Voyage en Pologne

15 septembre 1967
21m 51s
Réf. 00138

Notice

Résumé :

Le général de Gaulle effectue un voyage officiel en Pologne, du 6 au 12 septembre 1967. Premier chef d'Etat occidental à se rendre dans le pays, il y est accueilli triomphalement. A Cracovie, il appelle de ses vœux une réelle coopération entre les cultures françaises et polonaises, et non pas "l'absorption dans quelque énorme appareil étranger". Il se rend ensuite à Auschwitz, puis en Silésie, à Zabrze, d'où il lance : "Vive Zabrze, la ville la plus silésienne de toute la Silésie, c'est-à-dire la plus polonaise de toutes les polonaises". A Varsovie, il rejette la partition du monde en deux blocs et plaide pour la détente et la coopération, qui seule permettra la résolution du problème allemand. Enfin, le Général s'adresse à tout le peuple polonais à travers une allocution télévisée.

Type de média :
Date de diffusion :
15 septembre 1967
Type de parole :

Éclairage

Du 6 au 12 septembre 1967, le général de Gaulle accomplit un voyage officiel en Pologne. Il est reçu à Varsovie par les plus hautes autorités polonaises et acclamé par 500 000 personnes. Puis il se rendra successivement à Cracovie, ancienne capitale historique de la Pologne, à Auschwitz où il se recueille devant le monument aux victimes de la déportation, en Silésie, à Gdansk où il assiste à la messe dans la cathédrale, avant de revenir à Varsovie où il sera admis le 11 septembre à prononcer un discours devant la Diète puis à adresser aux Polonais une allocution par la voie de la radio et de la télévision. Au cours de cette visite, le reportage enregistre l'enthousiasme croissant des foules polonaises devant le rappel par le président français de l'amitié historique entre la France et la Pologne.

Mais il profite aussi de son voyage pour dessiner par petites touches le projet politique qu'il propose aux Polonais. Il s'agit pour eux de participer au progrès en coopération avec les autres pays mais en toute indépendance et "non par absorption dans quelque énorme appareil étranger" (c'est-à-dire "soviétique") comme il le dit au recteur et aux professeurs de l'Université Jagellon de Cracovie. A Gdansk le 10 septembre, il invite la Pologne à "prendre conscience de sa valeur" sans éprouver aucun complexe vis-à-vis de l'URSS ou de l'Allemagne. Il récidive le 11 septembre devant la Diète en affirmant que la sécurité en Europe ne saurait résulter de l'affrontement de deux blocs mais de l'entente et de la coopération entre les peuples "de l'Atlantique à l'Oural", créant une atmosphère nouvelle permettant de résoudre dans la paix les questions pendantes. Et parmi celles-ci, le destin de l'Allemagne dont le destin est d'être un jour réunifiée. Devant la méfiance envers l'Allemagne exprimée le 6 septembre par le Premier ministre Cyrankiewicz et le secrétaire général du Parti ouvrier polonais Gomulka à la Diète le 10 septembre, de Gaulle entend donner des assurances aux Polonais sur le principal contentieux avec l'Allemagne, celui portant sur la frontière Oder-Neisse, tracée à la fin de la Seconde Guerre mondiale et qui attribue à la Pologne des provinces occidentales qui étaient historiquement allemandes. C'est pourquoi lors de sa visite à Zabrze en Silésie, il confirme sa garantie à la frontière occidentale de la Pologne en qualifiant la ville de "la plus silésienne de toute la Silésie, c'est-à-dire la plus polonaise de toutes les polonaises", ce qui implique le caractère polonais de la Silésie.

