L'Hôtel du Libre-Echange de Georges Feydeau
Notice
Extraits de la pièce de Feydeau et interviews du metteur en scène Alain Françon et de l'acteur vedette de la distribution, Clovis Cornillac, pour la mise en scène de la pièce au Théâtre National de la Colline en 2007.
Éclairage
L'Hôtel du Libre-Echange, vaudeville en trois actes, a été créé en 1894 au Théâtre des Nouveautés ; le sujet reste proche de celui exploité par Feydeau dans d'autres pièces (Monsieur chasse, La Puce à l'oreille, Le Fil à la patte...) : deux couples voisins, les Paillardin et les Pinglet, sont en pleins déboires conjugaux et chacun entreprend de prendre son plaisir en s'immisçant dans le ménage d'autrui. Sur ce, Paillardin, en qualité d'architecte expert auprès des tribunaux, doit aller inspecter un hôtel soi-disant hanté par des fantômes ; dans le même temps, Pinglet reçoit de la publicité de l'Hôtel du Libre-Echange – dont le prospectus vante la « sécurité et [la] discrétion ! », et dit qu'il est « recommandé aux gens mariés... ensemble ou séparément !...» (Acte I, sc. 11) – et décide d'y organiser son rendez-vous galant. Mais c'est sans compter sur l'arrivée de Mathieu et de ses quatre filles qui, faute de logement, doivent eux aussi s'héberger à l'hôtel. Finalement, tous se retrouvent sans le savoir à l'Hôtel du Libre-Echange, dont le nom indique bien les chassés-croisés et les interversions qui feront le piquant de la situation.
Rien n'est donné gratuitement chez Feydeau, l'art des préparations rend chaque élément dramaturgique indissociable des précédents et des suivants. La mécanique ou le système horloger du vaudeville ne laisse place à aucun flottement dans le mouvement de la pièce. La précision des indications, le découpage du plateau induit par le codage de l'espace et les cloisonnements de l'hôtel permettent à Feydeau d'organiser en simultané plusieurs actions au sein d'un même espace, devenu kaléidoscopique, où se croisent et où doivent s'éviter neuf personnages. La complexité de ces micros-actions et des mouvements scéniques qu'elles imposent requièrent sur le plateau une chorégraphie millimétrée des corps, qui doivent tantôt surgir ou disparaître dans le décor. Ces effets de scène, lorsqu'ils sont poussés à leur climax, peuvent orienter une lecture symbolique de la pièce : Pinglet, qui est au départ blanc comme neige, finit « noir comme un nègre » (il est couvert de suif après s'être caché dans une cheminée pour éviter d'être surpris en pleine scène d'adultère). Il y a de la frivolité chez Feydeau, mais aussi une analyse psychologique des personnages d'une grande finesse.
Le rythme de la pièce n'est pas que le fait des rebondissements, il tient aussi beaucoup à la scansion du dialogue : le texte est lardé d'exclamations et de phrases inachevées, et Feydeau ajoute avec le personnage de Mathieu un comique de langage très particulier : cet avocat bègue (!) ne peut pas aligner deux mots de suite dès qu'il pleut. C'est la première fois que Feydeau utilise un handicap linguistique pour caractériser un personnage, il développera ce type d'infirmité dans plusieurs autres pièces par la suite et notamment dans La Puce à l'oreille (voir ce document).
Avec tous ces éléments réunis, L'Hôtel du Libre-Echange a connu dès sa création un incroyable succès et la pièce se verra gratifiée de près de 400 représentations ; Sarcey, un grand critique théâtral de l'époque, note à propos de la première : « [...] au deuxième acte, il s'est produit un phénomène dont je n'avais encore vu qu'un exemple au théâtre, le jour de la première des Surprises du divorce [de Bisson] : le fou-rire qui avait saisi et qui secouait toute la salle était si bruyant qu'on n'a plus entendu un mot de ce que disait l'acteur en scène ; l'acte s'est achevé en pantomime » [1].
Parmi les enregistrements célèbres de la pièce (disponibles en DVD), on peut signaler la captation télévisée pour la collection « Les grandes soirées du théâtre » en 1978, réunissant une distribution haute en couleurs : Jean-Pierre Darras, Jean Poiret, Danielle Vole, Pierre Mondy, Marthe Mercadier.
[1] Sarcey, Le Temps, 10 décembre 1894, cité par Henri Gidel dans la notice de L'Hôtel du Libre-Echange, in Théâtre de Feydeau, tome 2, Bordas, « classiques Garnier », 2000, p. 339.