Moi Pagnol, né le même jour, au même endroit, que le cinéma...
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Résumé
« Le cinéma et moi sommes nés le même jour au même endroit » a répété de multiples fois Marcel Pagnol. Il le redit dans ce document tourné en 1965... Même si ce n'est pas tout à fait vrai ! Il évoque aussi certains de ses projets avortés comme la Cité du cinéma qu'il voulait créer à La Buzine, c'est-à-dire Le Château de ma mère.
Date de diffusion :
12 nov. 1965
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Contexte historique
Par
« Entre les faits et la légende, choisissez toujours la légende » conseillait John Ford. Marcel Pagnol n'y a jamais manqué. C'est spontanément, « naturellement », qu'il donnait un tour légendaire à sa propre vie. Pour preuve, cette délicieuse archive de novembre 1965.
Pagnol a alors 70 ans. Mais il n'a rien perdu de sa faconde. Il reste cet irrésistible conteur, capable de transformer une péripétie mondaine – en l'occurrence une invitation envoyée par Louis Lumière – en un événement de dimension quasi mythologique. Quitte à l'arranger un peu, bien entendu !
S'il est exact qu'il est né la même année que le Cinématographe -1895 - s'il est tout aussi exact qu'il a bien connu les frères Lumière, l'anecdote n'en est pas moins « enjolivée ». Il est déjà difficile de le croire quand il affirme ne pas avoir compris que Louis Lumière fêtait - chez lui, dans sa belle Villa Lumen de Bandol - les 40 ans de sa propre invention, et non ses quarante ans à lui ! Mais, laissons-lui le bénéfice du doute ! Il reçoit cette invitation en 1935, c'est-à-dire au moment où sa gloire est à son zénith après une suite ininterrompue de triomphes tant à la scène qu'à l'écran (Marius, Fanny, Jofroi, Angèle, Merlusse, Cigalon) et, peut-être en a-t-il la tête tournée ...
En revanche, quand Pagnol raconte qu'il est né « le jour où Louis Lumière chargeait les bobines » de la première projection publique à La Ciotat, là, le doute n'est plus permis. Il s'agit d'une affabulation (A laquelle il croit sans doute d'ailleurs !)
La naissance du cinéma est chronologiquement bien établie. Le film en tant que support ainsi que divers systèmes d'images animées existaient déjà quand, par une nuit d'insomnie de 1894, Louis Lumière a eu brusquement l'intuition du mécanisme d'entraînement qui allait permettre à la fois la prise de vue et la projection telles que nous les connaissions jusqu'à l'arrivée du numérique. Le Cinématographe allait naître quelques mois plus tard.
Le brevet, co-signé par les deux frères Louis et Auguste, est déposé le 13 février 1895, tandis que le premier film, La sortie des usines Lumière, est tourné à Lyon le 19 mars et qu'il est montré cinq jours plus tard dans une société savante... Alors que le petit Marcel, né le 28 février, a déjà trois semaines ! Et il aura quasiment sept mois, en ce 21 septembre 1895, quand Antoine Lumière, en villégiature dans sa résidence de La Ciotat, invitera la bonne société de la ville - dont les Pagnol n'étaient pas - à venir découvrir l'invention de ses fils. Quant à la première projection publique, elle n'aura pas lieu à La Ciotat, mais à Paris, le 28 décembre de cette même année 1895.
L'histoire d'Augustine accouchant du petit Marcel pendant que Lumière tourne pour la première fois la manivelle du Cinématographe est donc une fantaisie, mais une si jolie fantaisie qu'elle mérite bien de se substituer à la vérité !
Le reste de l'entretien est plus mélancolique. Pagnol évoque cette Cité du cinéma qu'il avait rêvé d'installer dans le Château de la Buzine, le fameux « Château de ma mère », et qu'il n'a jamais pu concrétiser. Il parle aussi d'un ultime projet de film, justement une adaptation du Château de ma mère, qu'il ne mènera pas à terme non plus.
Ces projets ne sont pourtant pas morts avec lui. Après être restée des années à l'abandon, La Buzine a été rachetée par la Ville de Marseille, restaurée, et est devenue depuis 2011, la Maison des Cinématographies Méditerranéennes. Quant au Château de ma mère, il a été, comme La Gloire de mon père, porté à l'écran par Yves Robert en 1990. De façon fidèle, et avec un grand succès.
Bibliographie :
Jacques Rittaud-Hutinet. Les frères Lumière, l'invention du cinéma, Flammarion, 1995
Revue Marseille n° 228, "La Buzine, Maison des cinématographies méditerranéennes", Mars 2010
Filmographie
Yves Robert, La Gloire de mon père et Le Château de ma mère, 1990 (disponibles en dvd)
Transcription
(Cliquez sur le texte pour positionner la vidéo)
Journaliste
Dites-moi, vous avez des liens très étroits avec le cinéma ?
Marcel Pagnol
Oui, j’ai exactement le même âge que le cinéma, je suis né le 28 février 95.Et il y a quelques années, hélas, j’allais avoir 40 ans et Louis Lumière que je connaissais bien, et qui habitait Bandol, me télégraphie :venez fêter 40ème anniversaire.Je me dis quand même, comme il est gentil de m’inviter à mon anniversaire comme ça, c’est merveilleux.J’ai pris ma voiture, je suis arrivé à la villa Lumen à Bandol.Et en arrivant, je trouve une quinzaine de personnes, et il y avait Léon Gaumont, on me présente à Léon Gaumont.Je n’y comprenais rien et heureusement, je n’ai pas parlé, je les ai laissé parler.Et j’ai vu que c’était le quarantième anniversaire de la première projection publique de cinéma, qui avait eu lieu à La Ciotat, où se trouvait ma mère.Et ma mère est partie le 28 février au matin pour rentrer à Aubagne.Elle voulait mettre son enfant au monde à la maison.Et pendant ce temps, Louis Lumière chargeait la première bobine de film.
Journaliste
On ne peut pas avoir des liens plus étroits, c’est que vous avez été conçu à peu près en même temps.
Marcel Pagnol
Oui, c’est très curieux.
Journaliste
Alors, vous allez revenir au cinéma, c’est une bonne nouvelle, on apprend que vous allez peut-être tourner un film d’après le Château de ma mère .
Marcel Pagnol
Oui, j’en ai l’intention, mais ce n’est pas encore au point, je suis en train de travailler à mon scénario à mes dialogues, je ne sais pas si ça me plaira.Si ça me plaît, je le tourne.
Journaliste
On souhaite que vous entrepreniez ce film, en tout cas, vous le feriez bien sûr.Est-ce qu’il existe toujours le Château de ma mère ?
Marcel Pagnol
Oui, il existe toujours, c’est un énorme château que j’avais acheté plus tard pour y faire la cité du cinéma.Et puis, c’était au début de la guerre, je n’ai pas pu me procurer les matériaux pour construire les studios et tout ça ;et j’ai remis la chose a après la guerre, en pensant qu’elle durerait un an la guerre.Puis, elle a duré ce vous savez.Et après, je me suis trouvé trop vieux pour le faire, et le château est toujours là.
Journaliste
Et ces ravissantes collines où vous braconniez étant enfant, vous y êtes retourné ?Elles sentent toujours le thym et la marjolaine ?
Marcel Pagnol
Ah, mais bien sûr.Je voudrais bien me retirer à La Treille moi, mais ma femme n’y tient pas beaucoup et mon fils non plus.
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