Allocution du 2 octobre 1961

02 octobre 1961
15m 42s
Réf. 00073

Notice

Résumé :

Le 8 septembre 1961, un attentat a eu lieu contre le général de Gaulle, à Pont-sur-Seine, sur la route de sa résidence de Colombey-les-deux-Eglises. Durant le second semestre 1961, l'OAS multiplie les attentats en métropole et en Algérie. Le 1er octobre, de Gaulle met fin à l'application de l'article 16 de la Constitution. Il s'adresse le lendemain aux Français, le jour de l'ouverture de la session parlementaire d'automne, et aborde les thèmes de l'Algérie, de la Guerre froide, de l'Europe. Il lance un avertissement à ceux qui voudraient disloquer l'unité nationale, et fait référence aux pouvoirs exceptionnels du président, qui, quand les circonstances l'exigent, permettent de maintenir fermement l'Etat. Il termine son allocution en appelant à la cohésion nationale.

Type de média :
Date de diffusion :
02 octobre 1961
Type de parole :

Éclairage

Depuis son retour au pouvoir en mai 1958, le général de Gaulle s'est consacré à la solution de l'interminable guerre d'Algérie qui a permis son retour au pouvoir devant l'impuissance de la IVème République à la résoudre. Après avoir proposé aux combattants du FLN " la paix des braves ", c'est-à-dire leur reddition, assortie d'un plan de large développement économique de l'Algérie, il s'est, pas à pas, avancé dans la voie des concessions, promettant aux Algériens en septembre 1959 de choisir leur destin par l'autodétermination en préconisant une Algérie associée à la France, puis a évoqué en novembre 1960 une " République algérienne " qui impliquait l'octroi de l'indépendance. Soumis à la pression des partisans de l'Algérie française qui tentent en avril 1961 un putsch militaire qui s'effondrera au bout de quelques jours devant la fermeté du Général et l'appui que rencontre celle-ci dans l'opinion et chez les militaires du contingent, il est désormais résolu à en finir avec un conflit qui paralyse le pays et fait peser une lourde hypothèque sur sa marge d'action.

Au cours des mois de mai, juin et juillet 1961, des conversations entre le GPRA et des envoyés du gouvernement français se sont déroulées au bord du lac Léman. Elles se poursuivent depuis cette date, portant sur les conditions de l'arrêt des combats en Algérie Les oppositions à cette issue se durcissent tant sur le plan politique au Parlement que sur le terrain, en métropole et en Algérie, avec la multiplication des attentats de l'OAS. Le 8 septembre 1961, de Gaulle a échappé à une tentative d'assassinat à Pont-sur-Seine sur la route de Colombey. Le général qui a mis fin le 1er octobre à l'application de l'article 16 s'adresse à l'opinion le jour de l'ouverture de la session d'automne du Parlement pour rappeler le chemin parcouru depuis 1958 sur la voie de la rénovation du pays et de son adaptation à l'époque. Insistant sur le fait que la grande affaire du moment est la solution de l'affaire d'Algérie, il rappelle ses positions sur la question. Mais son allocution est surtout une mise en garde à l'opinion comme aux parlementaires contre le risque de voir les divisions politiques compromettre à la fois la rénovation du pays et les chances de paix en Algérie et un vibrant appel au rassemblement des Français.

