Le Menteur de Corneille, mis en scène par Alain Françon à la Comédie-Française

15 février 1986
05m 52s
Réf. 00289

Notice

Résumé :

Interview d'Alain Françon sur sa mise en scène du Menteur de Corneille : il évoque le jeu de la pièce entre registres comique et tragique et la qualifie d'« utopie » dépourvue de vraisemblance. Il se réjouit des réactions du public et salue l'action de Jean-Pierre Vincent à la tête de la Comédie-Française. Extrait de l'acte II, scène 5 de la pièce.

Date de diffusion :
15 février 1986
Source :
FR3 (Collection: Poursuite )
Fiche CNT :

Éclairage

En écrivant Le Menteur en 1643, Pierre Corneille signe son ultime retour au genre comique, qu'il avait délaissé depuis plusieurs années au profit de la tragicomédie (Le Cid, 1637) ou de la tragédie à la romaine (Horace en 1640, Cinna en 1641, Polyeucte en 1642). Quoiqu'il emprunte le sujet de sa pièce à La Verdad sospechosa d'Alarcon, le dramaturge choisit de transposer l'action dans le Paris contemporain qui constituait le cadre de ses comédies précédentes. Le Menteur diffère toutefois des comédies qui avaient offert ses premiers succès à Corneille : il y délaisse en effet le raffinement noble de la comédie sentimentale pour cultiver des effets comiques plus francs, mettant notamment en valeur le comédien-farceur Jodelet avec le rôle du valet Cliton. La pièce connaît un triomphe à sa création et Corneille lui consacrera même une suite, La Suite du Menteur, l'année suivante.

Pour sa mise en scène du Menteur, réalisée pour la Comédie-Française en 1986, Alain Françon prend toute la mesure de ce choix fait par Corneille de délaisser le réalisme sentimental de ses premières pièces pour plonger dans un univers de fantaisie pure. Pour le décor de sa pièce, il s'inspire des volumes chimériques du tableau La Cité idéale de Piero della Francesca afin de proposer un espace utopique et ouvert, qui ne limite pas l'action de la pièce dans le cadre étriqué du Paris du XVIIe siècle. Le rôle du menteur Dorante est assumé par Richard Fontana, alors vedette de la Comédie-Française ; celui de Cliton, moins mis en valeur par la mise en scène qu'à la création de la pièce, est confié à Simon Eine.

