Allocution du 20 décembre 1960

20 décembre 1960
17m 06s
Réf. 00063

Notice

Résumé :

Par cette allocution, prononcée depuis le palais de l'Elysée, le général de Gaulle parle à nouveau du référendum qu'il a annoncé le 16 novembre 1960, et qui doit avoir lieu le 8 janvier 1961. La consultation porte sur un projet de loi, simple prétexte, techniquement indispensable pour obéir aux conditions de l'article 11 de la Constitution, alors que la véritable question est celle de l'autodétermination des populations d'Algérie. Le général exhorte à voter "oui" ; il s'agit pour lui d'obtenir le soutien explicite de l'opinion publique. La solution qu'il appelle alors de ses voeux pour l'Algérie est celle d'une "Algérie algérienne' où les deux communautés, musulmans et Européens d'origine, cohabiteraient, et où la France continuerait à être associée au pays. Après avoir salué l'action de l'armée en Algérie, le Général renouvelle son appel aux rebelles à cesser les combats.

Type de média :
Date de diffusion :
21 décembre 1960
Date d'événement :
20 décembre 1960
Type de parole :

Éclairage

Ramené au pouvoir en juin 1958 par l'impuissance de la IV° République à résoudre la guerre d'Algérie, le général de Gaulle sait que la solution du conflit constitue une attente prioritaire pour les Français. Après avoir en vain proposé aux combattants du FLN de déposer les armes, il prend conscience que la paix en Algérie ne saurait résulter de la seule action militaire, même assortie d'un développement économique proposé par le " Plan de Constantine ". Aussi a-t-il dans son discours du 16 septembre 1959 proposé aux Algériens l'autodétermination, c'est-à-dire le droit de choisir leur destin, leur offrant trois options, la sécession, la francisation ou l'association.

Plus d'un an après le discours de septembre 1959 sur l'autodétermination, la solution de la question algérienne paraît toujours aussi lointaine. Aussi dans son allocution du 4 novembre 1960 a-t-il franchi une étape supplémentaire, en évoquant, au grand dam des partisans de l'Algérie française une " République algérienne ", laissant entendre qu'il est prêt à surmonter de possibles oppositions par le recours au référendum. De fait, l'allocution du 20 décembre 1960 annonce l'intention du général de Gaulle d'organiser le 8 janvier 1961 un référendum approuvant la politique d'autodétermination en Algérie. Ce soutien populaire est d'autant plus nécessaire que si le Chef de l'Etat a poursuivi sa politique en nommant le 22 novembre un ministre d'Etat chargé des Affaires algériennes en la personne de Louis Joxe, les résistances à celle-ci se multiplient tant à l'Assemblée nationale où la perspective d'une République algérienne suscite de fortes résistances, qu'en Algérie où de Gaulle lors d'un voyage accompli du 10 au 13 décembre a été l'objet de manifestations hostiles de la part des Européens, suscitant des contre-manifestations musulmanes. Aussi son discours du 20 décembre est-il un appel à un " oui franc et massif " permettant de mettre en oeuvre le processus qui permettra aux Algériens de choisir leur destin. Et se plaçant déjà dans cette perspective, il montre tous les avantages que l'Algérie future tirera d'une étroite association avec la France.

