Bernard Tapie : une histoire marseillaise

Bernard Tapie s’éteint le 3 octobre 2021 à Paris à l’âge de 78 ans après quatre années d’une lutte acharnée contre un double cancer. Il avait pris la décision de se faire inhumer, près du stade Vélodrome, au cimetière de Mazargues. Il a en effet partagé avec Marseille, sa ville de cœur, un long parcours jalonné de quelques défaites et d’éclatantes victoires. Son histoire d’amour avec la cité phocéenne débute en 1986 lorsque le maire socialiste Gaston Deferre, l’appelle à la rescousse pour venir au chevet du club de football de l’Olympique de Marseille (OM) en grande difficulté sportive et financière. Cet homme d’affaires, spécialisé dans la reprise d’entreprises en difficulté et passionné de sport, s’est déjà illustré en créant en 1985, autour de Bernard Hinault, l’équipe cycliste à succès La Vie claire. Sous sa présidence l’OM retrouve les sommets, puisque le club remporte quatre fois consécutivement le championnat de France de 1989 à 1992 et gagne la coupe de France 1989 contre Monaco. Les exploits des Jean-Pierre Papin, Abedi Pelé, Chris Waddle, Didier Deschamps, Marcel Desailly et consorts redonnent de la fierté à toute une ville, qui se débat alors dans une sévère crise économique de reconversion et dont l’image est ternie par la chronique médiatique des règlements de compte liés au trafic de drogue. L’apothéose est atteinte le 26 mai 1993, au stade olympique de Munich, lorsque l’OM renverse le grand Milan AC grâce à un but de la tête sur corner de Basile Boli, devenant le premier club français à remporter une coupe d’Europe, en l’occurrence la plus prestigieuse, celle des clubs champions ou Ligue des champions de l'UEFA.

Encouragé par ailleurs à se lancer en politique dès 1987 par le président de la République socialiste François Mitterrand, Bernard Tapie s’engage à Marseille. Il est d’abord candidat dans la 6e circonscription des Bouches-du-Rhône lors des élections législatives de 1988. Malgré ses qualités oratoires et son charisme, il est battu de quelques voix. Le conseil constitutionnel ayant invalidé le scrutin, il se représente en janvier 1989 et conquiert, pour le compte de la majorité présidentielle, ce siège de député traditionnellement acquis à la droite. L’un des fondements de son engagement en politique est la lutte contre la montée électorale du Front National, parti fondé et dirigé par Jean-Marie Le Pen. Dès 1989, Bernard Tapie affronte le leader d’extrême droite dans un face-à-face télévisuel mémorable sur la question de l’immigration.

Nommé en 1992 ministre de la Ville par François Mitterrand, il est la même année à la tête de la liste de la majorité présidentielle aux élections régionales en Provence-Alpes-Côte d’Azur, mais il est devancé par la liste de droite et celle du Front National emmenée par Jean-Marie Le Pen en personne. Puis en 1993, il se présente une nouvelle fois à la députation mais brigue un siège dans une autre circonscription, la 10e des Bouches-du-Rhône, celle de Gardanne, Allauch et Plan de Cuques. Lors de ces élections législatives, crépusculaires pour la gauche qui provoquent la seconde cohabitation, Bernard Tapie parvient à être élu. Envisageant à présent de briguer la mairie de Marseille, il en est empêché par les suites judicaires de l’affaire de corruption dévoilée à la suite d’un match entre l’OM et Valenciennes. Des joueurs de Valenciennes révèlent en effet avoir reçu de l’argent pour lever le pied, en mai 1993,  lors du match remporté 1 à 0 par l’OM à quelques jours de la finale de Munich. En 1995, Bernard Tapie est définitivement condamné à huit mois de prison ferme.

Malgré les déboires de l’OM à la suite de cette affaire, le lien avec Marseille et les Marseillais ne s’est jamais distendu. En 2012, Bernard Tapie écrit d’ailleurs une nouvelle page de son histoire avec la ville en rachetant le quotidien La Provence, laissant penser à certains qu’il aurait l’intention de briguer à nouveau la mairie. Dès l’annonce de son cancer, en 2017, des dizaines de milliers de Marseillais, réunis au stade Vélodrome pour assister à une rencontre entre l’OM et Toulouse, adressent à Bernard Tapie d’émouvants messages de soutien relayés par des chants et de nombreuses banderoles : Bernard dans cette épreuve, reste le boss ou Bernard à jamais le premier.

Le 7 octobre 2021, veille de ses obsèques, cette ferveur du peuple marseillais pour son boss s’exprime une nouvelle fois lors d’émouvants adieux au stade Vélodrome. Le cercueil de Bernard Tapie, recouvert des couleurs de l’OM et sur lequel a été posé le prestigieux trophée européen remporté en 1993, est présent sur la pelouse, alors que dans les tribunes des chants et des pleurs lui disent une dernière fois merci pour l’amour procuré et la fierté retrouvée. Le lendemain, 8 octobre, les supporters de l’OM, habillés en noir et munis de l’écharpe bleue et blanche, escortent le cortège funéraire, qui effectue une procession à travers la cité phocéenne entre le Vieux-Port et la Major, salué depuis le balcon de l’hôtel de ville par le maire Benoît Payan. Arrivé à la cathédrale le défunt est accueilli par des anonymes, des anciens joueurs de l’OM et de nombreuses personnalités rassemblés pour soutenir le clan Tapie et rendre à Bernard un vibrant dernier hommage.

Bibliographie 

Alexandre Fievée, Le vestiaire de l’OM. Les années Tapie, Paris, Hugo Sport, 2019.  

Franz-Olivier Giesbert, Bernard Tapie. Leçons de vie, de mort et d’amour, Paris, Presses de la Cité, 2021.

Dominique Tapie et Catherine Siguret, Bernard. La fureur de vivre, Paris, Éditions de l’Observatoire, 2023.