. Pour bien montrer, justement, puisque ce que l’on veut, c’est d’essayer de créer maintenant une sorte de dialogue entre ce que l’on pourrait appeler le pouvoir et la grande opinion…
(Bruit)
Journaliste
Ce dialogue est établit car on n'est pas dans un salon doré mais au milieu de la foule lyonnaise. Alors, monsieur le Ministre, une expérience positive, est ce que vous pensez que très prochainement, il y aurait d’autres conseils des ministres dans d’autres grandes métropoles de province ?
André Rossi
Il y en aura dans d’autres grandes métropoles de province. Il n’y a pas de calendrier arrêté, le seul point qui a été arrêté, simplement, c’est que cela aurait lieu dans les périodes d’intersession parlementaire. Mais il y aura incontestablement à chaque intersession au moins une ville de visitée.
Claude Brovelli
La journée lyonnaise du président de la République a duré aujourd’hui, en tout, un peu plus de six heures. Six heures sans une minute de perdue puisque, aussitôt, après le déjeuner de travail qui a suivi, ce matin, la réunion de conseil des ministres ; monsieur Giscard d’Estaing est allé déposer une gerbe sur la tombe d’Edouard Herriot ; avant de visiter ensuite un centre pour l’enfance. Après quoi, le Président est rentré directement à Paris, en compagnie de monsieur Poniatowski. Dans la soirée, à l’Elysée, monsieur Giscard d’Estaing devait d’ailleurs recevoir le ministre italien, des Finances, monsieur Colombo. Mais, revenons sur l’après-midi lyonnais du président de la République.
Journaliste
Après son départ de la préfecture, il était 15h environ, c’est donc au cimetière de Fourvière que monsieur Giscard d’Estaing s’est rendu pour s’incliner sur la tombe d’Edouard Herriot ; de l’ancien maire de Lyon et président de l’Assemblée nationale, le chef de l’Etat a dit : sans lui, Lyon ne serait pas Lyon, la République ne serait pas tout à fait la République. Le président avait demandé à ses ministres de profiter de ce déplacement à Lyon pour examiner les problèmes concrets sur le terrain. En compagnie de madame Simone Veil, ministre de la Santé, et de monsieur René Lenoir, secrétaire d’Etat chargé de l’action sociale ; il avait choisi, pour sa part, de visiter la cité de l’enfance à quelques kilomètres à l’est de Lyon. Ce vaste ensemble, construit dans un parc boisé de 8ha, a pour mission d’accueillir, d’observer, de former et d’orienter les enfants confiés au service de l’aide sociale à l’enfance. Il permet d’offrir à 350 enfants de tous âges, brusquement séparés de leurs parents, un cadre de vie familial. 13 pavillons de 15 places, un groupe scolaire comprenant 3 classes et 2 jardins d’enfants ; une infirmerie, et un personnel nombreux et compétent de près de 300 personnes ; et puis, une école technique et pratique de formation sociale annexée à la cité, font de cette ensemble un véritable modèle. Un modèle marquant la nouvelle orientation de l’aide sociale à l’enfance qui tend à devenir un service de protection de l’enfance en danger.
(Silence)
Journaliste
Pendant près d’une heure, le chef de l’Etat a donc visité les bâtiments les plus importants. Il s’est inquiété de l’avenir de ces enfants ; de leur formation, de la nature des soins qui leur sont donnés. Et puis, il s’est attaché à leur apporter du réconfort.
(Bruit)
Journaliste
Vers 16h30, monsieur Giscard d’Estaing a quitté la cité de l’enfance pour rejoindre l’aéroport. Là, il a dressé, devant les journalistes, le bilan de cette visite lyonnaise de 24h.
(Silence)
(Bruit)
Valéry Giscard d’Estaing
Il faut prendre ces événements comme des événements naturels. C’est la réunion du conseil des ministres. Le conseil des ministres s’est tenu à Lyon. Le bilan, c’est le bilan des travaux du conseil des ministres. Naturellement, à cette occasion, nous avons pu rencontrer Lyon et ses problèmes et ses représentants et sa population. Et chacun des ministres l’a fait dans son secteur. Et moi, je l’ai fait, vous l’avez vu, avec madame le ministre de la Santé Publique, en allant voir la cité de l’enfance ; qui est une cité qui a pour objet d’accueillir les enfants qui sont confiés à Lyon ; la procédure de l’assistance publique, avant leur réinsertion, afin de faciliter leur réinsertion précisément dans une vie familiale plus normale.
Journaliste
Les journalistes ont eu tort d’être venus si nombreux, si je comprends bien ?
Valéry Giscard d’Estaing
Non, les journalistes ont bien fait de venir si nombreux. Ça leur permet de découvrir la réalité française qui est une vaste réalité et non pas une réalité parisienne. Et ce n’est pas uniquement à l’occasion des campagnes présidentielles qu’il faut découvrir la réalité régionale. La France est un grand ensemble est un grand espace. Et il faut que les Français et les journalistes le sachent.