Henri IV de Luigi Pirandello, mise en scène de Jean Vilar
Notice
En 1961, Claude Barma réalise Henri IV, de Luigi Pirandello, interprétée par la troupe du TNP dont c'est le premier spectacle à la télévision. Jean Vilar joue le rôle titre. Extrait du film.
Éclairage
En 1957, pour le dixième anniversaire du Festival d'Avignon qu'il a lui-même créé en 1947, Jean Vilar propose deux créations et deux rôles à sa mesure : il monte Meurtre dans la cathédrale de T. S. Eliot, où il joue l'archevêque de Canterbury, et Henri IV de Luigi Pirandello, où il interprète le personnage éponyme. À ses côtés se trouvent Lucienne Le Marchand, Simone Bouchateau, Jean-Pierre Darras, Jean Topart et Jean-Pierre Moulinot dans les principaux rôles. Les décors et les costumes sont de Léon Gischia, et la musique de Maurice Jarre. Ce choix n'est pas le fruit du hasard. Avec Meurtre dans la cathédrale, Jean Vilar reprend le spectacle qu'il avait créé au Théâtre du Vieux Colombier en 1945, et par lequel il avait commencé d'accéder à la notoriété. Quant à Henri IV, la pièce avait été jouée pour la première fois à Milan en 1922, puis André Barsacq l'avait montée en 1950 au Théâtre de l'Atelier : on trouvait déjà dans la distribution Jean Vilar, Germaine Montero et Jean-Paul Moulinot, et Léon Gischia y signait les costumes et les décors ! Vilar s'avance donc en terrain connu, il faut d'ailleurs noter que c'est la seule pièce de Pirandello qu'il met en scène durant sa carrière.
Mais s'il ne fait pas d'autres incursions dans l'œuvre du dramaturge italien, il porte à la scène sa pièce la plus fascinante et la plus riche, une de celles aussi qui donne au comédien l'occasion de montrer toutes les facettes de son talent. Car dans Henri IV comme dans Six personnages en quête d'auteur ou Ce soir on improvise, c'est l'extraordinaire complexité du jeu comme caractéristique même de la condition humaine que Pirandello expose, à travers une mise en abyme vertigineuse. Le point de départ de la pièce est un accident survenu lors d'une cavalcade costumée : un jeune homme qui portait le costume d'Henri IV tombe de cheval et, se cognant la tête, perd la raison. Le voilà convaincu d'être son personnage. Sa famille et ses amis l'entretiennent dans cette illusion, et reconstituent son entourage selon la mode du XVIe siècle. Douze ans après, le jeune homme recouvre ses esprits, et découvre la situation : sa compagne, Mathilde, est devenue la maîtresse de Belcredi, ce dernier étant l'auteur de l'accident qu'il a provoqué pour se débarrasser de son rival. Le jeune homme, devenu un homme mûr, prend conscience de sa solitude, et du vertige d'une existence privée de passé et de sens. Il se raccroche à l'image de Mathilde que lui renvoie Frida, la fille de celle-ci, vêtue du costume que portait sa mère douze ans auparavant. Alors qu'il s'apprête à l'embrasser, Belcredi cherche à l'en empêcher et reçoit un coup mortel de la part de l'homme. Désormais, le pseudo Henri IV n'aura d'autre choix que de continuer à simuler la folie pour rester libre.
Si la pièce aborde des questions aussi fondamentales que le rapport au temps, l'identité, la vérité des sentiments, l'aliénation et la simulation, exaltant ainsi l'art dramatique lui-même qui depuis toujours s'est emparé de ces questions, elle le fait par le biais d'une intrigue captivante. Elle garde d'autre part une unité forte d'être traversée de bout en bout par le monologue du prétendu Henri IV, qui se plaît à observer de l'intérieur cette vie à laquelle il n'a plus accès, et qui inverse ainsi le rapport acteurs-spectateurs de façon troublante. Le document présenté est tiré du film réalisé en 1961 par Claude Barma : il s'agissait du premier spectacle à la télévision de la troupe du TNP. La distribution a un peu changé par rapport aux représentations de 1957, Jean Vilar jouant avec Christiane Minazzoli, Jean Topart, Germaine Montero, Jacques Lalande, Jean-Paul Moulinot. Dans une mise en scène dépouillée qui reste fidèle à l'esthétique du TNP, on perçoit l'intensité de jeu dont Vilar investit son personnage, et l'ambiguïté qu'il lui confère. Dans l'extrait proposé, le pseudo-Henri IV révèle aux hommes qui composaient sa suite qu'il a recouvré la raison, et leur démontre la fragilité de la frontière qui séparent les fous des gens “raisonnables”, alors que ces derniers obéissent aussi, quotidiennement, aux ordres des morts.