On ne badine pas avec l'amour de Musset
Notice
Reportage sur On ne badine pas avec l'amour de Musset, avec Emmanuel Béart, dans une mise en scène de Jean-Pierre Vincent aux Amandiers de Nanterre, en 1993. Extraits de la pièce et interview de l'actrice dans le rôle de Camille.
Éclairage
Le « proverbe dramatique » est une forme très courue du XVIIe au XIXe siècle où se sont notamment illustrés Carmontelle, Collé et Berquin et qu'on donnait dans les salons mondains parisiens ou à la Cour pour divertir la société intellectuelle et les cercles de lettrés. Comme dans le mime et la commedia dell'arte, on improvisait souvent à partir d'un canevas une suite de scènes renfermant un « secret » (une sorte de devinette que les spectateurs devaient résoudre à la fin) : « Le proverbe dramatique est donc une espèce de comédie que l'on fait en inventant un sujet, ou en se servant de quelques traits de quelque historiette, etc. Le mot du proverbe doit être enveloppé dans l'action, de manière que si les spectateurs ne le devinent pas, il faut, lorsqu'on le leur dit, qu'ils s'écrient : "Ah ! c'est vrai", comme lorsqu'on dit le mot d'une énigme que l'on n'a pu trouver. » [1]
Ce jeu s'est au fil du temps trouvé astreint à des contraintes plus précises pour devenir un genre théâtral propre, non destiné à des représentations sur la scène théâtrale traditionnelle. Cette forme de théâtre de société a retrouvé un nouvel élan au XIXe siècle avec Théodore Leclercq (Proverbes dramatiques) Vigny (Quitte pour la peur) et surtout avec Musset (On ne badine pas avec l'amour, Il ne faut jurer de rien, Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée, On ne saurait penser à tout...) ou encore, quelques années plus tard, avec Oscar Wilde (L'Importance d'être constant).
Musset adopte cette forme sans doute pour la très grande liberté formelle qui lui est inhérente. N'étant pas destiné explicitement à la scène, le proverbe dramatique permet toutes les fantaisies structurelles possibles et imaginables. Ainsi, dans On ne badine pas avec l'amour, Musset reprend en partie le modèle de la tragédie grecque en ouvrant sa pièce avec un chœur, rejoint la tradition avec des personnages appartenant aux stéréotypes de la comédie (dame Pluche, maître Blazius), retrouve Marivaux dans la mésentente amoureuse qui lie Perdican à Camille, fait le procès de la société en critiquant le système d'éduction des jeunes gens, et fait basculer ce qui pouvait sembler initialement un intermède léger vers le tragique avec la mort de Rosette, que Perdican veut épouser pour rendre jalouse Camille.
Le proverbe dramatique prend une valeur didactique grâce à cet assemblage en double teinte : la veine comique, servie par les personnages secondaires, vole en éclat à la fin de la pièce. L'orgueil et l'aveuglement des personnages (ce que les grecs nommaient l'hybris) est à l'origine du malentendu qui pousse l'intrigue vers un dénouement tragique. Le mélange des registres, à travers la forme du proverbe, prend ainsi chez Musset une portée morale et exemplaire : purgeons-nous de nos passions pour éviter de tomber dans les mêmes erreurs et le même destin funeste que les personnages de la pièce.
[1] Carmontelle, Proverbes dramatiques, tome 1, Paris, Merlin, 1768, p. 5.