Lorenzaccio de Musset
Notice
Reportage sur la mise en scène de Lorenzaccio de Musset par Jean-Pierre Vincent présenté dans la Cour d'Honneur du Palais des Papes lors du Festival d'Avignon en 2000. Vue des répétitions et interview de Jérôme Kircher et de Jean-Pierre Vincent.
Éclairage
Lorenzaccio met en scènes les arcanes du pouvoir et les dissensions politiques qui agitent l'Italie du XVIe siècle. Lorenzo, un jeune idéaliste, veut renverser son cousin Alexandre de Médicis, qui règne en tyran sur Florence, pour restaurer un régime républicain. Lorenzo, qui agit en solitaire, assassine son cousin mais échoue dans sa tentative de putsch. Il s'est changé en paria débauché et sera lui aussi assassiné.
Musset fait de son personnage un héros controversé, à la fois incarnation de la fougue romantique, en proie aux passions les plus violentes et aux rêves les plus fous, et personnage au destin scellé par avance, comme dans les tragédies shakespeariennes. La pièce, si elle prend ancrage dans l'Italie de la Renaissance, comporte quelques entorses par rapport à la vérité historique et à la véritable histoire des Médicis à Florence, mais il est vraisemblable qu'à travers ces écarts Musset ait non seulement voulu faire écho à la situation de son temps en évoquant entre les lignes l'agitation qui menace le pouvoir lors des « journées révolutionnaires » de 1830 (ce qui lui vaudra des démêlés avec la censure), mais aussi faire de ce drame le porte-étendard des grandes idées formelles romantiques. Musset en effet ne se conforme pas à l'idée d'une pièce construite selon les conventions classiques d'unité de lieu, de temps et d'action. Le déroulement chronologique de Lorenzaccio montre à l'inverse des effets d'étirement ou de resserrement temporel, une action ténue, un goût pour la multiplication des événements, un récit compliqué par plusieurs fils d'intrigue menés de front. La pièce dit de façon péremptoire le désir de Musset de travailler sur la simultanéité des actions et de s'écarter, par conséquent, de toute considération d'ordre scénique. Comment représenter l'entremêlement des situations, comment représenter surtout la soixantaine de décors qui font l'espace de la pièce ? Ces questions, Musset les balaye d'un revers de main en pratiquant le montage à la manière d'un cinéaste : les coupes et les discontinuités font sens, elles organisent des parallélismes, donnent à comparer les situations entre elles (acte II). La pièce n'attend pas nécessairement sa résolution sur le plateau, mais devient représentative de ces projets ambitieux de l'école romantique, trop grands pour la scène, et par conséquent, « à lire dans un fauteuil », selon la célèbre expression de Musset.
Comme le souligne Jean-Pierre Vincent dans le document présenté ici, Lorenzaccio est sans doute l'une des pièces les plus difficiles du répertoire, et a toujours suscité l'intérêt des grands metteurs en scène ou des grands interprètes. Le rôle titre de Lorenzaccio a longtemps été réservé aux femmes : Sarah Bernhardt avait incarné Lorenzo en 1896, au Théâtre de la Renaissance, et ce n'est qu'en 1952, sous l'égide du TNP, que Gérard Philipe, jeune premier idéal, s'emparera du personnage dans un spectacle qui a fait date dans l'histoire du théâtre et qui fut créé dans la Cour d'Honneur, au Festival d'Avignon. On comprend qu'il ait été délicat pour Jean-Pierre Vincent et Jérôme Kircher de proposer à nouveau, dans le même lieu, une nouvelle mise en scène de ce texte : le parti pris de rupture se lit dans le choix d'une actualisation et d'une transposition du sujet dans le monde contemporain. Parmi d'autres mises en scène notables de la pièce, on peut également se souvenir des interprétations de Gérard Desarthe (mise en scène de Guy Rétoré au Théâtre de l'Est parisien en 1969), de Claude Rich (mise en scène de Franco Zeffirelli à la Comédie française) ou de Francis Huster (par lui-même, pour le Printemps des comédiens de Montpellier en 1989).