Le Soulier de satin de Paul Claudel, mise en scène d'Antoine Vitez
Notice
En 1987, Antoine Vitez fait date dans l'histoire du théâtre par sa mise en scène de la plus longue pièce du répertoire français, Le Soulier de satin de Paul Claudel, dans la cour d'honneur du Palais des Papes, au festival d'Avignon. Extrait du spectacle.
Éclairage
C'est la première fois que le public du festival d'Avignon passe la nuit entière au théâtre, le spectacle se déroulant de neuf heures du soir à neuf heures du matin. Cette expérience extraordinaire, il la doit à Antoine Vitez, qui décide en 1987 de monter Le Soulier de satin de Paul Claudel, dans son intégralité. Auparavant, Vitez a déjà mis en scène Partage de midi, à la Comédie-Française en 1975, et L'Échange, au Théâtre national de Chaillot en 1986. L'aventure est tentante, pour un metteur en scène de son expérience, d'affronter enfin la démesure de cette pièce-fleuve de Claudel, couronnement et synthèse de toute son œuvre dramatique. Selon Vitez en effet, la pièce raconte la vie de l'homme et l'histoire toute entière. De fait Claudel, qui la rédige de 1919 à 1924 et la publie en 1929, indique que « la scène de ce drame est le monde ». On y retrouve le thème de la conquête développé dans Tête d'or, celui de l'amour impossible et sacrifié dépeint dans Partage de midi et dans L'Annonce faite à Marie. Mais ici, c'est à une sorte d'enchaînement mutuel des âmes et à leur salut commun que l'on assiste, là où le salut n'était qu'individuel dans les pièces précédentes.
L'action se déroule en quatre journées, renouant avec la dramaturgie du Siècle d'or espagnol. Dans l'Espagne de la Renaissance, centre du monde et du christianisme, le conquérant Rodrigue et Doña Prouhèze ont conçu l'un pour l'autre une passion si parfaite que pour être à la hauteur de son exigence, ils devront tous deux lui sacrifier leur vie et leur amour. Car Prouhèze est mariée à Don Pélage. Résolue à rejoindre Rodrigue, elle confie son honneur à la Vierge, en déposant devant elle son petit soulier de satin, lui enjoignant d'entraver l'élan qui la porte vers son désir adultère. Pélage, averti du dessein de sa femme, lui propose une épreuve à la mesure de son âme : garder au nom du Roi la citadelle de Mogador, aux côtés de Camille, traître au souverain et à l'Église, qui aime aussi Prouhèze, tandis que Rodrigue est nommé vice-roi des terres d'outre-mer. Les deux amants consentent à se séparer, mais dans cet éloignement va s'affermir leur union spirituelle. Pélage meurt et Camille contraint Prouhèze de l'épouser, avant de la supplier, pour sauver leurs deux âmes rebelles, d'oublier Rodrigue. L'extrait est tiré de la fin de la troisième journée, lorsque Rodrigue et Prouhèze, de nouveau face-à-face, acceptent le sacrifice et renoncent pour toujours l'un à l'autre. Prouhèze confie à Rodrigue sa petite fille, née de Camille. Rodrigue achève sa destinée dans le don et le dépouillement entier de sa personne, vouée à Dieu. Ainsi une passion adultère aura-t-elle servi au salut de la femme et des trois hommes qui l'aimaient, expliquant le sous-titre du Soulier de satin : « le pire n'est pas toujours sûr ».
Si Claudel a noué la pièce autour de cette action principale, fidèle à l'esprit du mystère qui met en scène la Vierge et la grâce qu'elle dispense, Le Soulier de satin se présente aussi comme une somme théâtrale, mêlant les lieux, les genres, les esthétiques, les personnages en nombre impressionnant, les intrigues secondaires ; alliant au drame mystique des scènes comiques et burlesques, des chansons et des danses, exhibant sans cesse les conventions et les ficelles du théâtre, tenant enfin son exaltante promesse : c'est tout l'univers que la pièce contient.
Le Soulier de satin, dans une version allégée, est créée en 1943 à la Comédie-Française par Jean-Louis Barrault, qui conçoit ce spectacle comme « une réponse de vitalité à une période d'Occupation ». Sur une musique d'Arthur Honegger, la pièce est portée par Jean-Louis Barrault (Rodrigue) et Marie Bell (Prouhèze). Elle obtient un très vif succès, au point que Barrault la reprendra cinq fois, la dernière en 1980 dans sa version intégrale, au Théâtre d'Orsay. Sept ans après, Vitez embarque à nouveau le public dans cette traversée magnifique. Il sera suivi par Olivier Py, en 2003.