Serge Berstein

Transcription

Journaliste
Entre la France et la Pologne, il y a les principes, la politique. Il y a aussi le sentiment. En venant en Pologne, le général De Gaulle a un dessein politique qu'il développe, qu'il précise au fur et à mesure que passent les jours et les villes. Le sentiment, il l'exprime dès le premier jour, dès l'arrivée à Varsovie, le 6 septembre.
Charles (de) Gaulle
Avec quelle émotion, je retrouve la Pologne, vivante, ardente et amicale car cette rencontre de nos deux Nations, c'est leur amitié, mainte fois séculaire, qui l'inspire. Et c'est aussi leur solidarité.
Journaliste
Le sentiment, réciproque, l'entente du cœur. Elle s'affirme tout de suite mais elle s'amplifiera et s'approfondira au fil des jours, et de ville en ville. Déjà à Varsovie, il y a plus de 500.000 Varsoviens dans les rues pour acclamer le général de Gaulle, c'est-à-dire une bonne moitié des habitants de la capitale. La politique, le 7 septembre, conférence avec tous les ministres, les Français, Messieurs Couve de Murville et Peyrefitte, et les Polonais, le Président Ochab, le Premier Ministre Cyrankiewicz, le ministre des affaires étrangères Rapacki. Le Général de Gaulle définit son dessein, détente, entente, coopération entre tous les pays d'Europe. Règlement du problème de l'Allemagne, de l'Allemagne dont les frontières resteront ce qu'elles sont, y compris, bien entendu, la frontière avec la Pologne. L'Allemagne qui n'aura pas d'armes atomiques mais l'Allemagne dont la division est anormale. La Pologne, réalité populaire, solide, respectable, puissante, doit être au premier plan. Le Président de la République polonaise, Monsieur Ochab répond : Nous n'avons pas confiance dans les Allemands, la réunification ne peut être que l'aboutissement d'un long processus historique. 8 septembre, Cracovie. Cracovie, le Général de Gaulle y est allé il y a 47 ans. Elle a miraculeusement peu changé, car miraculeusement Cracovie a été peu touchée par la guerre. Capitale historique de la Pologne, le Général de Gaulle le rappelle, ce qui porte à son comble l'enthousiasme des Cracoviens. Cracovie, 525.000 habitants, ils étaient 300.000 dans les rues. Comme résidence, Cracovie offre à son hôte, le Château du Wawel. Bâti au Moyen-Age, transformé sous la Renaissance, restauré par la Pologne indépendante, à la fois Palais-Royal et Musée du Louvre, Panthéon et Notre Dame. Cour florentine, salle du trône, capes, épées, ornements du couronnement, crypte des rois et des grands hommes, cathédrale royale, trophées de guerre, trésors de la vieille Pologne. Au cœur de la ville de Cracovie, la Grand'Place, ancienne, Halle aux draps, marché aux fleurs. La foule se presse, démontre son amitié. Gentillesse et familiarité, décidément, les Cracoviens sont des méridionaux, après tout, Cracovie, c'est le sud de la Pologne. Est-ce - Méditerranée à part - une sorte de Marseille ? Peut-être, mais alors, avec la faculté d'Aix, ici la très auguste université Jagellonne, fondée il y a 603 ans, le 12 mai 1364 par le roi Casimir le Grand. Au soir d'une belle journée, le Général de Gaulle parle au recteur et aux professeurs du Collegium Maius, le Grand Collège.
Charles (de) Gaulle
Pour vous et pour nous ce progrès, parce qu'il est un tout humain et universel, implique, non seulement un grand effort intérieur mais aussi une active coopération extérieure. Mais pour vous comme pour nous, il est essentiel que cette coopération en soit une, et non pas l'absorption dans quelque énorme appareil étranger. Pour nos deux peuples qui ont besoin d'agir ensemble, se rencontrer en esprit, c'est se réunir au sommet.
Journaliste
9 septembre. Il n'y a que 50 kilomètres de l'aimable, la souriante, la savante Cracovie jusqu'à la Capitale mondiale de l'horreur. Auschwitz. Une brume masque le jour. Le plus grand cimetière du monde et de l'histoire dit le Premier Ministre polonais, Joseph Cyrankiewicz, rescapé d'Auschwitz. Qui l'a oublié ? 4 millions d'hommes, de femmes, d'enfants, exterminés. La fin du voyage, la rampe, la balle dans la nuque, le Zyklon B, le four crématoire. Quelle tristesse, quel dégoût, et malgré tout, quelle expérience humaine écrit le Général de Gaulle. Encore quelques kilomètres vers l'Ouest et le lugubre monument s'estompe. Pour passer de la Voïvodie, de la province de Cracovie à celle de Katowice, on passe une sorte de frontière, celle de la Silésie, prétexte à une aimable réception.
Charles (de) Gaulle
Merci à Monsieur le Président du Conseil de l'Etat qui m'a accompagné et invité à venir ici. Merci à vous toutes et à vous tous, de l'accueil magnifique et émouvant que vous me faites.
Journaliste