Céline Candiard

Transcription

Journaliste
Mais c’est… ça a encore un intérêt de monter Corneille à cette époque ?
Alain Françon
Ah oui, je crois que c’est assez fascinant mais… pourquoi je sais pas si c’est…
Journaliste
Pour un metteur en scène ou pour le public ? Comment il réagit le public
Alain Françon
Bah je crois pour le public… le public.
Journaliste
Pour le public français, ça doit être assez spéciale quand même non ?
Alain Françon
Ah ben. Je sais pas. Je veux dire par exemple Corneille je monterais pas une tragédie. Ça je… pas par… je crois que j’y arriverais pas enfin… une comédie c’est tout à fait…enfin … en tout cas celles-ci sont tout à fait… en plus Le Menteur c’est une chose très artificielle dans les comédies, parce qu’il y a toutes les premières comédies comme La Place Royale qu’il a écrit quand il avait vingt ans, celle-là c’est un retour à la comédie après avoir écrit Cinna, La Mort de Pompée, Le Cid. Et c’est tout à coup quelqu’un qui essaie de retrouver une espèce de vitalité, comme ça, de jeunesse qu’y a dans les… dans les premières comédies. Et il y arrive mais c’est toujours teinté un peu de… d’héroïque. C'est-à-dire que c’est pas une comédie. On appelle ça comédie, je crois que c’est une… je crois qu’y a pas d’autres exemples, c’est, c’est…Moi j’appelle ça, comédie héroïque quoi. C’est… c’est… parce que par exemple, il y a, y a des penchants dans cette pièce, par exemple au cinquième acte où... où c’est de la tragédie, enfin… on travaille presque la tragédie. C'est-à-dire que c’est un, c’est baroque quoi. Je trouve que c’est intéressant pour ça. C’est parque c’est vraiment une écriture complétement baroque. Et c’est euh… ça demande une forme qui euh… qui soit assez proche de ça. C'est-à-dire par exemple quand on monte [inaudible] on se pose toujours, enfin c’est-à-dire, pour moi qui ai toujours travaillé sur des textes contemporains, une première question c’est comment monter ça, quel rapport au réel quoi ! Enfin, comment je peux travailler. Puisque d’habitude c’est quand même ça qui me détermine. Là par exemple j’ai construit ça comme une utopie. C'est-à-dire, pour moi c’est une construction dramatique ça n’existe pas quoi ! Donc c’est euh… ouais c’est une construction alors, partant de là, ben le décor c’est une utopie parfaite. C'est-à-dire que c’est un décor qui n’existe pas. Il emprunte son vocabulaire à la … aussi bien à la renaissance italienne que… qu’aux architectures utopiques de Nicolas Ledoux. Alors qu’en fait le lieu bon, précis c’est la place royale, c'est-à-dire c’est la place de Vosges mais, bon, je voulais pas représenter la place des Vosges, je trouve que ça serait fou. C’est-à-dire qu’il y a pas de vraisemblable dans …je crois que c’est simplement et tout à… et je trouve que c’est formidable cette pièce, et que c’est un pays de rêve et de roman quoi. C'est-à-dire que c’est une construction utopique, une architecture comme ça, de texte et de lieu, avec des rôles qui sont absolument magnifiques et puis je trouve que le problème du mensonge est pas si… enfin je trouve ça intéressant quoi. Enfin, en y travaillant je pensais pas à ça, mais maintenant que j’ai vu dans la salle, en particulier deux représentations, je suis absolument fasciné de la manière dont les gens réagissent. C'est-à-dire que…
Journaliste
Ça fonctionne encore.
Alain Françon
Ah, oui, oui. Les gens… les gens suivent mais… et surtout… je veux dire c’est pas que je cherche pas ça mais, au moins ils rigolent sans arrêt quoi ! Je veux dire, donc c’est…
Journaliste
Mais c’est un public particulier ici, non ? C’est … C’est des grands amateurs de théâtre ?
Alain Françon
Je sais pas, moi je connais pas…je connais mal.
Journaliste 1
C'est des gens qui viennent visiter un monument ?
Alain Françon
Non, je crois qu’y a, non je crois qu’en plus depuis que Jean Pierre est là je crois que… y'a des choses qui changent, je crois que le… non, je crois qu’il a amené des gens qui ne seraient pas venus ou qui ne venaient pas là. Je crois qu’il… enfin je pense hein ! Je dis ça, je pense que le travail qu’il a fait sur trois ans est un travail énorme, enfin sur le…et sur le plan du public et sur le plan de la… je dirais d’appel aux gens qu’il a… enfin des gens à qui il a demandé de faire des mises en scène et des acteur qu’il a fait rentrer aussi. Enfin, je pense que c’est… son passage est important quoi.
Richard Fontana
Ah ! si vous la saviez !
Comédien
Dis, ne me cache rien.
Richard Fontana
Elle est de fort bon lieu mon père. Et pour son bien s’il n’est du tout si grand que votre humeur souhaite.
Comédien
Sachons à cela près puisque c’est chose faite. Elle se nomme ?
Richard Fontana
Orphise. (toussotements) et son père, Armédon ?
Comédien
Je n’ai jamais ouï ni l’un ni l’autre nom. Mais poursuis !
Richard Fontana
Je la vis presque à mon arrivée. Une âme de rocher ne s’en fût pas sauvée, tant elle avait d’appas. Et tant sont oeil vainqueur, par une douce force, assujettit mon coeur. Je cherchais donc, chez elle, à faire connaissance, et… les soins obligeants de ma persévérance surent plaire de sorte à cet objet charmant, que j’en fus en six mois, autant aimé qu’amant. J’en reçus des faveurs, secrètes mais honnêtes. Et j’étendis si loin mes petites conquêtes qu’en son quartier souvent je me coulais sans bruit pour causer, avec elle, une part de la nuit. Un soir, que je venais de monter dans sa chambre, ce fut s’il m’en souvient le second de septembre. Oui ! Ce fut ce jour-là que je fus attrapé, ce soir même son père en ville avait soupé. Il monte à son retour, il frappe à la porte, elle transit, pâlit, rougit… me cache en sa ruelle, ouvre enfin. Et d’abord qu’elle eut d’esprit et d’art. Elle se jette au cou de pauvre vieillard, dérobe en l'embrassant son désordre à sa vue : il se sied. Il lui dit, qu’il veut la voir pourvue. Lui propose un parti qu’on lui venait d’offrir. Jugez combien mon coeur avait lors à souffrir; par sa réponse adroite elle sut si bien faire que sans m’inquiéter elle plut à son père. Ce discours ennuyeux enfin se termina, le bonhomme sortait quand ma montre sonna. Et lui, se retournant vers sa fille étonnée ! "Depuis quand cette montre ? Et qui vous l’a donnée ? Acaste mon cousin me la vient d’envoyer, dit-elle, et veut ici la faire nettoyer, n’ayant point d’horloger au lieu de sa demeure. Elle a déjà sonné deux fois en un quart d’heure. Donnez-la moi dit-il, j’en prendrai mieux le soin". Alors, pour me la prendre elle vient en mon coin, je la lui donne en main, mais voyez ma disgrâce, avec mon pistolet, le cordon s’embarrasse, fait marcher le déclin, le feu prend, le coup part ! Jugez de notre trouble à ce triste hasard.