Camping sauvage à Sète
Infos
Résumé
La pratique du camping sauvage est courante aux abords de Sète, dans des conditions souvent insalubres. Recherchant la proximité immédiate de la plage, les campeurs s'en accommodent et pointent le nombre insuffisant de campings « autorisés ». Le maire de Sète souhaite que la plage soit concédée à la ville afin de pouvoir l'aménager.
Date de publication du document :
21 déc. 2022
Date de diffusion :
02 sept. 1966
Éclairage
- Contexte historique
- Articles utilisant cette vidéo
Informations et crédits
- Type de média :
- Type du document :
- Collection :
- Réalisateur :
- Source :
- Référence :
- 00071
Catégories
Thèmes
Lieux
Personnalités
Éclairage
Éclairage
- Contexte historique
- Articles utilisant cette vidéo
Contexte historique
Paringénieur d’études, ART-Dev / Céreq
Salauds de pauvres !
En visionnant ce reportage, on pense immanquablement à l’invective lancée par Jean Gabin dans l’inoubliable film de Claude Autant-Lara, La traversée de Paris. La Capitale est pourtant bien loin. Nous sommes du côté de Sète. La caméra se délecte à pourchasser les traces des milliers de campeurs qui ont passé leurs vacances, cet été de 1966, entre Agde et Sète. Campeurs sauvages […], ils se sont installés n’importe où, le plus près possible de la mer, malgré les pancartes d’interdiction
. Ce « camping poubelle » fait de l’ombre aux gens bien intentionnés que l’enfant du pays, Georges Brassens, étrille avec brio dans sa Chanson pour l’Auvergnat. Des voitures, des caravanes, des tentes posées ça et là, au gré des envies, le long de la route, voire sur la plage, ça fait désordre. Dites-moi, Monsieur, c’est pas bien propre par ici... Ça ne vous gêne pas trop !?
. Ainsi apostrophé, le prolétaire adepte du camping sauvage n’en perd pas son sourire et se félicite de ne pas avoir à payer une place de camping. Oui, mais c’est sale, hein !
, lui rétorque le défenseur improvisé de l’ordre et de la propreté.
Le téléspectateur, non content de subir cette prose, voit se succéder des images de poubelles pleines, de détritus abandonnés n’importe où, de petites mares formées d’eaux de vaisselle croupissantes… C’est pas dangereux, ça ?
. Ne doit-on pas craindre des épidémies, des accidents ou, pourquoi pas, une vague assassine ? Ignorons les réflexions concernant les enfants. Malgré la pauvreté de leur « expérience touristique », gageons qu’ils sont nombreux à avoir passé là leurs meilleures vacances. Glissons également sur le rituel des campeurs effectuant leurs besoins naturels. Ne prêtons pas plus l’oreille au tapage nocturne que certains de ces sauvages imposent aux noctambules adeptes des boîtes de nuit.
Un de ces campeurs indélicats, en vacances depuis trois semaines, fait remarquer, à juste titre et non sans humour, qu’on ne doit pas vouloir d’eux. En effet, on ne leur propose pas assez de places dans les campings patentés. Ils veulent bien qu’on vienne. Ils veulent bien qu’on leur amène notre pognon mais de places, y’en a point
. Un autre adepte du camping sauvage est interrogé sur son acuité visuelle. Vous avez vu là-bas ce camp à Valras, ce camp très beau avec des murs qui protègent les tentes et tout ça… là où on fait du cheval […]. Vous avez pas eu l’idée de rentrer ?
. Ah, oui, décidément, salauds de pauvres !
Ce reportage illustre à merveille un mépris de classe qui, hier comme aujourd’hui, marque et écrase le touriste modeste, celui qui aime passer ses vacances à la bonne franquette, sans souci du qu’en-dira-t-on. Aujourd’hui, les membres de la classe dominante, les rupins
pour reprendre le terme utilisé par l’un des campeurs, sont toujours garants du goût pur
ou légitime
évoqué par Pierre Bourdieu. Le style de vie des classes populaires, leurs destinations touristiques (quand ils ont la chance de pouvoir partir en vacances), leurs activités de loisirs font toujours tache. Leur goût est jugé vulgaire, leurs façons de se comporter incongrues et leurs priorités déplacées. Évidemment, le mieux serait que les pauvres aient la bonne idée de ne pas se montrer.
Dieu merci, depuis le reportage, le camping sauvage (ou « libre » pour reprendre la formule en vogue à l’époque) a énormément régressé en France. La carotte et le bâton ont été maniés conjointement pour l’occasion. D’un côté, l’offre marchande de camping, avec l’aval des pouvoirs publics, s’est très nettement étoffée en termes de capacité d’accueil et de qualité. Elle a ainsi apporté une réponse à la demande potentielle solvable, ce qui était loin d’être le cas sur le littoral du Languedoc-Roussillon dans les années 1960 [1]. De l’autre, les arrêtés d’interdiction du camping sauvage se sont multipliés à partir de 1967 et les forces de l’ordre ont été mises à contribution. Là où la peur du gendarme n’a pas suffi, la main, en apparence moins lourde, du marché a terminé le travail. La crise qui s’installe dès le milieu des années 1970 avec son lot de chômage et de précarité ainsi que la marchandisation à outrance du temps libre ont réussi à invisibiliser la pauvreté, au moins sur nos plages.
[1] Dans les années 1960, environ 30% des campeurs sauvages présents sur le littoral étaient des petits patrons ou des cadres ayant a priori un pouvoir d’achat conséquent. Les ouvriers et les employés constituaient tout de même les deux tiers des campeurs. Par ailleurs, le Centre de sociologie européenne estimait, en 1963, que le camping libre était d’une importance à peu près trois fois supérieure à celle des terrains aménagés.
Transcription
Sur les mêmes thèmes
Sur les mêmes lieux
Date de la vidéo: 27 août 2018
Durée de la vidéo: 02M 56S