Charles de Gaulle
Pour la France, l'année qui finit a été en somme favorable.
Par contraste avec d'autres temps qui furent cruels et agités, et en dépit des annonces alarmantes de partisans inassouvis, nous n'avons pas, en la saluant, à évoquer de catastrophes, au contraire.
Certes, ne nous vantons pas, mais ne soyons pas non plus injustes envers nous-mêmes, car le bilan est positif. Pendant ces douze mois, la France a continué de monter.
En 1963, notre population s'est augmentée de près de 600.000 âmes. Il nous est né, environ 900.000 bébés.
La proportion croissante de jeunes devant progressivement accélérer ce processus, on peut penser que parmi les enfants qui sont venus au monde récemment, beaucoup verront un jour une France de 100 millions d'habitants.
En 1963, notre revenu national a progressé de plus de 5% et une fois prélevé sur ce total ce que nous devions investir, celui de chaque français, en moyenne, de 4%.
Jamais, nous n'avions produit ni gagné autant.
Comme il nous faut naturellement plus de maisons et plus d'écoles, à mesure que nous sommes plus nombreux, que notre industrie grandissante attire les gens vers les villes, et que pour démultiplier les chances et élargir le champ des valeurs, nous sommes amenés à instruire plus d'élèves, plus longtemps, et plus complètement, eh bien,
325.000 logements ont été construits en 1963 et 520.000 places nouvelles assurées dans les établissements de l'enseignement public.
Il va de soi que ce grand essor démographique, économique et scolaire exige que l'ordre soit maintenu et affermi en tout ce qui concerne le budget, le crédit, les prix, la monnaie. En 1963, le nécessaire a été fait.
Tandis que s'accroissent nos moyens, nous avançons dans le domaine social. L'année écoulée a vu notamment améliorer toutes les rémunérations.
Réaliser le reclassement de 200.000 chefs de famille, rapatriés d'Algérie. Créer le fond national de l'emploi pour garantir les travailleurs contre les à-coups qu'entraîne l'évolution de notre économie.
Mettre en place le fond d'action sociale en faveur de l'agriculture.
Majorer notablement les pensions, allocations, assurances attribuées aux personnes âgées.
Organiser pour la première fois, avec les représentations qualifiées leur libre consultation sur le sujet d'une politique des revenus destinée à répartir, entre les catégories de producteurs, les fruits de l'expansion qui est leur oeuvre.
Bien entendu, ce développement et ce progrès n'eussent pas été possible si nous en étions revenu aux crises et à l'impuissance du régime d'autrefois.
Mais le fonctionnement des pouvoirs publics, gouvernement et parlement, tel qu'il est réglé par notre constitution, tel qu'il est appliqué, tel qu'il a été confirmé, l'année dernière, par la nation, permet à l'Etat de vouloir et d'agir.
Au milieu de tant de pays, qui sont la proie de troubles, de secousses, d'incertitudes, la République Française apparaît comme l'exemple même de la stabilité politique. On n'avait jamais vu ça.
Notre position extérieure se ressent naturellement de cette situation intérieure, c'est un fait que depuis le 1er janvier jusqu'au 31 décembre, nous n'avons pas eu à tirer un seul coup de canon. Ce qui n'était jamais arrivé dans l'espace d'un quart de siècle.
C'est un fait que tout en réduisant de moitié la durée du service militaire, nous sommes, par la création de nos premières armes atomiques et par la modernisation de nos forces, en train de reprendre en main notre destin, passé depuis 1940 à la discrétion des autres.
C'est un fait qu'en tentant d'établir sur une base nouvelle nos rapports avec l'Allemagne et puis, en nous appliquant à faire en sorte que la Communauté Economique Européenne fût réellement une communauté et réellement européenne,
qu'elle englobât l'agriculture, comme elle inclut l'industrie, qu'elle ne se laissât ni dissoudre, par l'admission d'un nouveau membre qui ne pouvait se plier aux règles, ni annexer un système d'outre-Atlantique, nous avons largement aidé à bâtir le Marché Commun, et par là-même, à dégager la voie qui mène à l'Europe unie.
C'est un fait qu'à l'égard de tous les Etats de la terre, en particulier de ceux qui viennent de naître, y compris maintenant l'Algérie, nous avons mené l'année dernière une politique pratique et objective, mais aussi humaine et généreuse, où chacun connaît désormais que la France sait ce qu'elle doit aux autres dès lors qu'ils savent ce qui lui est dû.