Serge Berstein

Transcription

Charles de Gaulle
Rénovation nationale. Voilà une vaste et rude entreprise. À la France telle qu'elle est, l'époque et le monde où nous vivons n'offrent le choix qu'entre une grande réussite ou un abaissement sans recours ; Grâce à l'unité profonde dont notre peuple donne l'exemple, nous sommes en marche vers la réussite. Mais, si par malheur, nous laissions de nouveau le tracassas, le tumulte, l'incohérence que l'on connaît s'emparer de nos affaires, c'est l'abaissement qui serait notre lot. À l'intérieur, notre pays est en train d'accomplir une transformation qui le destine, pour l'avantage de tous ses enfants, à une prospérité et à une puissance dignes de lui. Mais cela exige qu'aucun intérêt particulier ne puisse l'emporter sur l'intérêt général. Que notre économie, notre administration, notre technique, notre enseignement, notre équipement s'élèvent sans cesse à l'échelle moderne. Que cependant rien ne puisse prévaloir qu'entre les objectifs du plan, la solidité des finances, la stabilité du franc qui sont les bases de l'édifice ; Dans ce développement, dans cette discipline, beaucoup de choses ont été réalisées déjà, et tout le monde le sait. Beaucoup sont en cours et tout le monde le voit. Beaucoup sont à faire et tout le monde le croit. Mais, ignorez donc qu'une chance de n'aboutir à aucun progrès réel ni de maintenir ce qui est acquis, si nous retombions dans l'agitation et dans les crises. Pour ce qui est de l'Algérie, à travers les vents et les marrés, depuis trois ans nous ne cessons pas d'approcher du but que j'ai fixé au nom de la France. Exercice du droit des Algériens à disposer de leur destin. L'institution s'ils le veulent, et je ne doute pas qu'ils le veuillent, d'un Etat algérien souverain et indépendant par la voie de l'autodétermination. Coopération de la France offerte à l'Algérie nouvelle pour sa vie et pour son développement. Ce qui implique en particulier que la communauté européenne d'Algérie y ait ses droits et ses garanties. Dans le même temps où s'accomplit, à partir de la secousse de Mai 1958, l'évolution qui conduit l'immense majorité des Français et des Algériens vers cette solution claire et ferme. L'armée française, les forces françaises de l'Ordre devaient et doivent s'assurer de la maîtrise du terrain. Cela a été fait. Et enfin, à moins d'un effondrement, il fallait et il faut qu'en dépit des excitations à la désobéissance et à la désertion prodiguée par des dévoyés, notre armée soit restée et reste maintenue dans le devoir. Elle a été et elle est honorée. Maintenant on peut construire. Nous sommes prêts à établir un accord avec les dirigeants de la rébellion ; Pour ramener décidément la paix en Algérie, pour régler les conditions de l'autodétermination, pour déterminer les éléments d'une coopération franco-algérienne. Nous sommes en même temps, car l'un n'exclut pas l'autre, désireux de voir les éléments représentatifs en Algérie entreprendre de leur propre chef la préparation de la grande opération que sera le référendum. Nous sommes décidés à organiser dès à présent une force publique algérienne dont disposera le pouvoir provisoire quand il assumera la responsabilité de conduire le pays à la décision. Nous déclarons aux Algériens que la paix, le choix, l'avenir de l'Algérie sont à leur portée, à eux. Nous adjurons les Français d'Algérie, quels que puissent être les regrets que leur inspire une époque révolue, de se tenir avec la France, d'apporter leur franc concours à la naissance de l'Algérie nouvelle, celle que souhaite la France. C'est-à-dire telle qu'ils y aient leur digne place. Il reste bien sûr entendu que s'il n'en était pas ainsi, leur protection serait en tous cas assurée soit par leur regroupement dans des zones de sécurité ; Soit par ceux qui le demanderaient en leur attribuant les moyens de prendre part dans la métropole à l'activité nationale. Pour avoir voulu cela, pour l'avoir fait peu à peu adopter dans la grande masse des esprits. Et aujourd'hui et demain, pour mener l'ouvrage à terme, il fallait, il faut, il faudra une constance et une fermeté qui excluent bien évidemment les incertitudes, les faiblesses, les contradictions de la guerre, condamnées d'ailleurs par le peuple et par les événements. La transformation de notre pays, le changement complet de nos rapports avec l'Algérie, nous devons y procéder dans une période de danger mondial. Tout ce que nous avons à faire en est terriblement compliqué. Mais, comme nous sommes la France, essentielle à l'Europe et nécessaire au monde libre, il nous incombe de nous décider nous-mêmes et d'engager nos alliés à se tenir fermes et droits devant les sommations du bloc totalitaire, car rien ne serait plus dangereux. Pour notre cause, pour notre sécurité, pour notre alliance et pour la paix que de reculer pas à pas devant ceux qui nous menacent. Mais que cessent les mises en demeure, que s'établissent enfin une détente internationale. Que les rapports de l'est et de l'ouest deviennent normaux. Alors, la France sera prête à ouvrir entre grands Etats une négociation constructive sur les problèmes de l'univers, l'Allemagne, le désarmement , l'aide aux pays sous-développés. La coopération, en vue des progrès humains, sans doute pourrait-elle d'autre part favoriser l'apparition d'une Europe équilibrée entre l'Atlantique et l'Oural dès lors que l'impérialisme totalitaire aurait cessé d'y étaler ses ambitions. Cette politique qui est menée par une France redressée aurait tôt fait d'être anéantie si nous allions à la confusion et ensuite à la subversion. Car notre effacement et puis notre bouleversement entraîneraient la dislocation de l'Europe occidentale et donneraient le signal au malheur. Certes, notre tâche nationale, qui est remplie d'espérance, compense aussi beaucoup de soucis. Mais quels jugements pourrait-on porter à l'égard des tenants du système d'autrefois qui exploiteraient les préoccupations publiques pour tâcher de ramener la République à un certain jeu que l'on connaît? Au nom de quelle force, de quelle vertu, de quelle efficacité dresseraient-ils leur prétention? Alors que nul n'ignore au bord de quel gouffre était il y a trois ans la patrie et la République, alors que personne, y compris eux-mêmes, ne doute que les affaires du siècle sont trop dures pour les combinaisons. Alors qu'ont peut être convaincu, que si par prodige ils arrivaient à rétablir pour un instant leur régime, les activismes extrêmes auraient tôt fait de les submerger et de déchirer la patrie ; Non pour des groupes et pour des hommes qui ont une valeur et une audience. Ce serait une mauvaise action de s'en servir pour une agitation qui nourrirait les chances, qui nourrirait forcément les chances des fouteurs de troubles. Au contraire, c'est leur devoir de s'employer eux aussi à éclairer le pays au long d'une route difficile. De prendre une part effective à la rénovation en cours et de contribuer à soutenir la foi et l'espérance nationale. La République poursuit sa route. Quatre-vingt pourcents des Français, en toute liberté et en toute connaissance de cause, ce qu'on n'avait jamais vu, ont approuvé nos institutions. Les résultats que celles-ci permettent à la nation d'atteindre, grâce à la stabilité et à la continuité, sont sans aucun doute évidents. Ainsi que nous l'avons fait hier, nous continuerons demain de les appliquer dans leur esprit et dans leur lettre. S'il arrivait qu'une conjoncture politique vint à mettre en cause le fonctionnement réguliers des pouvoirs, gouvernement et Parlement ; Et par là dans ces temps menaçants le destin même du pays. Le pays, dis-je, aurait à se faire entendre par les voies qui lui sont ouvertes. Et puis, il m'incomberait, en cas de péril public, on le sait bien, de prendre toutes les mesures commandées par les circonstances. Cette disposition exceptionnelle, qui a joué efficacement lors des événements d'Avril, a pu cette fois être maintenue dans un étroit domaine. Et l'alarme paraissant actuellement s'estomper, j'ai jugé bon d'en cesser hier l'utilisation. Mais elle demeure comme la garantie suprême, dans toute son étendue possible, la garantie suprême de la patrie et de l'Etat pour la France qui traverse un passage dur et dangereux. Le salut et le succès exigent la cohésion nationale. Vive la République ! Vive la France !