Serge Lifar évoque Diaghilev et Stravinski en 1923

28 octobre 1979
02m 22s
Réf. 00946

Notice

Résumé :

Très intéressant film, où Serge Lifar au cours d'une interview en 1979 évoque son arrivé à Paris en 1923, sa première rencontre avec Diaghilev, et celle, pittoresque, de Stravinski deux jours plus tard à Monte Carlo. Il dresse un vivant portait du génial compositeur, évoque ses débuts dans Noces (il est le dernier à droite sur la photo) de Stravinski et Bronislava Nijinska. Lifar parle enfin de sa première chorégraphie sur les conseils de Diaghilev, la seule qu'il règlera pour les Ballets Russes : Renard, musique de Stravinski (nombreuses photos des maquettes de Larionov), crée en 1929 à Paris, trois mois avant la mort de Diaghilev à Venise.

Date de diffusion :
28 octobre 1979
Thèmes :

Éclairage

Serge Lifar débarque à Paris en 1923 avec trois ou quatre autres élèves de l'école de danse de Bronislava Nijinska à Kiev, pour rejoindre deux jours plus tard les Ballets Russes de Diaghilev basés à Monte-Carlo. Immédiatement séduit par la beauté de Serge Lifar, Diaghilev le fait travailler pour en faire un de ses meilleurs danseurs, et le pousse à devenir également chorégraphe. Lifar débute à Paris dans le rôle de Boré de Zéphir et Flore en 1925, puis incarne le Matelot français dans Les Matelots également de Massine. Bronislava Nijinska, qui n'aimait pas Lifar à Kiev, change d'avis, et lui confie le rôle de Roméo dans un Roméo et Juliette surréaliste sur une musique de Constant Lambert, avec décors et costume de Max Ernst et Juan Miro. Le scandale est tel quand il est présenté au Théâtre Sarah Bernhardt le 18 mai 1926, que Diaghilev doit appeler la police pour séparer les spectateurs qui en viennent aux mains.

On ne sait pourquoi, le commentateur de ce documentaire revient subitement en 1920 pour parler de façon erronée de Pulcinella de Pergolèse (en fait de Stravinski d'après Pergolèse) dont les décors de Picasso auraient fait scandale à Barcelone... où les Ballets Russes ne se sont jamais produits après 1918 !

Revenons aux commentaires d'un Lifar en verve, qui dit comment il refuse d'aborder la chorégraphie en 1924, et n'y vient qu'en 1929, quand Diaghilev lui demande de créer une nouvelle version du ballet Renard sur la musique de Stravinski et dans les décors de Larionov. Ballet qui avait remporté peu de succès lors de sa création dans la chorégraphie de Bronislava Nijinska en 1922 à l'Opéra de Paris. Entre temps Nijinska s'est brouillé avec Diaghilev et a quitté le compagnie en 1926.

Serge Lifar re-crée Renard avec une double distribution de danseurs et d'acrobates sur scène qui illustrent les textes chantés par quatre solistes dans la fosse d'orchestre, également au Théâtre Sarah Bernhardt en 1929. C'est loin d'être le triomphe que prétend Serge Lifar, mais c'est la première chorégraphie de celui qui allait créer tant de chef d'œuvres à l'Opéra de Paris, dont il devient directeur de la danse en 1930 à l'âge de 25 ans. Si Diaghilev ne l'avait pas poussé à créer sa première chorégraphie, il n'y aurait peut-être jamais eu Icare, Bacchus et Ariane, Salade, David Triomphant, Istar, Suite en Blanc ou Les Mirages qui firent la gloire de l'Opéra pendant des décennies et de nos jours encore pour certains des plus connus.

Serge Lifar qui ne fait jamais preuve de modestie ni d'exactitude (sauf dans ce documentaire) est à l'origine de nombreuses et importantes réformes à l'Opéra de Paris. Outre qu'il invente le terme de choréauteur (au lieu de chorégraphe) et ajoute deux nouvelles « positions » aux cinq classiques établies depuis Louis XIV, c'est lui qui fait éteindre la salle pendant le spectacle, et en interdit l'accès au public dès qu'il est commencé. Il interdit également l'accès du foyer de la danse aux abonnés pendant l'entracte. Enfin suivant l'exemple de Diaghilev il fait appel aux plus grands compositeurs et décorateurs pour créer ses ballets dont il danse presque toujours le rôle principal. Il remet aussi définitivement au répertoire Giselle dont il marque à jamais le rôle d'Albrecht par la noblesse de son interprétation et sa forte personnalité.

René Sirvin

Transcription

Serge Lifar
Et il était un homme, le plus pacifique et le plus tendre que j’ai connu dans ma vie. Mais, en même temps, au théâtre, il se transfigurait en un homme d’une force et d’une qualité extraordinaire. J’ai eu la chance de vivre parmi les monstres sacrés ; pour moi, Stravinsky et Picasso, c’étaient vraiment les monstres extraordinaires.
Journaliste
Les barcelonais ont été scandalisés par l’esprit d’avant-garde de Pulcinella . Ils acceptent la musique de Pergolese mais trouvent Picasso intolérable.
Serge Lifar
Le 13 janvier donc, j’ai rencontré ici, à Paris Diaghilev et le 15 février 1923, je suis à Monte-Carlo. Alors, en découvrant ce paradis terrestre après la Russie, j’écoute dans une petite salle, mais c’était la salle du ballet russe, j’ai entendu la musique. J’y entre et je vois un homme qui ressemble à un singe. Il était au piano, il a cassé les claviers. Et puis, [inaudible], il faisait, avec ses doigts, avec ses coudes [inaudible]. Et puis, j’ai reconnu que c’était l’auteur du Sacre du printemps qui, justement, préparait Les noces de cette année, 1923. D’abord, j’ai refusé d’être chorégraphe en 24 et, en 29, Diaghilev m’a demandé, enfin, est-ce que, tu es déjà pris comme danseur, est-ce que tu ne veux pas, maintenant, essayer d’être chorégraphe ? Et, j’ai monté donc le Renard de Stravinsky, qui a obtenu un triomphe, comme vous le savez.
(Musique)