Allocution du 26 mars 1962

26 mars 1962
10m 52s
Réf. 00223

Notice

Résumé :

Le référendum sur l'approbation des accords d'Evian est fixé au 8 avril 1962. Le général de Gaulle explique aux Français la portée de leur réponse au référendum.

Type de média :
Date de diffusion :
26 mars 1962
Type de parole :

Éclairage

A la suite de pourparlers entre une délégation du GPRA et trois ministres français (Louis Joxe, Robert Buron et Jean de Broglie) tenus aux Rousses, dans le Jura entre le 12 et le 18 février 1962, une négociation officielle s'est ouverte à Evian le 5 mars. Elle aboutit le 18 mars à un accord de " cessez-le-feu " en Algérie qui doit prendre effet le 19 mars.

De Gaulle a annoncé aux Français dès le 18 mars la fin d' un conflit qui, depuis huit ans est la grande affaire du pays.

Une semaine plus tard, il s'adresse à nouveau au pays pour annoncer la tenue d'un référendum approuvant les Accords d'Evian qui établissent le cessez-le feu et le processus d'autodétermination en Algérie, d'une part, la coopération entre les deux pays d'autre part. Aussi s'applique-t-il à dégager la signification des accords. En premier lieu, la paix, possible parce que la France a accepté l'autodétermination, qu'elle domine sur le terrain, que l'Algérie respecte les intérêts français et donne des garanties à la communauté européenne. De Gaulle ne cite cependant pas les concessions qu'il a dû faire au FLN pour obtenir le cessez-le-feu, sa reconnaissance comme interlocuteur unique et le caractère algérien du Sahara, pas plus qu'il ne souligne que les garanties fournies sont liées au respect par le FLN des accords signés.

Mais c'est essentiellement sur la coopération qu'il insiste, montrant l'intérêt de l'association pour l'Algérie qui y trouvera une aide au développement, comme pour la France dont les avantages sont à ses yeux surtout géostratégiques.

S'élevant au-dessus de l'aspect singulier des Accords d'Evian, il montre que ceux-ci complètent une oeuvre de décolonisation qui marque en fait un achèvement de l'oeuvre colonisatrice de la France, laquelle aurait ainsi apporté l'indépendance aux peuples qu'elle a civilisés.

Enfin, au-delà de l'objet propre du référendum, il fait de l'approbation des Français un témoignage d'unité nationale autour de sa personne face au terrorisme de l'OAS ou aux malveillances de l'opposition.