Serge Berstein

Transcription

Charles de Gaulle
Au milieu d'un monde bouleversé, la France voit se poser à elle de grands problèmes qui sont de grandes épreuves. Elle ne serait pas la France s'il en était autrement. Il lui faut épouser son temps, s'adapter aux conditions pleines d'espérances mais brutales qui repétrissent l'univers ! Ayant, lors de la dernière guerre et malgré un désastre initial, sauvegardé l'indépendance, l'unité, l'intégrité, se pliant ensuite à une profonde transformation économique, technique, sociale, réformant voici deux ans ses pouvoirs publics pour les rendre plus stables et plus efficaces, prenant une part considérable à l'organisation de la défense du monde libre, entreprenant avec ardeur la construction de l'Europe, entamant la création de sa puissance nucléaire, changeant en une coopération amicale et féconde, on vient de le voir, avec douze républiques africaines et la république malgache le système périmé de la colonisation, elle apparaît comme une nation moderne, sûre d'elle-même et entreprenante ! Mais pour que les portes de l'avenir s'ouvrent plus largement encore devant elle, elle doit maintenant régler la question de ses rapports avec l'Algérie et de la paix sur cette terre déchirée ! Comme c'est mon rôle et comme c'est mon devoir, j'ai choisi la route à suivre. Et sur la proposition que m'a faite le gouvernement, je demande au peuple français de m'en approuver ! Déjà deux fois, je me suis adressé à lui dans des conditions semblables : en 1945, au lendemain du drame, pour décider de nous engager vers un renouveau politique en rejetant la servitude totalitaire. En 1958, pour doter le pays d'une constitution qui permit de rebâtir l'Etat et de donner à nos territoires d'outre-mer le droit de disposer d'eux-mêmes. A présent, pour la troisième fois, je me tourne directement vers la nation. Le peuple français est donc appelé à dire, le 8 janvier par référendum, s'il approuve, comme je le lui demande, que les populations algériennes, lorsque la paix règnera, choisissent elles-mêmes leur destin ! Cela signifie : ou bien rompre avec la république française, ou bien en faire partie, ou bien s'y associer. Il est entendu d'avance que la France, pour ce qui la concerne, entérinera le choix. Personne ne peut avoir de doute sur l'importance extrême que va revêtir la réponse du pays. Pour l'Algérie, le droit reconnu à ses populations de disposer de leur sort marquera le début d'une vie toute nouvelle. Certains peuvent, il est vrai, regretter que des préventions, des routines, des craintes aient empêché naguère l'assimilation pure et simple des musulmans, à supposer qu'elle fut possible. Mais le fait qu'ils forment les huit neuvième de la population et que cette proportion ne cesse de croître en leur faveur, l'évolution déclenchée dans les gens et dans les choses par les événements et, notamment, par l'insurrection, et enfin ce qui s'est passé et ce qui se passe dans l'univers, rend chimériques ces considérations et superflues ces regrets. L'Algérie sera donc algérienne ! Ce sont les Algériens qui auront à régler leurs propres affaires et il ne tiendra qu'à eux de fonder un Etat avec son gouvernement, ses institutions et ses lois ! La France va, d'une manière solennelle, prendre la décision d'y consentir ! Elle va la prendre suivant son génie, qui est de libérer les autres quand le moment est venu, et pourvu qu'à partir de là, ils n'aillent opprimer personne. Elle va la prendre parce que son espoir, qui est conforme à son intérêt, est de trouver à l'avenir, pour avoir affaire à elle, une Algérie non pas inorganique et révoltée mais pacifiée et responsable. Mais lorsque, dans l'apaisement, les populations algériennes auront un jour à se décider, c'est sur des réalités qu'elles devront fonder leur choix, à moins qu'elles ne suivent en aveugle des gens qui les entraîneraient à un chaos désespéré. Quelles sont les réalités ? D'abord celle-ci : qu'il existe aux côtés des musulmans plus d'un million d'habitants d'origine européenne qui sont eux aussi implantés, qui ont le droit strict de l'être, qui sont dans l'ensemble essentiels à la vie de l'Algérie et que, quoi qu'il arrive, la France, dont ils sont les enfants, assurera la protection ainsi qu'elle le fera d'ailleurs, pour ceux des musulmans qui, en tous les cas, voudraient rester Français ! Il est donc de simple bon sens que, malgré les abus, les heurts, les excitations, les communautés musulmanes et la communauté française vivent ensemble, travaillent ensemble, coopèrent franchement au sein des mêmes institutions, chacune ayant d'ailleurs des garanties positives et particulières en ce qui concerne ses droits, son mode de vie et sa sécurité. D'autre part, pour vivre, pour se développer, pour devenir prospère et moderne, l'Algérie doit être aidée. Cette aide, la France la lui apporte. En 1960, nous aurons, sous toutes sortes de formes, investi en Algérie plus de 400 milliards d'anciens francs. L'oeuvre administrative, économique, sociale, technique accomplie par les Français en Algérie ne souffre aucune comparaison avec ce qu'aucun autre peuple du monde ne fait en aucune région : 250 000 musulmans servant dans l'administration, la justice, l'enseignement, l'armée, des deux côtés de la Méditerranée, fournissent déjà ou préparent des cadres officiels. 