Cordialité à Varsovie, chaleur familière à Cracovie, en Silésie, de Katowice à Zabrze et à Bytom, c'est l'escalade. C'est l'enthousiasme, c'est le triomphe, c'est le délire.
Officiel Polonais
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, mon Général, les soldats polonais, parmi lesquels se trouvaient des insurgés, avec les soldats français, ont lutté sous vos ordres, pour l'indépendance et la liberté de leur patrie. Monsieur le Président, ce serait un grand honneur pour nous, si vous acceptiez nos invitations de bien vouloir contempler ce monument
Charles (de) Gaulle
Oui, je vais voir le monument, avec vous Dzień dobry !
Journaliste
« Dzień dobry », « bonjour » dit le Général, en polonais.
Charles (de) Gaulle
Merci
Journaliste
A l'ouest de Katowice, dans les terres de l'ouest, acquises à la Pologne après la guerre, Zabrze, l'ancienne Hindenburg, on attendait un spectacle folklorique, on eut une déclaration politique. L'affirmation à haute voix que la frontière Ouest de la Pologne doit rester ce qu'elle est, et que Zabrze est à tout jamais polonaise.
Charles (de) Gaulle
Zabrze, la ville la plus silésienne de toute la Silésie. C'est-à-dire la plus polonaise de toutes les polonaises.
Journaliste
Un degré de plus dans l'escalade politique, si l'on peut dire, alors, c'est ici en Silésie que l'escalade sentimentale atteint son plus haut degré.
Foule
[INCOMPRIS]le Président de la République française, le Général Charles de Gaulle, vive la France, vive l'amitié franco-polonaise.
Journaliste
10 septembre, Gdansk.
Charles (de) Gaulle
Je suis profondément honoré, touché, édifié, de venir assister à l'office dans la noble cathédrale d'Oliwa.
Journaliste
C'était dimanche, la messe dans la belle cathédrale d'Oliwa, aux orgues célèbres. Un symbole dans ce pays socialiste, dont la population est à 90% catholique. Gdansk, ex Dantzig, ce fut aussi la cause initiale, le prétexte de la dernière guerre. C'est là que furent tirés les premiers coups de canon, le 1er septembre 1939, sur la petite caserne de Westerplatte. Une halte du souvenir. Mais aujourd'hui, Gdansk, c'est la large ouverture sur la Baltique, sur la mer libre. C'est le lieu choisi par le Général de Gaulle pour inviter les Polonais à voir plus loin, à voir plus grand, à surmonter les obstacles jugés, jusqu'à présent, insurmontables. Non, il ne s'agit pas de conseiller une rupture, impensable, de l'alliance de la Pologne avec l'Union soviétique. Ni de renoncer du jour au lendemain, aux préventions, aux méfiances à l'égard de l'Allemagne. Mais la Pologne, peuple de premier rang, doit prendre conscience de sa valeur et n'a pas à avoir de complexes vis-à-vis de l'URSS, ni encore moins vis-à-vis de l'Allemagne. 11 septembre, retour à Varsovie et aux affaires politiques. Fait sans précédent en Europe de l'Est, il y aura dialogue. Dialogue devant le Parlement avec un simple député, qui est aussi la plus haute autorité en Pologne, le premier secrétaire du Parti Communiste, Monsieur Gomulka. Du côté français, c'est la somme du dessein politique.
Charles (de) Gaulle
La sécurité véritable de chaque Etat de notre continent ne saurait évidemment résulter de l'affrontement de deux blocs, dressant l'un en face de l'autre des forces en garde et des pactes opposés. Au contraire, que vienne à s'établir, pour tous, de l'Atlantique à l'Oural, une politique et une pratique délibérées de détente, d'entente et de coopération. Il y aurait alors toute chance, pour que dans les conditions et l'atmosphère nouvelle ainsi créées, les peuples européens puissent aborder en commun et régler eux-mêmes, les questions qui sont de leur ressort, et dont la principale est le destin du peuple allemand.
Journaliste
En face de ces perspectives, Monsieur Gomulka reprend les thèses classiques de la politique extérieure de la Pologne.
Wladyslaw Gomulka
[Polonais]
Journaliste
Mais, les idées nouvelles sont lancées, elles sont semées, elles germeront un jour. Dernier geste, c'est un homme profondément, sincèrement ému qui, à la télévision polonaise, s'adresse au peuple polonais.
Charles (de) Gaulle
Me voici à la veille de partir. Je salue ceux d'entre vous qui ont vécu le temps lointain où j'avais été envoyé parmi eux, dans ma jeunesse. Ceux qui ensuite ont traversé le drame qui faillit détruire votre patrie et la mienne, ceux enfin, qui, nés depuis lors, portent, grâce à leur jeunesse, les espoirs de la Pologne. Wszystkim Polakom mówię, z głębi serca : Dziękuję wam ! Żegnajcie. Niech żyje Polska ! Nasza droga, szlachetna, waleczna Polska !
Journaliste
« A tous les Polonais, je dis du fond du cœur : merci et adieu. Vive la chère, la noble, la vaillante Pologne !»
Foule
Vive de Gaulle ! Vive de Gaulle ! Vive de Gaulle ! ... Au revoir, vive la France ! Hip, hip, hurra ! Hurra ! Hurra ! Hurra ! [Hymne national polonais]