Serge Berstein

Transcription

Charles de Gaulle
En soumettant au peuple français le projet de loi du référendum, je lui propose d'adopter solennellement les mesures prévues par les déclarations gouvernementales du 19 mars, en ce qui concerne d'une part le cessez-le-feu et l'autodétermination en Algérie, d'autre part, l'association de la France avec ce pays, si comme tout le monde le croit, il choisit d'être indépendant. En outre, il faut au Président de la République, les moyens d'accomplir cet ensemble. Je demande donc au pays, d'approuver que je les prenne. L'affaire est d'une telle portée qu'elle requiert, directement, l'accord souverain de la Nation. Que signifie, en effet, la décision que tous les citoyens sont invités à ratifier par leur suffrage ? D'abord, cela signifie : la paix. Il n'y a pas un homme de bon sens et de coeur qui ne doive s'en féliciter. Dès lors que la France veut que l'Algérie dispose d'elle-même, dès lors que notre armée s'est assurée la maîtrise du terrain, dès lors qu'en contrepartie de notre aide, l'Algérie nouvelle respecte les intérêts de notre pays, et procure les garanties nécessaires à la communauté de souche française, la lutte n'a plus aucun sens. Mais les Accords d'Evian et les déclarations par lesquelles le gouvernement les a formulés, représentent bien davantage que le terme mis au combat. Il s'agit, pour la France de toujours et pour l'Algérie de demain, d'entreprendre ensemble une oeuvre de commune civilisation, car la coopération dans laquelle les deux peuples s'engagent, c'est en vérité cela. Pour le jeune Etat qui va naître, il n'y a qu'une alternative, le développement ou le chaos. Or, il ne peut trouver d'aide puissante, constante et cohérente, que celle qui vient de chez nous. Pour la France, aux moyens grandissants, mais d'autre part menacée, il est d'un intérêt direct, qu'en face d'elle, sur l'autre bord de l'étroite Méditerranée, un pays qui se situe au coeur du Maghreb, qui fait corps avec le Sahara, qui touche et mène à l'Afrique Noire, et que tant de contacts relient à notre métropole, s'établisse dans l'ordre, le progrès et la prospérité. Pour l'une et pour l'autre nation, il est donc conforme à la raison, que passant outre aux déchirements récents, elles organisent leur coopération, comme déjà l'ont fait, avec la République Française et dans les conditions qui leur sont propres, douze républiques africaines et la République Malgache. Cette entreprise de la France, remplaçant et transformant partout celle qu'elle a accompli par la colonisation, c'est sans nul doute une des plus grandes, et peut-être une des plus fécondes de toutes celles qu'elle a tentées depuis qu'elle parut dans le monde. Je ne doute pas que la masse immense des Français ne le voie et ne le veuille. Je ne doute même pas que les Français d'Algérie, une fois dissipées les suprêmes illusions, instruites les ultimes ignorances, liquidés les derniers maître-chanteurs du terrorisme qui les égarent et les trahissent, ne s'y consacrent en fin de compte, quand le 8 avril, la Nation aura irrévocablement fixé sa décision. Devant un tel aboutissement, combien paraissent dérisoires les outrages si longuement prodigués à notre pays qualifié de colonialiste, soit du côté d'un certain empire totalitaire qui bâillonne 14 nations et projette ouvertement d'en faire autant à toutes les autres, soit du côté de quelques dictatures qui ne réalisent rien, sinon la misère de leur peuple. Au contraire, en un siècle où l'avènement de 2 milliards d'êtres humains à l'indépendance politique et à l'espoir économique et social commande l'avenir de notre espèce, ce que la France et l'Algérie commencent à faire en commun est un exemple mondial. La vie internationale peut s'en trouver modifiée, dans le sens de notre génie, qui est celui de la liberté, de l'égalité et de la fraternité, en faisant sien ce vaste et généreux dessein. Le peuple français va contribuer, une fois de plus dans son histoire, à éclairer l'univers. Mais par-dessus tout, c'est en nous-mêmes et pour nous-mêmes que notre référendum revêt une importance extrême. Faire et justement au sujet de la grave affaire algérienne, la preuve éclatante de notre unité et de notre volonté, c'est marquer que nous sommes capables de résoudre délibérément un grand problème de notre temps. C'est faire savoir que les criminels qui s'efforcent, à coups d'attentats, de forcer la main de l'Etat, et d'asservir la Nation, n'ont d'avenir que le châtiment. C'est démontrer que tant et tant d'agitations, de mises en demeure, de malveillances, multipliées depuis quatre années, à partir d'horizons très divers, n'expriment pas la réalité française qui est lucide, résolue et sereine. Enfin, je puis et je dois le dire : répondre affirmativement et massivement à la question que je pose aux Français, c'est pour eux me répondre à moi-même. Qu'en ma qualité de Chef de l'Etat, ils me donnent leur adhésion, qu'ils m'attribuent le droit de faire, malgré les obstacles, ce qu'il faut pour atteindre le but. Bref, que dans la tâche très rude qui m'incombe, et dont l'affaire d'Algérie n'est que l'une, au milieu d'autres, j'ai, avec moi, leur confiance, pour aujourd'hui et pour demain. Françaises, Français, vous le voyez, il va peser lourd le "Oui" que je demande à chacune et à chacun de vous. Vive la République, vive la France !