Ces résultats, pour bon qu'ils soient, ne nous cachent pas tout ce qui reste à faire, et puis d'ailleurs, si nous vivons dans le présent, nous travaillons pour l'avenir.
Mais après une période mêlée de drames et de médiocrité qui détermina tant de gens à tenir notre patrie pour vouée à l'effacement, voici qu'on s'est repris partout à attendre d'elle de grandes entreprises.
C'est pourquoi, nous ne pouvons écouter les doutes ni les aigreurs, ni les invectives de ceux qui chez nous et ailleurs trouvaient leur intérêt ou cherchaient leur délectation dans la décadence française.
Au contraire, il s'est levé du fond de notre peuple le sentiment allègre, qu'en somme, être la France, cela vaut la peine.
En 1964, nous poursuivrons donc notre développement moderne dont dépendent notre puissance et notre prospérité.
Le IVème plan sera exécuté et le Vème sera établi.
Qu'il s'agisse de la répartition du surplus du revenu national entre un niveau de vie plus élevé et les investissements nécessaires, ou bien de l'activité et du rendement de l'industrie, de l'agriculture et du commerce.
ou bien de l'action publique pour la recherche scientifique et technique, l'énergie, la construction, l'armement, les transports, les communications, les sports,
Ou bien du rayonnement de notre pensée, de nos arts, de nos lettres, comme aussi du renouveau des marques de notre histoire, soit dit en passant, qu'il est beau notre vieux Paris, rajeuni,
ou bien de la mise en oeuvre d'une administration répondant mieux au changement très vaste qui se produit sur place et avant tout dans l'agglomération qui entoure la capitale.
Ou bien de l'aménagement du territoire dans son ensemble, dans chacune de ses régions, ou bien d'une meilleure coopération des catégories économiques et sociales, soit entre elles, soit avec l'Etat,
ou bien de l'adaptation de notre éducation nationale aux conditions de notre époque et au flot montant des disciples, nous continuerons d'avancer dans la voie que nous avons prise.
Et il en sera de même de notre action au dehors.
La France, parce qu'elle le peut, parce que tout l'y invite, parce qu'elle est la France, doit mener au mieux du monde une politique qui soit mondiale.
Au long de l'année qui commence, nous poursuivrons donc notre travail pour les trois tâches, dans les trois tâches, les trois grandes tâches qui nous incombent : l'union de l'Europe, comportant, dès que possible, une coopération régulière et organisée de l'Allemagne, de l'Italie, de la Hollande, de la Belgique, du Luxembourg et de la France
dans les domaines de la politique, de la défense et de la culture comme cela va être fait dans le domaine de l'économie ;
progrès des pays en voie de développement, et avant tout, de ceux qui nous sont liés par des accords particuliers en Afrique, et de ceux qui le seront, sur ce continent même, ou bien sur d'autres ;
enfin, contribution au maintien de la paix. Quant à cet objectif-là, des conditions s'imposent à nous. Il nous faut d'abord poursuivre l'effort qui nous dotera d'un armement thermonucléaire, le seul dont la puissance soit adéquate à la menace d'une agression, et par là le seul, qui nous permette l'indépendance.
Il nous faut aussi aider notre Europe Occidentale, dès lors qu'elle serait unie, à pratiquer avec l'Amérique, une entente politique, économique, stratégique, véritablement concertée.
Il nous faut enfin, sans céder aux illusions dont se bercent les faibles, mais sans perdre l'espoir que la liberté et la dignité des hommes finiront par l'emporter partout,
il faut, dis-je, que nous envisagions le jour où peut-être, à Varsovie, à Prague, à Pankow, à Budapest, à Bucarest, à Belgrade, à Tirana, à Moscou, le régime totalitaire communiste qui parvient encore à contraindre des peuples enfermés, en viendrait, peu à peu, à une évolution conciliable avec notre propre transformation.
Alors, s'ouvrirait à l'Europe toute entière des perspectives à la mesure de ses ressources et de ses capacités.
Françaises ! Français !
C'est en toute sérénité que je souhaite à chacune, et à chacun de vous, une bonne et heureuse année 1964, et puisqu'en raison de notre histoire, aussi bien que de mes fonctions, j'ai l'honneur et la charge de parler en notre nom à tous, j'offre à la France, cette fois encore, les voeux très ardents et très confiants de ses enfants.
Vive la République ! Vive la France !