100 000 autres reçoivent dans les universités, dans les écoles techniques, dans les centres professionnels, la formation de dirigeants ou de moniteurs dans les diverses activités. 400 000 dans la métropole gagnent leur vie et celle de leurs familles qu'ils ont laissées en Algérie, à moins qu'ils ne les fassent venir. Depuis trois ans, le nombre des enfants musulmans scolarisés a doublé ; il doublera encore dans les trois années qui viennent. Quelle puissance autre que la France prodiguerait un concours pareil ? Et, qui peut croire qu'elle le continuerait dans l'hypothèse d'une rupture ? En vérité, l'Algérie de demain, tout lui commande d'être associée à la France et celle-ci y est fraternellement disposée au nom des multiples liens établis depuis plus d'un siècle, en raison de ce que elle-même attend d'une Algérie moderne et amicale, en dépit et même, peut-être, à cause des blessures et des tristesses de ces six dernières années, blessures et tristesses qu'il nous faut maintenant guérir. Mais c'est avec une Algérie qui assurera la coopération des communautés, où chacune d'elle aura organiquement des garanties appropriées avec une Algérie qui sera unie à nous dans les domaines où il nous faut l'aider, que la France elle-même, pour sa part, conçoit l'association. C'est pour la préparer que, en vertu du référendum, si la réponse est positive, seront institués des pouvoirs publics algériens exécutifs et assemblés pour l'ensemble du territoire en attendant l'autodétermination, que la vie et l'action publique seront décentralisées suivant une organisation régionale et départementale répondant à la diversité géographique et ethnique de l'Algérie et que seront créés, entre la métropole et l'Algérie, des organismes ayant compétence dans les domaines communs, par exemple le plan de Constantine. Bien entendu, ces institutions ne vaudront que, jusqu'au jour où la paix venue, aura lieu la consultation décisive des populations algériennes et que celles-ci voudront ou bien rejeter ou bien consacrer ou bien modifier ces institutions-là. Mais en attendant, elles aideront l'Algérie à s'engager sur la route qui mène à la solution du bon sens. A mesure que cette solution vient plus clairement en vue, la France mesure mieux les services qu'en Algérie rend et continuera de rendre son armée. Dans quel océan de meurtre et de misère eut été plongé ce pays si nos soldats métropolitains, musulmans, africains avaient défailli dans leur devoir d'ordre public ? Au contraire si la fin du drame peut être envisagée désormais, c'est parce qu'ils ont longuement, courageusement rétabli la sécurité dans toutes les régions du territoire au point que, au cours des huit derniers jours, la rébellion aura tué moins de personnes que les accidents de la route ou du travail. Et, quant à la perspective d'une future association de l'Algérie et de la France, pour combien comptent les innombrables contacts établis entre les troupes et les populations. C'est parce que cela fut fait que la France peut proposer la paix ! Oui, la paix, nous la proposons : à tout moment, nous sommes prêts à recevoir les délégués de ceux qui nous combattent. Dès qu'il aura été mis un terme aux ultimes accrochages et attentats, le gouvernement pourra régler avec toutes les tendances algériennes, et notamment avec les dirigeants de la rébellion, les conditions dans lesquelles aura lieu au grand jour la libre autodétermination. C'est par là que la réponse positive du pays au référendum aura aussi le caractère d'un appel à la fin des combats et à une pacifique confrontation. Françaises, Français, le " oui " franc et massif que vous demande le général de Gaulle, président de la république, sera la décision de la France. Il offrira à l'Algérie la chance d'un libre avenir, il prouvera au monde que la nation française est aujourd'hui, autant que jamais, unie, lucide et généreuse. A moi-même, dont la tâche est lourde, quel soutien il apportera ! Vive la République ! Vive la France !